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Loin des sentiers battus

Dina Bakr, Dimanche, 20 août 2017

Lieu de rencontre des passionnés des deux-roues, un café à Zamalek accueille ses clients avec leurs motos.Le temps de prendre un pot, de parler de cette passion qui les rassemble et de réparer leurs machines. Reportage.

Loin des sentiers battus
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

Au beau milieu du quartier de Zamalek, une file de motos arpente les rues. Un vrai cortège, comme s’il s’agissait d’une parade officielle ou d’une compétition motocycliste. Ce n’est pourtant pas le cas. Ces jeunes vont tout simplement prendre un coup dans un café. Mais c’est un café pas comme les autres. Le café Biker’s Joint accueille les motocy­clistes et, plus important, leurs motos. C’est l’un des rares du genre en Egypte. Sa façade est constituée de deux portes, l’une servant d’entrée, l’autre de sortie pour éviter tout acci­dent. Comme le café autorise l’accès des motos, le design a été conçu sous la forme d’un grand U afin de faciliter les accès (entrée et sortie) aux moto­cyclistes. Les chaises et les tables sont entreposées de façon à ce que le mobi­lier n’entrave pas leur passage. Et, l’espace est suffisamment grand pour recevoir de grosses cylindrées. Quant à la décoration, elle a été conçue pour dissimuler l’impact des fumées d’échappement des motos. A l’inté­rieur, les murs préfabriqués sont de couleur noire. Les canapés en cuir et les vieilles roues qui servent de tables portent également la même couleur. Quant au carrelage qui recouvre le sol, il ressemble à celui utilisé pour paver les trottoirs et ce, pour mieux résister au passage des motos. Ici, les photos des deux-roues accrochées tout le long des couloirs de passage montrent les meilleures marques dans l’histoire des motocycles. En commençant par les années 1920, où une marque améri­caine était à la mode. Dans les années 1930, c’était une moto allemande et la série s’achève par une japonaise des années 1960. Parmi les photos de ces vieux modèles en noir et blanc, les motocyclistes défilent, exhibant la force développée par leur moteur pour montrer sa différence.

Loin des sentiers battus
(Photo : Bassam Al-Zoghby)

En fait, Mohamed El Chayeb, pro­priétaire du café et passionné de moto, a voulu concevoir un endroit qui ras­semble les motocycles et leurs conduc­teurs. « J’ai toujours rêvé d’avoir un lieu de rencontre de motards où l’on présente de nombreux services à un prix abordable comme la maintenance, la réparation et la vente de pièces déta­chées et d’accessoires de moto au cas où le client en aurait besoin », explique El Chayeb, résumant son idée d’avoir un tel café. Un an et demi après la créa­tion de sa page Facebook, les fans deu café Biker’s Joint ont atteint les 50 000 personnes. Ce chiffre est rassurant pour El Chayeb, mais il confie que ce n’est pas du tout son objectif, il souhaite créer d’ici à la fin de l’année 2020 plu­sieurs branches qui pourront être gérées à l’instar des chaînes internationales. « J’espère que les responsables en Egypte vont encourager l’idée de cir­culer en moto et surtout prévoir des voies réservées aux deux-roues », ajoute El Chayeb. Bien qu’il aspire à attirer le maximum de fans des deux-roues, il reste soucieux des risques liés à la conduite d’une moto dans des rues non asphaltées, ce qui pourrait être dangereux pour les motocyclistes.

Un club privé

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Dans ce café, les passionnés de la moto peuvent approfondir leurs connaissances dans ce domaine (Photo : Bassam Al-Zoghby)

« Ce café rassemble les mordus de la moto. Il s’est transformé en un club où non seulement on se rencontre autour d’un café, mais surtout on organise des balades à moto avec des objectifs bien définis. Les programmes de loisirs, les actions caritatives, ainsi que les conseils pour ceux qui veulent s’ache­ter une moto pour la première fois, tout se déroule ici », lance Adham, 23 ans, en dernière année à la faculté de phar­macie. Dès qu’un fan demande un avis sur un modèle de moto ou veut s’en offrir une, les discussions se déclen­chent pour lui porter conseil. La plupart des clients font partie d’un groupe de motocyclistes. Harley, Ducati, Shadow Riders, Falcon ou LAMA. Ils adhèrent à ces groupes suivant la marque de leurs motos : cruiser ou moto de course. « J’ai choisi ma Honda CBR spéciale course, après avoir consulté tous ces groupes. Le moteur de cette moto peut atteindre la vitesse de 200 km en 10 secondes », explique Mahmoud, comp­table. Dans ce café, les passionnés de la moto peuvent échanger leurs expé­riences et approfondir leurs connais­sances dans le domaine de la moto.

On propose également des idées pour modifier la décoration de ces belles machines en ajoutant par exemple de la lumière ou des accessoires. Et pour plus de confort, les motocycles peuvent s’of­frir un support dorsal ou un coussin d’assise au siège. Nombreux sont les jeunes qui possèdent à la fois une voi­ture et une moto. Mais après avoir découvert ce café, la moto est devenue leur moyen de transport préféré. « Avoir un endroit où garer ma moto est un privilège qui m’évite les difficultés à trouver une place sécurisée dans la rue », souligne Ahmad, étudiant à l’Université allemande. Dans ce café, la liberté de circuler en moto est une preuve évidente du message adressé aux motards, qui est celui de pouvoir se déplacer partout et en toute liberté, y compris à Biker’s Joint.

