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Le tahtib moderne, c’est aussi pour les femmes

Loula Lahham, Dimanche, 30 juillet 2017

Le tahtib (art martial du bâton) est pratiqué en Egypte depuis plus de 5 000 ans. Historiquement réservé aux hommes, il est aujourd’hui de plus en plus pratiqué par la gent féminine.

Le tahtib moderne,  c’est aussi pour les  femmes

Petite brunette de 25 ans, elle est diplômée de la faculté d’éducation sportive et travaille comme professeure de sport dans l’une des écoles du village de Nékheila, dans la région d’Assiout. Rania se sent fière parce qu’elle était l’une des femmes qui s’étaient courageusement révoltées contre les traditions saïdies millénaires. « Je suis la première femme qui pratique ce jeu depuis sa naissance à la cinquième dynastie de l’ère pharaonique », dit-elle en souriant. Certes, il n’était quasiment pas permis aux femmes de le pratiquer. « Mon nom fut présenté à M. Adel Boulad en tant que candidate pour suivre une formation à ce sport. De ma part, j’ai voulu briser le tabou. Et pour ma grande surprise, mes parents n’ont pas refusé ». La formation de Rania a duré un mois à la fin duquel elle a été classée deuxième meilleure entraîneure. « A ma deuxième formation, je suis sortie numéro un ». Et de poursuivre : « En fait, je n’ai aucun problème à pratiquer ce jeu devant les hommes dans de grands ou de petits cercles ».

Ce qui compte pour la jeune athlète c’est de ressusciter les composantes positives de la personnalité égyptienne telles le courage, le respect de l’autre, la confiance en soi, l’intégrité, la qualité de la relation aux autres, la souplesse globale et l’engagement authentique.

Le tahtib moderne, c’est aussi pour les femmes
Il n’était quasiment pas permis aux femmes de pratiquer le tahtib ancestral.

Rania Medhat continue : « La pratique du tahtib moderne développe aussi les qualités physiques comme la souplesse, l’endurance, la force, la résistance dans une gestuelle rapide, fluide et puissante qui entretient et développe une bonne santé physique et mentale. Le tahtib moderne m’aide beaucoup à surmonter les faiblesses habituelles de mon genre ou celles de mon corps ». Il va sans dire que quand Rania marche dans la rue de sa ville natale, par exemple, personne n’ose l’approcher ou la taquiner. Elle sait très bien se défendre. « Le fait d’être sportive de nature m’a vraiment facilité beaucoup de choses. Je suis préparée physiquement à pratiquer n’importe quel sport », ajoute Rania avec fierté. Elle a même invité d’autres jeunes hommes et jeunes filles pour apprendre et s’entraîner : « Je suis leur coach ! ».

Elle souligne que le tahtib moderne la place souvent dans des positions de défi avec les hommes et qu’elle a la possibilité de prouver que les femmes ont de l’intelligence et de l’esprit et qu’elles peuvent, avec leur corps plus petit et plus faible, gagner un duel, « parce que ce sport n’a pas besoin de grands muscles et d’un physique énorme, mais essentiellement à de l’intelligence », en notant qu’elle est devenue entraîneur de jeunes hommes ou filles, après avoir prouvé sa remarquable capacité en tant que joueuse.

Et le rêve de cette petite brunette ? « Bien sûr que je rêve de présenter un duel aux Jeux olympiques. J’ai même commencé à choisir mon équipe internationale ! ». Utopique et très optimiste, si nous savons qu’introduire un sport dans le cadre des Jeux olympiques prendrait de 7 à 10 ans minimum.

Le tahtib est une pratique ancestrale qui date des pharaons. La première école de tahtib a été créée à Minya, et d’autres ont suivi comme celles d’Assiout, de Sohag et de Louqsor (respectivement à 240, 370, 495 et 720 km au sud du Caire, dans la Vallée du Nil).

Le sport des ancêtres thébains

Le tahtib moderne, c’est aussi pour les femmes
Le jury du tournoi était composé de grands maîtres du tahtib traditionnel.

Yvonne Saad, institutrice dans une école de Louqsor, étend ses aspirations et demande d’apprendre le tahtib moderne. Elle est maintenant entraîneur de ce sport dans son école. « J’ai choisi ce sport parce que c’est celui de mes ancêtres thébains. J’aime ce défi et cette autodéfense qui ne se trouvent dans aucune autre discipline », a-t-elle dit. Et d’ajouter : « Au départ, mes parents avaient catégoriquement refusé que je pratique ce sport, masculin et violent, selon eux. Mais c’est ma grand-mère qui les avait convaincus de me laisser faire ce que je veux ». Yvonne ne possède pas de grande force corporelle. « Il s’agit de posséder le savoir-faire, de maîtriser la manipulation du bâton et d’avoir beaucoup de courage ». Yvonne se rappelle : « Quand M. Adel Boulad m’a choisie, le jury était composé des grands maîtres du jeu qui, eux, refusaient catégoriquement la participation des femmes. Sur le tapis, je ne pouvais que paraître comme un homme fort ».

