Une odeur singulière se dégage de chaque herbe. Menthe poivrée avec une odeur fortement aromatique, très fraîche. Menthe crépue ou menthe verte à l’odeur suave et pénétrante. Basilic au parfum agréable et légèrement citronné. Calendula à la fleur de couleur vive jaune orangé et d’une odeur discrète et douce. Camomille, aux feuilles sentant la pomme et à la fleur constituée de pétales blancs, ressemble à un joli chapeau …
Un mélange d’odeurs et de couleurs, une correspondance des sens. Ici, les champs d’herbes médicinales s’étendent à perte de vue. Ils sont cultivés de façon biologique sans insecticides ni engrais chimiques. Nous sommes à l’herboristerie Chambouliya, située au Fayoum à 170 km au sud-ouest du Caire. Tout le personnel est à pied d’oeuvre dès 6h. Un peu plus que d’habitude. Car l’autorisation d’exportation est arrivée. Le propriétaire de la ferme a signé un marché important avec l’Allemagne. Il faut terminer la cueillette le plus tôt possible. Le personnel, tous âges confondus, s’active dans tous les sens. Une dizaine de jeunes sont chargés de trier la récolte. D’autres mettent délicatement les plantes dans des paniers en osier. Tandis qu’un autre groupe est chargé de l’emballage. Solimane Chambouliya, propriétaire de l’herboristerie, observe chaque geste et ne cesse de donner des ordres. Les chauffeurs des dix camions s’apprêtent à charger la marchandise qui doit être à l’aéroport à 18h pile. « Nous exportons ces herbes médicinales vers plusieurs pays européens : le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, et d’autres encore. Pour être sûrs de la qualité, nous suivons les règles définies par chaque pays en ce qui concerne la production biologique », précise Solimane Chambouliya, propriétaire de cette ferme. Et Solimane compte bien transmettre son savoir et perpétuer la tradition : il initie déjà son fils, à peine en classe de 3e primaire, au métier d’herboriste.
« Ici, on remet au goût du jour les méthodes de nos ancêtres », dit-il. Car c’est une histoire de famille qui prospère avec les années. Dans les années 1980, son père Kamal Chambouliya ne possédait que 8 feddans de champs de plantes médicinales. Aujourd’hui, Solimane fils dispose de 90 feddans. L’histoire des plantes médicinales bios a commencé à la ferme Chambouliya après l’arrivée d’un homme de nationalité grecque qui a expliqué au propriétaire les bienfaits de l’agriculture biologique. Convaincue que les produits exempts de matières chimiques sont bien meilleurs pour la santé, la famille Chambouliya s’est lancée dans l’aventure avec pour objectif l’exportation. La rentabilité économique ayant été un facteur important pour convaincre cette famille. Depuis, la ferme Chambouliya est devenue une ferme pilote dans le gouvernorat du Fayoum, réputée pour sa culture de plantes biologiques de très haute qualité.
Fayoum en tête de liste
Mais, cette ferme de culture de plantes médicinales n’est pas la seule en Egypte. « Selon les dernières statistiques de 2015, le nombre de feddans cultivés d’herbes médicinales et de plantes aromatiques s’élève à 42 282, alors que dans les années 2000, on comptait 700 feddans », précise l’ingénieur Ahmad Abdel-Hakam, directeur du bureau technique auprès du Centre des recherches agricoles. « L’exportation de plantes biologiques en Egypte augmente d’une année à l’autre. En 2009, l’Egypte a exporté pour une somme de 44,5 millions de dollars. En 2010, à raison de 75 millions de dollars ; en 2014, la somme avait atteint les 111 millions de dollars », déclare le Dr Hani Hussein, expert dans le domaine des plantes médicinales travaillant auprès du Conseil d’exportation des produits agricoles. Ce genre de commerce est donc très rentable pour les propriétaires des fermes, les producteurs, les fournisseurs, les exportateurs, les commerçants et les ouvriers à la fois. « Dans les années 1990, pour 7 tonnes de plantes médicinales exportées en Allemagne et dans un seul conteneur, je gagnais 35 000 L.E. En 2004, j’avais atteint les 350 tonnes réparties dans 50 conteneurs, et j’ai empoché la somme de 1 750 000 L.E. Aujourd’hui, je gagne plusieurs millions par an », énumère le propriétaire Solimane Chambouliya.
En général, ce genre de plantes est cultivé en Haute-Egypte, car elles ont besoin d’un climat chaud et désertique. Entre mai et août, les températures grimpent jusqu’à 50°C (marjolaine, basilic, thym, menthe poivrée, menthe crépue, menthe pouliot, romarin s’adaptant au climat estival). D’octobre à mai, les températures sont supportables, allant de 20°C à 27°C pour les plantes s’adaptant au climat hivernal (camomille, calendula, coriandre ...).
