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La polygamie, pourquoi pas ?

Chahinaz Gheith, Lundi, 05 décembre 2016

Si la polygamie reste minoritaire et plutôt mal perçue, certaines jeunes femmes acceptent, pour des raisons différentes, le statut de seconde épouse. Témoignages.

La polygamie, pourquoi pas ?

« La polygamie, c’est un choix de vie. Et le coeur a vraiment ses raisons que la raison ne connaît pas ... », lâche Chérine, une pharmacienne de 27 ans. On a affaire à une femme à la fois cultivée et jolie, pourtant, elle a accepté d’être une seconde épouse et ce, malgré le refus de ses parents à cette union. « Je l’ai trouvé différent de tous les prétendants que j’ai rencontrés et qui étaient célibataires. Il n’était pas heureux avec sa femme, mais il tenait à préserver la stabilité de son foyer et ne pas perturber psychologiquement ses enfants », explique Chérine, qui, après une relation amoureuse de deux ans, s’est mariée avec Islam, père de deux enfants. Mais est-elle jalouse de sa première femme ? « Absolument pas, il passe 5 à 6 nuits à mes côtés et n’a plus de relations intimes avec sa première épouse. Il y va pour rendre visite à ses enfants, un peu plus souvent ces derniers temps pour réviser le bac avec son fils », répond-elle, tout étant fière de son statut de favorite.

Cela dit, les jeunes filles comme Chérine sont une minorité. Mais lorsque le tintement de l’horloge hormonale commence à sonner, on se hâte, mais il n’est guère facile de trouver chaussure à son pied. D’autant plus que certaines pensent qu’il y a plus de femmes que d’hommes en Egypte, et que leurs chances de trouver un mari sont réduites. Pourtant, les derniers chiffres de l’Organisme central de mobilisation et de statistiques ont démontré que le taux des hommes atteint 51 % et celui des femmes est de 49 %. Mais à force de ressasser cette fausse idée, de nombreuses femmes qui, craignant de rester vieilles filles, acceptent le statut de seconde épouse. Tel est le cas de Dalia, 34 ans, professeure dans une université privée. « C’est aussi mon droit de me marier. Qu’il soit déjà marié ou pas, ce n’est pas mon problème. Dans notre société, les femmes célibataires sont stigmatisées et pointées du doigt. Alors, il me fallait coûte que coûte trouver un mari, quitte à être deuxième ou troisième épouse, le jeu en vaut la chandelle », dit Dalia. D’ailleurs, cette femme ne se soucie guère de la société qui considère la deuxième épouse comme une intruse jouant un méchant rôle en brisant les foyers. Avant d’épouser son mari, Dalia lui a posé une seule condition : avoir son propre chez-soi. Partager la même maison avec la première épouse, « c’est trop d’histoires », dit-elle. « L’homme qui voudrait me prendre comme deuxième, troisième, voire quatrième épouse devra me trouver un logement. Que chacune reste dans sa maison ».

Un choix avantageux

Selon elle, le choix d’avoir un époux polygame est avantageux : il permet de préserver un minimum de liberté tout en étant mariée. « La polygamie m’arrange parce qu’elle me permet de bien concilier travail et ménage. Je n’ai vraiment pas le temps de faire la cuisine tous les soirs. Avec mon statut de deuxième épouse, je ne vois mon mari que trois fois par semaine. Ce qui me permet, le reste du temps, de vivre ma vie et vaquer à mes occupations », poursuit-elle, tout en assurant qu’elle doute fort qu’elle ait pu être aussi heureuse si elle avait à voir son mari tous les jours.

