« Depuis la révolution, la situation sécuritaire instable fait peur aux commerçants et aux clients », dit Amr. La cliente se sent plus tranquille en voyant ces vigiles qui font des va-et-vient incessants devant les bijouteries.
Moustapha, le vigile, se fond dans la foule pour détecter le moindre mouvement suspect. C’est cette situation qui règne au souk de Midane Al-Gamie à Héliopolis, considéré comme le deuxième plus important marché de l’or en Egypte.
Mais depuis le déclenchement de la révolution, c’est la peur qui règne dans ce marché. Des millions de livres dorment dans les deux rues principales, ce qui suscite la convoitise des voleurs, dont le nombre est en recrudescence. « Le nombre de crimes a quadruplé et la police est quasiment absente, occupée par d’autres problèmes. Il a fallu se débrouiller pour protéger nos vies et notre gagne-pain ». Amr exprime haut et fort ce que ressentent tous les bijoutiers de ce marché.
Ces derniers sont obligés à assurer leur propre sécurité. Pourtant, ils ne cachent pas leur inquiétude et la tension qu’ils ressentent à chaque fois que quelqu’un entre dans leurs magasins. Ils ne peuvent s’empêcher de jeter des regards suspicieux surtout si le client n’est pas connu.
Tout semble comme d’habitude
En se promenant dans ce souk grouillant de monde, les visiteurs ne remarquent aucun changement. Des dizaines de bijouteries collées les unes aux autres bordent les rues. Mais dans ce souk, on ne vend pas uniquement que des bijoux. On y trouve des magasins de vente en gros, un grand marché de légumes et de fruits et un endroit réservé à la vente de tapis. C’est un souk très animé où les magasins restent ouverts 24 heures sur 24.
Dans ce décor, le commissariat de police garde sa place au centre du souk. Mais les choses ne sont plus comme avant. La relation entre les commerçants et les agents de police n’est plus la même. Aujourd’hui, personne n’attend rien de l’autre.
« Notre commissariat a été l’un des rares à n’avoir pas été attaqué lors de la révolution. Dans ce marché, tous les propriétaires de magasins se connaissent et ont toujours entretenu de bonnes relations avec la police », dit Karim, un bijoutier.
Karim termine ses propos en pointant du doigt la fenêtre d’un appartement au premier étage, en face de son magasin. En la regardant, rien de suspect, mais le bijoutier affirme que derrière les rideaux se trouvent des hommes armés surveillant l’endroit nuit et jour. Et ce n’est pas le seul appartement qui sert de « mirador ».
Les vigiles sont des militaires des forces spéciales à la retraite. Mais ces mesures coûtent excessivement cher : un garde spécial peut toucher entre 300 et 400 L.E. par jour. Mais d’après les bijoutiers, c’est une somme dérisoire à côté de ce qu’ils risquent de perdre en cas d’attaque. Tous les bijoutiers se partagent les frais de ce genre de protection.
Les visiteurs, eux, ne peuvent reconnaître ces vigiles habillés en civil. Ils bougent tout le temps, sans se faire remarquer. Comme à l’accoutumée, les passants admirent d’un côté les vitrines remplies de bijoux et, de l’autre, les fruits et légumes ou les pacotilles exposées sur les trottoirs par les vendeurs ambulants.
Avant, les agents de police patrouillaient deux par deux, faisant des va-et-vient incessants. D’autres se tenaient à des endroits fixes, exhibant leurs tenues et leurs armes. Ce n’est plus le cas depuis deux ans. Ce qui a obligé les bijoutiers à acheter des armes et à installer des portes blindées.
Rester calme face à la psychose
Mais certains bijoutiers refusent de vivre dans cette situation de psychose. Ils se protègent, mais sans dépenser beaucoup d’argent. Ossama Raouf explique qu’il ne faut pas exagérer. Selon lui, le danger existe à cause du manque de sécurité, mais « ça ne fait pas craindre quand on se trouve dans un tel endroit où chaque bijoutier a plus de dix employés, et quand on a en face des marchands de fruits qui représentent une ligne de défense en cas d’agression ».
Les bijouteries qui pourraient faire l’objet d’attaques sont celles qui sont isolées. Pour lui, la situation stratégique du souk suffit en elle-même. Il faut cependant prendre quelques précautions supplémentaires comme celle d’ouvrir plus tard que les autres magasins et de fermer avant.
Mais rares sont les bijoutiers qui partagent le point de vue de Raouf. Après la révolution, on a déjà attaqué Al-Sagha, le centre névralgique de la vente de l’or en Egypte. Pour beaucoup, il ne faut pas prendre les choses à la légère comme dit Rafiq Abassi, chef du secteur de l’orfèvrerie à l’Union des industries.
« Les magasins de Midane Al-Gamie ont déjà fermé durant une semaine lors du premier chaos qui a suivi le déclenchement de la révolution à cause de la disparition de la police », dit Abassi. Pour les bijoutiers, le choix est vite fait : rester chez eux en attendant le retour de la police ou braver le défi en trouvant des moyens pour se protéger.
« Nous avons choisi de survivre même si l’on doit dépenser de l’argent pour protéger nos vies. A présent, on n’attend plus rien de la police. Au contraire, ce sont les policiers du commissariat qui se sentent protégés, grâce à nous », conclut Amr, en surveillant lui-même la position des nouvelles caméras qu’il vient d’installer.
Ironie du sort, les rôles se sont inversés. Aujourd’hui, ce sont les bijoutiers qui protègent la police.