« Mais aujourd’hui, le gouvernorat du Fayoum occupe la première place dans le domaine de l’exportation. L’agriculture biologique a gagné 10 152 feddans des champs du Fayoum, 70 % de la récolte bio du gouvernorat servant à l’exportation. Le gouvernorat de Béni-Souef est classé en 2e position avec 8 976 feddans, et 40 % de sa récolte est réservée à l’exportation. En 3e place, c’est le gouvernorat de Minya avec 7 560 feddans. Puis, Assiout en 4e place avec 1 886 feddans et Qéna avec 494 feddans », cite l’ingénieur Ahmad Abdel-Hakam. « En outre, le nombre d’exportateurs a nettement augmenté : 266 exportateurs en 2009 ; 280 en 2011 et 420 en 2015 », confie Dr Sabri Al-Chami, conseiller en matière de plantes médicinales et aromatiques.
Recettes miracles

La culture des plantes médicinales a besoin du climat chaud et désertique de la Haute-Egypte.
Abdel-Guélil Al-Khouli, propriétaire d’une ferme de 50 feddans, exporte vers deux pays : l’Allemagne et le Japon. Il nous montre comment prendre soin de soi avec des traitements 100 % naturels et énumère quelques recettes. « Le calendula est utilisé en cas de grippe, de congestion lymphatique, de fièvre et d’inflammation de la bouche, de la gorge ou de tout le système digestif. Par voie externe, on l’utilise sur la peau pour combattre les inflammations, les infections, ainsi que pour désinfecter les blessures. Les feuilles de basilic et la citronnelle écrasées sur la peau sont des plantes dont l’odeur fait éloigner les moustiques. Si de nombreux insectes fuient le basilic, c’est bien à cause de son odeur. Sachez que les papillons et les abeilles sont, au contraire, attirés par ce dernier », dit Abdel-Guélil Al-Khouli en se référant à son expérience de 25 ans avec les plantes médicinales.
Se soigner avec les plantes médicinales, c’est un mode de vie, surtout pour ceux qui travaillent dans ce domaine. Am Mahmoud Agami, fermier de 59 ans, connaît et apprécie les plantes médicinales sous toutes leurs formes, de la graine à la tasse ! Il les cultive, les cueille, les fait tamiser, les broie et les fait sécher au soleil. Depuis ses débuts à l’herboristerie Al-Kamal, il y a 40 ans, il n’a jamais pris aucun médicament. Am Mahmoud Agami se soigne grâce à ces plantes comme substituts aux médicaments traditionnels. « Il ne faut pas attendre d’être très malade pour se soigner, mais plutôt choisir la ou les plantes qui aident à rétablir les déséquilibres dans le corps », dit-il en souriant. Il cite une recette secrète que les Russes lui ont donnée quand ils sont venus en visite à la ferme, l’an dernier. « Infuser quelques grammes de camomille séchée dans de l’eau bouillante pendant une dizaine de minutes et en boire 2 à 3 tasses par jour », conseille Am Ahmad, en ajoutant que la camomille permet de réduire les douleurs articulaires causées par les rhumatismes. Quant à la bourrache, très peu connue par les gens, elle a ses bienfaits. « Mon oncle paternel la buvait en infusion de 3 à 4 fois par jour. Cette plante a la propriété de réduire le taux de sucre dans le sang de manière significative et de diminuer le taux du mauvais cholestérol dans le sang. C’est une recette allemande », ajoute un autre fermier, passionné d’herbes médicinales depuis 20 ans.
Autant de pratiques qui remontent à loin, à l’Egypte Ancienne. « Le papyrus égyptien dresse l’inventaire d’une douzaine de plantes médicinales. Les techniques médicales mentionnées dans les différents manuscrits égyptiens constituent les bases de la pratique médicale classique en Grèce, à Rome et dans le monde arabe », témoigne Dr Yasser Osman, professeur de plantes médicinales et aromatiques auprès du Centre de recherches désertiques. Il poursuit en citant quelques exemples : Les pharaons utilisaient le cumin et cela remonte à cinq mille ans. Chez eux, le cumin avait des vertus médicinales, les tombeaux pharaoniques étaient parsemés de graines de cumin par les membres des familles pharaoniques. Ils utilisaient le fenugrec pour embaumer les morts et purifier l’air. En Egypte Ancienne, le carvi était réputé pour chasser les esprits malfaisants, il était aussi utilisé pour faciliter la digestion.
De vraies formations

75 156 tonnes de produits bios ont été exportées en 2015.