Yvonne continue de nous livrer ses souvenirs. « Une fois, en marchant dans les rues du Caire, la police m’a arrêtée avec mon bâton. Les officiers pensaient qu’on partait pour une bataille. Ils nous ont amenés au poste de police et nous ont libérés après avoir vu le permis et l’abonnement du club dans lequel mon équipe s’entraînait. Un deuxième arrêt a eu lieu dans la gare du Caire. Nous devons toujours avoir la preuve que nous sommes des pratiquants d’un jeu de bâton et qu’il est naturel de le porter avec nous ».

Ancien et nouveau tahtib

Le tahtib moderne, c’est aussi pour les femmes
Rania Medhat rêve de participer à un tournoi mondial de tahtib moderne et de créer une académie qui forme des hommes et des femmes à ce sport.

Le tahtib ancestral remonte à des millénaires, tel que représenté sur les murs des tombes de la région de Saqqara, dans la banlieue du Caire, ou sur celles des tombes de Béni-Hassan, à Minya, en Moyenne-Egypte.

C’était un art de combat guerrier : deux hommes qui se battent avec chacun un bâton. Au cours des siècles avant l’apparition de la télévision, les sociétés rurales en Haute-Egypte se sont attribué l’art de combat du tahtib. Elles l’ont préservé et développé comme étant le « jeu du bâton » parmi d’autres jeux pratiqués dans les longues veillées, des jeux de sociétés comme le « siga », ancêtre du jeu de dames, des jeux d’adresse physique et mentale, des chants, etc. De ce fait, le public présent participe à la célébration. Il a trois rôles essentiels : il encourage et rythme les jouteurs lors des duels, il supervise et garantit le bon esprit de la célébration (engagement et respect), et à tout moment, un des membres présents peut devenir jouteur avec la bienveillance des jouteurs avancés.

Au-delà du tahtib traditionnel égyptien, une version moderne, codifiée, naît dès 2014. C’est ce que Adel Boulad appelle le Modern Tahtib. Boulad est un sexagénaire égyptien qui vit en France depuis des dizaines d’années. Passionné des jeux de combat, comme le judo, le karaté et l’aïkido, il réinvente le tahtib en reprenant en partie les codes festifs du tahtib traditionnel. Boulad présente le jeu moderne du bâton et ses règles d’abord dans un manuel, puis dans un livre portant le même nom, en vente à Amazon.com et partout en Europe.

Le tahtib moderne se distingue, entre autres, par une pratique sportive mixte : hommes et femmes sont admis dans les mêmes combats. Les aspects relatifs à la danse, à la virilité et à la séduction des femmes ont été remplacés par des valeurs plus martiales et collectives. C’est également grâce au tahtib moderne que sont introduites les tachkilas, des formes codifiées de combat, au même titre que les kata en karaté ou les taolu en kungfu.

Le tahtib moderne possède également son propre équipement : tenue et ceinture spécifiques, abandon de la galabiya traditionnelle égyptienne, et ses protocoles : entrée en combat, sortie de combat.

Un accompagnement par la percussion est toujours en pratique dans le tahtib moderne, tandis que d’autres instruments (le mizmar) ont été éliminés.

Le tahtib moderne a été présenté au Festival des arts martiaux 2016 de Bercy, dans différentes émissions télévisées, ainsi qu’au British Museum en 2015. Il a été reconnu par l’Unesco comme faisant partie du patrimoine immatériel de l’humanité, en novembre 2016.

Le tout premier tournoi de tahtib moderne a eu lieu en mai 2017 à Paris, opposant les sept premiers clubs français. En Egypte, le premier tournoi a eu lieu le 1er juillet, dans les prémices du fameux club Seid (tir) à Doqqi, opposant 11 équipes venant de Haute-Egypte, avec la présence du président du club, Amr Al-Saïd, et quelques hauts responsables. La création d’une fédération sportive pour ce sport est en cours.

En fait, Rania, Yvonne et leurs camarades, les guerrières-athlètes d’aujourd’hui, n’arrêtent pas de fournir tous les efforts nécessaires pour perfectionner cet art et l’enseigner à leurs élèves.

« J’invite toutes les filles à pratiquer ce sport. Avec une volonté de fer, la femme peut tout faire », ont-elles dit d’une seule voix .

Le tahtib moderne en quelques lignes
Le bâton utilisé est de 130 cm de long et 3 cm de diamètre environ. Il est en bois de rotin, bois fibreux et souple. Pour les entraînements, il faut prévoir une tenue de sport souple adaptée aux saisons. La tenue de célébration à intention martiale et festive est composée de chaussures de sport souples et de couleur noire, chaussettes noires, pantalon souple et noir, polo à col roulé ou polo simple en été de couleur noire, ceinture rouge nouée centrée à 3 doigts sous le nombril. La tenue traditionnelle égyptienne, la galabiya, est réservée aux spectacles à intention démonstrative.

L’art du tahtib moderne se pratique sur tous types de terrains, mais de préférence un terrain plat. Il faut prévoir 15 m2 par personne en cas de joutes simultanées, sinon 10 m2/personne. Pour les joutes, prévoir un cercle de 30 m2, soit un cercle ayant pour diamètre la longueur de 5 bâtons.

Le duel dure entre une minute et une minute et demie. Le joueur qui arrive à toucher la tête de son adversaire gagne. Est gagnant aussi celui qui touche son adversaire deux fois de suite, ou trois fois qui ne se suivent pas.

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