Entre amour et raison, chacune y va de sa théorie ou justification. Chérine et Dalia ne sont pas les seules à opter pour la polygamie. Plusieurs jeunes filles désirent humer le parfum de la vie conjugale et n’hésitent plus à cibler la deuxième position dans un ménage polygame. Une acceptation de la part des femmes contemporaines pour lesquelles il s’agit de polygamie positive plutôt que d’être négative. On dirait plutôt que la polygamie est au goût du jour, et ne fait plus l’objet de clandestinité comme c’était le cas jadis. Divers groupes créés récemment sur Facebook visent à défendre la polygamie. Ces pages portent les noms suivants : « La seconde épouse », « Le rêve de tout homme », « Marie ton mari » et « La polygamie en islam ». Des initiatives qui essaient de revaloriser la polygamie auprès de la population égyptienne.

Une seconde épouse vaut mieux qu’une maîtresse !

Rania Hachem, diplômée de la faculté des lettres et travaillant dans le domaine des ressources humaines, est un exemple emblématique. Cette femme libérale, âgée de 34 ans et mère de trois filles, pense que la femme ne devrait pas être dérangée par la polygamie, qu’elle ne devrait pas être égoïste, et du coup, courir le risque de voir sa vie ratée. « Nous sommes à la fois, fille, mère et femme. Il faut faire taire l’égoïsme et écouter un peu plus la raison, cela va permettre aux vieilles filles mais aussi aux divorcées et veuves d’être à l’abri du besoin et de partager le bonheur du mariage », explique-t-elle pour justifier le lancement de sa campagne de défense de la polygamie appelée « Al-Taaddod Charéi » (la polygamie est licite).

Rania, qui plaide depuis deux ans pour la polygamie et la soutient, est allée jusqu’à autoriser son conjoint à se remarier. « Si mon mari estime que je n’arrive plus à subvenir à ses besoins sur tous les plans, je l’autorise à se remarier, mais à condition qu’il demeure juste et équitable », dit-elle, tout en ajoutant que le fait de respecter le droit de son mari c’est aussi éviter l’infidélité. « Une seconde épouse vaut toujours mieux qu’une maîtresse. Quand un homme veut aller voir ailleurs, rien ne l’empêche. Alors, mieux vaut qu’il se remarie », poursuit-elle. Une exception cette Rania ? Pas tant que ça. L’initiative n’est pas nouvelle puisqu’elle a été lancée depuis une dizaine d’années par Hayam Darbak, journaliste, qui a appelé les hommes, en capacité physique et financière, à épouser une deuxième, troisième, voire une quatrième épouse.

Et ce, à travers son association nommée Taysir (littéralement faciliter) ayant comme slogan « Une seule épouse ne suffit pas ». Sans oublier aussi les appels au mariage des réfugiées syriennes. Certaines initiatives incitent même au rire : l’initiative du directeur de la Banque de développement agricole qui a décidé, en 2013, de s’inscrire dans l’air du temps, d’octroyer des crédits aux jeunes agriculteurs pour les inciter au mariage et à la polygamie pour mettre fin au célibat des vieilles filles ! « La polygamie c’est la solution », lançait-il. Une initiative qui consistait à donner un crédit à un taux de 3 % pour la première épouse puis le taux s’élève à 6 % pour la seconde !

Les féministes en colère

Des appels et des initiatives qui provoquent l’indignation de plusieurs féministes qui combattent cette pratique qu’elles considèrent comme « une régression ». « La polygamie est une atteinte à la femme ainsi qu’à son épanouissement personnel, il faut la supprimer et non pas l’encourager. La femme, par définition, n’accepte pas de partager son homme », rapporte Nihad Aboul-Qomosane, présidente du Centre égyptien des droits de la femme, tout en se demandant pourquoi ces appels aux hommes mariés de se remarier et non pas aux célibataires ! « Et puis, qui peut garantir que cet homme va être équitable alors qu’il arrive d’être injuste envers ses propres enfants ? Même le Coran insiste pour rappeler à celui qui craint d’être injuste de se contenter d’une seule femme », poursuit-elle, tout en ajoutant que la religion présente des conditions quant à la polygamie. Le musulman ne doit y recourir que dans certains cas seulement, à savoir, quand la femme est malade ou stérile. Donc, ce n’est pas un droit absolu, puisque le Coran cite des restrictions. Le verset de la sourate Al-Nissaa est très explicite : (... Epousez comme il vous plaira, deux, trois, et quatre femmes. Mais si vous craignez de n’être pas équitables, prenez une seule femme). Le Coran met encore l’accent sur ce point : « Et vous ne pouvez être justes », ce qui signifie que le Livre saint émet une réserve quant au second mariage, car il est clair qu’on ne peut pas éviter le favoritisme.

