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La beauté sans discrimination

Manar Attiya, Lundi, 31 octobre 2016

Pour la première fois en Egypte, un concours Miss handicap aura lieu en décembre. Une initiative courageuse qui vise à mieux intégrer les personnes ayant un handicap. Reportage dans les coulisses des préparatifs de la compétition.

La beauté sans discrimination
Les jeunes filles ont voulu saisir leur chance (Photo : Essam Chokri)

« Je serai Miss handicap d’Egypte », lâche avec assurance l’une des candidates lors d’une répétition qui précède le concours prévu en décembre prochain. Au club sportif de Tanta, les préparatifs vont bon train. Toutes les candidates sont en situation de handicap. C’est en fait l’une des conditions essentielles pour participer à ce concours. Quelques filles se déplacent en chaises roulantes, d’autres marchent à l’aide de béquilles.

Une candidate malentendante utilise le langage des signes pour s’exprimer, tout en exhibant ses talents d’artiste, alors qu’une non-voyante papote avec une autre souffrant d’un handicap intellectuel. Certaines participantes ont remporté des médailles durant les Jeux paralympiques et les portent autour du cou. L’ambiance est conviviale.

La beauté sans discrimination
330 reines de beauté et 300 dauphines vont être élues lors du concours. (Photo : Essam Chokri)

L’une d’elles fredonne une chanson de Amr Diab, une autre de Mohamad Mounir, tandis que d’autres vont déclamer à tour de rôle des vers de poésie devant le public. L’équipe organisatrice de l’événement et le jury composé de réalisateurs, de sociologues, de psychologues et de psychiatres sont présents au milieu des candidates pour faire leur connaissance, les encourager. Cette équipe n’a pas hésité à se déplacer dans plusieurs gouvernorats d’Egypte (Tanta, Kafr Al-Cheikh, Ménoufiya, Daqahliya …) pour sensibiliser les filles à y participer. Sur scène, les jeunes filles défilent l’une après l’autre pour se présenter. Asmaa, 20 ans, fonctionne selon le principe : « handicapée mais pas handicapable » ; Omniya, 27 ans, voilée et native d’Alexandrie, confie « être heureuse de participer au concours » ; Sara, aux cheveux frisés, pense que « le handicap n’est pas une fatalité » ; Oum Hachem, 15 ans, originaire d’Assiout, révèle que « le handicap me booste et m’aide à affronter les épreuves de la vie ». Marwa, 30 ans, de Guiza, dit : « Prendre soin de sa féminité, c’est avoir de la force au quotidien ». De son côté, Noura, 23 ans, souhaite « se battre contre les regards insistants des gens ». Quant à Noha, 29 ans, elle se verrait bien « ambassadrice des personnes souffrant d’un handicap dans son village ».

En fait, toutes se posent les mêmes questions : « Comment serons-nous habillées le jour de l’élection ? Quelle va être l’ambiance le jour J ? Serons-nous jolies ou pas ? ». Chacune a l’intime conviction qu’elle sera élue Miss Egypt ou première dauphine.

Plus de 600 postulantes

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Rahma a remporté des médailles durant les Jeux paralympiques. (Photo : Essam Chokri)

Organiser des élections de Miss handicap est une première en Egypte. « Femme à part entière », tel est le slogan de l’événement organisé par le ministère de la Solidarité sociale en collaboration avec la Ligue arabe. Peu importe leurs âges, toutes les candidates, qui sont en situation de handicap, ont voulu tenter leur chance à ce concours de beauté. En fait, l’idée d’organiser un tel événement vient du Dr May Al-Banna, spécialiste en matière de handicap à l’Université d’Alexandrie. Et c’est elle aussi qui a créé la page Facebook intitulée Concours de la plus jolie fille en situation de handicap. Les conditions de participation : être âgée de 10 ans ou plus, pouvoir justifier par le biais d’une carte d’invalidité, un handicap visible invisible, être sportive, avoir un talent artistique et résider dans l’un des 27 gouvernorats d’Egypte. Les formulaires concernant l’inscription ont été publiés sur la page Facebook au début du mois de juillet. Pour le moment, on compte 660 postulantes. C’est peut-être l’expérience de l’Américaine Nicole Killy, cette jeune fille de 23 ans, amputée d’un bras et élue Miss Beauty au sein de son Université de l’Iowa, qui a inspiré les organisateurs de ce concours.