L’Egypte a commencé à découvrir les produits biologiques grâce à la ferme Sekem, fondée en 1978 par Ibrahim Aboul-Eich, agronome, qui, de retour d’Allemagne, a été choqué par les quantités d’insecticides employés. La ferme Sekem, située à environ 50 kilomètres du Caire, sur la route Le Caire-Belbeis, est la première du genre en Egypte à avoir adopté l’agriculture bio. Au milieu des années 1980, cette culture s’est répandue en Egypte dans quelques fermes privées pour atteindre les 60 000 feddans sur une superficie totale de 14,4 millions de feddans. « Sekem organisait des formations tous les dimanches. En 1991 et 1992, je faisais tout mon possible pour ne pas rater ces séances », se souvient Abdel-Guélil Al-Khouli, propriétaire d’une autre ferme, qui était à l’époque en première année à la faculté de polytechnique. Au début, lorsqu’il a décidé d’opter pour le métier d’herboriste, la superficie de ses terrains ne dépassait pas les 2 feddans. Aujourd’hui, il en possède 45.
« L’Association du Fayoum pour l’agriculture biologique, en coopération avec le laboratoire central de l’agriculture biologique, a réussi à former plus de 5 900 paysans aux techniques de l’agriculture biologique », signale le président de l’Association, Mohamad Al-Médani. L’association organise des formations dans ce sens, trois fois par semaine. Assis les uns à côté des autres, les paysans suivent avec attention l’enseignement dispensé dans la ferme. Le lieu revêt des allures de classe d’école. Les têtes sont rivées vers le professeur d’agronomie qui leur explique les techniques innovantes en matière d’agriculture biologique. D’habitude, ceux qui assistent à ce genre de séminaires ne sont pas des diplômés en agronomie. Ils veulent prendre des cours en matière de culture de plantes médicinales et découvrir les règles d’or de l’exportation des produits agroalimentaires. C’est le cas de Radwa Sabra, 32 ans, diplômé de la faculté de commerce. Tous les herboristes et les agriculteurs d’Egypte qui travaillent dans le domaine des herbes médicinales et des plantes aromatiques sont de sexe masculin. Mais toute règle a une exception. Voilée, fraîche, dynamique, Radwa est la plus jeune herboriste et exportatrice sur tous les gouvernorats d’Egypte. Et pas seulement cela, elle est la seule femme à travailler dans ce domaine. « Je pensais que c’était plus pour les hommes, je n’y connaissais rien », confie celle qui a décidé de suivre une formation agricole. Au début, elle a travaillé dans une grande ferme dans le Fayoum. Ensuite, elle a décidé de travailler à son compte et créer sa propre entreprise. Radwa a acheté trois feddans pour cultiver des plantes médicinales destinées à l’exportation. Comme tous les autres, Radwa a dû s’inscrire pour obtenir une licence de culture bio que délivre le Centre égyptien pour l’agriculture biologique. Situé au Caire et dépendant de l’Union européenne, il est considéré comme un centre de contrôle reconnu sur le plan international, et il est parmi les cinq autres dont la mission est de délivrer ce genre de licence. « Une ferme bio doit être cernée par une clôture, ou par des allées d’arbres et située loin des conduites de drainage sanitaire, des autoroutes et des usines ; bref, loin de toute pollution », précise un responsable au Centre de recherche agricole. Si son lopin est vierge, le propriétaire peut cultiver tout de suite et exporter sa production, car la terre n’a pas été contaminée par les pesticides ou les engrais chimiques. D’autres parcelles peuvent obtenir des licences en culture bio après 24, 36 ou 48 mois car il faut attendre que le sol redevienne propre et adapté à la culture bio. La mission de ces centres, qui délivrent ces certificats de conformité, est de superviser toute culture bio en Egypte, à savoir inscrire les fermes ou les agriculteurs, contrôler les sites bio tous les trois mois, délivrer les certificats de produits bios, conformément aux lois et conditions de la culture bio en Egypte.
Mona Al-Eriane, pharmacienne de formation, s’est elle aussi lancée dans les affaires, mais dans le domaine cosmétique. Mona n’a jamais pensé à pratiquer ce métier. L’idée lui est venue à la suite des effets secondaires des shampoings « normaux » contenant des substances chimiques sur sa fille : irritation du cuir chevelu, allergie, photosensibilisation, etc. Mona a donc commencé à fabriquer des savons et des shampoings à base de plantes. Et comme la quantité était grande, elle en a distribué à ses parents, ses proches, ses amies, ses collègues, ses voisins, etc. Tout le monde l’a encouragée à se lancer dans la production d’extraits bruts de plantes. Aujourd’hui, elle fait tout, de A à Z. « Je cultive, je fabrique et j’exporte savons et shampoings ... du 100 % bio et made in Egypt », dit-elle non sans fierté.
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