Contradictions

Au-delà du débat religieux, la sociologue Hala Mansour pense que la polygamie est loin d’être un effet de mode. Selon elle, le « oui » de la jeune génération à la polygamie est dû au vent de changement qui souffle en Egypte. « C’est aussi le résultat d’une évolution des mentalités. Après la révolution du 25 janvier, les femmes sont de plus en plus libres dans leur choix. Elles ont acquis un caractère rebelle », explique-t-elle. Cela semble contradictoire mais selon la sociologue, « la perspective d’être confrontée à ce syndrome de la polygamie ne fait plus reculer certaines femmes ».

Certaines ont même tendance à vouloir être une deuxième épouse. Avec des calculs pas toujours très catholiques. C’est le cas de Nada, 37 ans, travaillant dans une société de téléphonie mobile et qui s’est mariée, il y a deux ans, avec un homme déjà marié. Elle est fière d’être une seconde épouse. Très indépendante, cette femme a voulu exploiter les points faibles de son mari pour mieux le garder. « J’ai toujours souhaité devenir une seconde épouse, sachant que les hommes sont polygames par nature. Je préfère être la seconde, la nouvelle arrivante, que celle qui voit son mari prendre une deuxième épouse ».

En fait, la polygamie ne la dérange guère, car elle a grandi dans une famille polygame qui s’entend bien. « Etre première épouse, c’est difficile. Tu vis avec ton mari les plus durs moments de la vie, un jour, il réussit à avoir un peu d’argent et décide de prendre une deuxième femme », fustige-t-elle. Reste à savoir ce qu’en pense son mari. « Que veux-tu que je te dise ? La passion que j’éprouvais pour la mère de mes enfants a disparu. Plutôt que de divorcer et de créer une fracture douloureuse dans la famille, j’ai préféré prendre une seconde femme. Mon épouse a soutenu ma décision. Je ne regrette pas l’avoir fait surtout que j’ai les moyens de subvenir aux deux familles. Aujourd’hui, tout le monde est content », témoigne Malik, commerçant.

Mais, Rim, la trentaine, ne pense pas de la même manière et préfère ne pas se marier plutôt que d’être une deuxième épouse. Pour elle, partager son homme serait pour elle le pire des calvaires. Vieille ou jeune, la femme coépouse doit être forte et futée pour ne pas sombrer dans le piège de la jalousie, rageuse et rongeuse. « Si une femme possède une belle robe, elle consentira difficilement à la prêter même à sa meilleure amie, et s’il s’agissait de son propre mari, accepterait-elle de le partager avec une autre ? », conclut-elle.

10,6 % de polygames en Egypte

Selon les statistiques de l’Organisme central de mobilisation et des statistiques sur le célibat, 13 millions d’Egyptiens de plus de 35 ans sont célibataires, dont 2,5 millions d’hommes et 10,5 millions de femmes. Ce taux de célibat peut s’expliquer par les difficultés économiques rencontrées par une certaine catégorie de la population, notamment avec un taux de chômage qui s’élève à 13,2 %. Outre les célibataires, il y a un cas de divorce toutes les minutes. D’après le Centre national des recherches sociales, 10,6 % des Egyptiens sont polygames, contre 22 % au Maroc et 4 % au Liban. D’ailleurs, les tendances sociales à l’égard de cet aspect varient d’un pays arabe à l’autre. Alors que certaines sociétés arabes sont pour la polygamie, à l’exemple des pays du Golfe, ou bien éprouvent une tolérance partielle comme en Egypte, la Tunisie interdit la polygamie et sanctionne les polygames par 10 ans de prison.

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