Le concept de Nicole — qui fait du théâtre, du rugby, de la danse —, qu'elle a déclaré à la télévision russe : « J’ai appris à faire face aux regards impitoyables des gens, à devenir une personne très forte en exerçant plusieurs activités ». Cette jeune fille a lancé cette initiative pour encourager les parents qui ont des enfants en situation de handicap à les éduquer de manière à faire face aux challenges pour pouvoir mener une vie normale. Une initiative qui a fait écho à l’autre bout du monde. « Même avec un handicap, il faut oser réaliser ses rêves. L’objectif de ces candidates est de briser tous les tabous en affichant leur force et détermination dans un monde où la différence pousse souvent à l’exclusion. Ce sont de jolies filles, mais surtout de vraies femmes ! », explique Dr May Al-Banna, spécialiste en matière de handicap. « J’aimerais que les personnes en situation de handicap ne soient privées de rien, qu’elles puissent vivre normalement, sans craindre le regard des autres », poursuit-elle. Les organisateurs de concours vont élire 330 reines de beauté et 300 dauphines. « Et c’est pour ne pas contrarier les autres », confie le Dr Nabil Hémeida, psychologue, tout en ajoutant : « Nous cherchons à promouvoir et à mettre à l’honneur les personnes atteintes d’un handicap. L’élection de Miss handicap est l’une des actions phare pour cette tranche de la société », poursuit-il.

Mots d’ordre : Volonté et confiance en soi
Agée de 22 ans et native de Charqiya, Iman Hammouda veut surtout changer les mentalités en participant au concours. Pour elle, la confiance en soi est une qualité primordiale pour réussir, et son handicap passe totalement au second plan. Cette jeune fille paraplégique affiche une volonté de fer. Elle fait partie de l’équipe de volley-ball des personnes ayant un handicap du club Charqiya. Elle compte parmi les meilleures joueuses du club. Elle a participé au championnat organisé dans son club et a été classée 5e face à des sportives valides et confirmées. Aujourd’hui, cette jolie fille voilée, se déplaçant en fauteuil roulant, veut tenter sa chance sur une autre sphère. Elle ne passe pas inaperçue, et sa détermination suscite l’admiration. Victime d’un accident de la route en 2014, Iman Hammouda a vu sa vie totalement bouleversée et dictée par « les 5 % de chances de remarcher un jour » que lui donnent les médecins.

Malgré tout, la jeune fille a réussi à relever la tête en se disant : « Il faut continuer à vivre ». La coquette fille veut « au moins relever le défi », et elle espère « donner du courage aux autres et afficher sa volonté face au public ». « Je suis ravie de participer à ce concours, mais j’ai peur que ma robe ne se prenne dans les roues de mon fauteuil roulant », dit-elle en souriant timidement. Iman Hammouda a voulu participer à ce concours, car elle fait du sport, l’une des conditions à l’inscription.

La beauté sans discrimination
Handicap ne signifie pas désespoir. (Photo : Essam Chokri)

Sur le formulaire qui a circulé à travers les réseaux sociaux, les jeunes filles ont voulu saisir leur chance. Pour elles, il s’agit non seulement d’exaucer leur rêve de petite fille, mais aussi l’occasion de transmettre un message. « En Egypte, les personnes à handicap sont souvent exclues, isolées. Je veux prouver qu’une femme est capable de rester une femme à part entière, malgré le handicap », lance Farah, 26 ans, habitant au Caire. Elle a donc pris son courage à deux mains et a envoyé sa candidature. C’est son prof qui l’a convaincue. « Etre sur un fauteuil roulant ne doit pas t’empêcher de participer au concours de Miss beauté. Tu es jolie. Pourquoi ne pas t’inscrire ? », lui a-t-elle dit. L’idée a donc germé dans la tête de Farah. Et même ses proches et amis l’ont soutenue. Quant à Rahma, 17 ans, atteinte de trisomie 21, elle rêve aussi de gagner ce concours. « Que je sois élue ou pas, ma victoire, c’est d’être devant un public et participer à ce concours ! Malgré mon handicap, je considère que je suis toujours belle et coquette », dit-elle avec confiance. Un moyen de s’intégrer ? Peut-être, puisque la jeune étudiante à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie explique que son handicap ne l’a freinée ni dans sa vie sociale, ni dans ses envies de porter une belle robe. « Quand les gens voient une personne se sentant bien dans sa peau, qu’elle souffre ou pas d’un handicap, ils ne peuvent qu’éprouver de l’admiration pour elle. Les personnes atteintes du même syndrome que moi ne doivent pas seulement travailler sur leur santé, mais aussi sur l’acceptation de soi », explique la jeune nageuse qui fait partie aujourd’hui de l’Unité sportive égyptienne et qui fait le lèche-vitrines à la recherche d’une robe bleue pour paraître comme une sirène le jour J.