« Ici, je ne me sens pas dévalorisé. En me promenant ailleurs avec mes amis, les passants me jettent souvent des regards méfiants comme si j’étais un voyou », souligne Salah, étudiant à la Modern Academy. Il ajoute qu’il est fréquent de rencontrer des personnes qui dénigrent les motos et leurs conduc­teurs. « Des personnes nous lancent des regards méfiants et nous demandent de garer nos motos loin du lieu où l’on doit se rendre tout en haussant le ton pour éviter toute discussion ou contestation de notre part », explique-t-il. Salah n’est pas le seul à rencontrer des gens qui se méfient des motocyclistes. C'est l’exemple de Khaled qui, un jour, a garé sa moto à proximité d’un hôtel 7 étoiles. Deux heures plus tard, quand il a voulu la récupérer, elle était par terre et toute cabossée. Il a dû dépenser beaucoup d’argent pour la remettre en état. A Biker’s Joint, on aide les motocyclistes à faire face à de tels inconvénients. Tous veulent prouver que circuler en moto est la solution pratique pour éviter les embouteillages. En effet, le trajet d’une heure peut prendre un quart d’heure en moto et c’est bien plus économique après la hausse du prix de l’essence.

De la maintenance aussi

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Une ambiance conviviale règne dans ce café. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Une ambiance conviviale règne dans ce café. Tout le monde sait à qui appar­tient chaque moto. Elles sont toutes garées à l’intérieur de ce commerce. Certaines ont besoin d’une réparation, d’autres d’une petite révision. Le prix est plutôt symbolique. « Je paye 50 L.E. pour une boisson et une petite répara­tion. Remettre sa moto en état ou véri­fier son moteur m’évite de recourir à des mécaniciens souvent malhonnêtes ou négligents et qui me considèrent comme un client de passage. Ici, clients et mécaniciens se connaissent. Ces der­niers sont soucieux de préserver la réputation de l’endroit », affirme Mohamad, architecte. Ouzo et Thomy sont responsables de la maintenance. Ils sont à l’écoute de tout le monde et ont fini par tisser des liens de confiance avec les clients grâce à leurs bons conseils et services. La maintenance des motos se fait sur place avec tous les équipements nécessaires pour changer l’huile, les bougies et le filtre, et ce, dans un coin qui est en retrait, mais au sein du café. Le lavage ou le changement d’une pièce de rechange se fait souvent sans déranger les clients. « A la première visite, on demande gentiment au client de réduire leur vitesse pour restreindre la fumée dégagée par les tuyaux d’échappement », explique El Chayeb.

Malgré cette indication, aucun respect pour l’environnement et l’on ne sait pas si la pollution émane de la fumée d’échappement des motos ou de celle des cigarettes ou des narguilés. Pourtant, les clients sont soucieux de respecter les normes de sécurité et portent des casques et des gants lorsqu’ils condui­sent leurs belles machines. Ils ont l’air décontractés. Certains imitent le look de leurs stars préférées. Certains sont coif­fés à la Bob Marley, d’autres portent de longues écharpes nouées autour du cou pour se protéger du vent et de la pous­sière. D’autres encore exhibent leurs lunettes de soleil et de protection, rêvant de devenir un jour des motocyclistes professionnels.

Une clientèle féminine aussi

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Le lavage ou le changement d'une pièce se fait souvent sans déranger les clients. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Héba, 22 ans, pénètre dans ce café en scooter. Elle porte une chemise laissant entrevoir un grand tatouage sur le haut de sa poitrine Don’t forget to love your­self (n’oubliez pas de vous aimer). « Le café offre un service de maintenance gratuit, 5 jours par semaine excepté le jeudi et le vendredi. Ici, les filles sont respectées et on est tous devenus des amis », dit-elle en commandant sa bois­son préférée à base de lait frais, Kitkat, Snickers et Orio. Le café offre égale­ment une carte de fidélité qui permet au client de bénéficier de points suivant la somme du chèque qu’il a versée. Il peut alors gagner un objet de décoration, des gants, des lunettes de soleil ou d’autres accessoires. « Ici, j’ai pu tisser des liens d’amitié avec beaucoup de motocy­clistes. Une fois, j’ai demandé de l’aide sur la page Facebook du café, car ma moto était tombée en panne, et très vite, l’un des membres du groupe m’a rejointe et m’a aidée à la réparer », rappelle Névine qui apprécie les moments agréables qu’elle passe à Biker’s Joint où tous les motocyclistes, hommes et femmes, se sentent à l’aise. Il est devenu leur seconde maison où ils peuvent profiter des jeux vidéo, à titre gratuit, sur Play Station ou X Box. Si un client veut jouer, il lui suffit de se diriger vers l’écran pour activer celui qu’il pré­fère. En plus, les jeunes sont libres d’écouter leur musique préférée, le pop et le rock. L’objectif de Biker’s Joint est de continuer à rassembler les passionnés de motos et d’encourager d’autres à faire partie de ce monde ou à venir le découvrir.

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