Réticences
Et bien que l’initiative lance un appel à la société vers plus d’égalité et plus d’intégration des personnes ayant un handicap, nombreux sont ceux qui ont critiqué les organisateurs et tourné en dérision l’événement. « Honnêtement, je ne m’attendais pas à autant de polémiques. Sous couvert d’anonymat, les critiques se déchaînent sur les réseaux sociaux. Des personnes disent que je n’y ai pas droit, qu’une personne en fauteuil roulant ne doit pas participer à un concours de beauté. Parfois, cela me donne envie d’abandonner mais, par ailleurs, des personnes bienveillantes me laissent aussi des messages d’encouragement. Alors, je vais aller jusqu’au bout. Je ne veux pas faire de ma différence un joker pour être élue, je ne veux pas particulièrement être la porte-parole des handicapées. Mais je veux porter l’espoir pour toutes les personnes qui, pour une raison ou une autre, se sentent amoindries », confie l’une des candidates. Parfois, ces critiques proviennent même des personnes souffrant d’un handicap. Ivonne Al-Zaafarani, porte-parole du mouvement Handicapés contre la marginalisation, a trouvé que ce concours est une mauvaise initiative. Il est en opposition avec l’idée de l’émancipation des personnes ayant un handicap dans la société. « Je ne veux pas que l’on ressente de la compassion pour les filles qui vont défiler sur l’estrade. C’est humiliant et discriminatoire. Il faudrait organiser un concours auquel participeraient des filles atteintes du cancer, ayant un handicap, ou même des filles normales, etc. afin de montrer que la beauté est une notion abstraite liée à de nombreux aspects de l’existence, et je déteste que l’on utilise la situation de tout handicap uniquement pour commercialiser des idées qui nous obligent à demeurer au statu quo », déclare-t-elle au site du quotidien Al-Badil, en ajoutant qu’il serait plus utile de faire un défilé de mode pour présenter des vêtements adaptés à chaque handicap.

Mais, malgré les critiques, les filles sont décidées à passer des moments d’allégresse. Au cours des séances pré-élection, Karimane Samir, maquilleuse, fait la connaissance des candidates. Elle observe le visage de chacune pour savoir quel type de maquillage choisir, les couleurs de fard à paupière à utiliser. « Je suis déterminée à les rendre encore plus belles », dit Karimane, entourée des candidates qui ne cessent de lui poser la question : « C’est vous qui allez me mettre du rouge à lèvres ? Faites attention, je voudrais être belle. Une miss, qu’elle soit valide ou souffrant d’un handicap, reste une miss pour la vie », murmure l’une d’elles.

Dans les coulisses du club, les candidates fredonnent l’opérette qu’elles vont chanter devant le public, le jour J. Celles qui y participent font des répétitions, trois fois par semaine, au théâtre Beiram Al-Tounsi, situé à Alexandrie. Cette opérette de 25 minutes a été composée par Mohamad Moustapha Ragab, et les revues musicales ont été conçues par l’artiste Moustapha Al-Rewech. « Les 25 personnes qui vont présenter l’opérette participent également au concours de Miss handicap. Aucune personne valide n’assistera ni aux festivités, ni à la soirée de l’élection », confie le réalisateur Essam Badawi qui travaille depuis 2001 avec les personnes en situation de handicap.

La beauté sans discrimination
Les personnes en situation d’handicap ne doivent être privées de rien. (Photo : Essam Chokri)

Un événement qui pourrait étancher la soif de ces filles en quête de célébrité et qui ne trouvent cependant pas la chance de paraître dans les médias. Le cas de Zeinab, 16 ans, qui, accompagnée de sa mère, est venue assister à la séance de pré-élection à Tanta. En pensant à la soirée de l’élection, Zeinab est prise de panique. « Je voudrais tout abandonner et déclarer forfait. Mais en pensant à toutes celles qui m’ont fait confiance, mes proches, mes amis, et surtout mes parents et mon frère, je me dis que je n’ai pas le droit, car tous comptent sur moi », dit Zeinab, en chuchotant pour ne pas être entendue. Soudain, elle regarde autour d’elle, reprend courage et dit : « A l’occasion de cette soirée, je porterai une très jolie robe. Je serai coiffée d’un joli chignon. Je serai la plus belle, une vraie Miss », dit Zeinab qui aspire à devenir speakerine ou actrice .

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