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Quand le bac vire au cauchemar

Dina Bakr, Dimanche, 19 juin 2016

560 000 élèves passent le baccalauréat cette année. En plus du stress habituel, ils vivent avec la crainte de voir les examens annulés ou reportés à cause des fuites des sujets. Une situation qui devient invivable. Témoignages.

Quand le bac vire au cauchemar

« C’est le ministère de la Tricherie qui nous a fait découvrir mille et un procédés pour frauder. Une révolution dans l’enseignement est plus que nécessaire. Que le système actuel d’admission aux universités soit annulé et que le ministre de l’Education démissionne ! ». Ce sont là les slogans scandés par des bacheliers devant les locaux du ministère de l’Education à la rue Saad Zaghloul au Caire, lors d’une manifestation qui s’est tenue lundi 13 juin. Au même moment, une autre manifestation a eu lieu devant la direction de l’éducation à Alexandrie pour dénoncer la fuite des examens et réclamer que justice soit faite.

Quand le bac vire au cauchemar
Le plan B du ministère vise à résoudre le problème de la fuite des épreuves à court terme.

L’affaire a commencé dès le premier jour du bac, avec la fuite de l’examen de religion, qui a été annulé et reporté au 29 juin. Ce qui a mis les parents face à de nouveaux défis. « Nous craignons que le ministère ne décide d’annuler d’autres examens après que nous les aurons passés ». Depuis, c’est la panique. « Je ne dors plus, l’épreuve du bac est devenue un vrai cauchemar. Cette année, le contexte est différent, il y a la fuite et la crainte que cette fuite ne conduise à ce que les examens soient refaits, comme a menacé le ministère de l’Education », confie Pacinthe Zayed, femme au foyer de 45 ans. « Sans oublier que le marathon n’est pas fini, il y a encore l’attente des résultats, le stress des inscriptions à l’université, la recherche d’une bonne faculté. Nous avons fait d’énormes efforts, dépensé beaucoup d’argent pour que notre fils puisse franchir le cap du bac, réaliser son rêve, celui de s’inscrire à la faculté d’ingénierie », dit-elle. Cette maman affirme avoir dépensé 50 000 L.E. en leçons particulières, des leçons qui avaient débuté en juillet 2015. Car les cours sont devenus une obligation, en remplaçant l’école, vu que les élèves de terminale n’y vont quasiment pas. D’ailleurs, Pacinthe ne comprend toujours pas pourquoi les écoles touchent les frais de scolarité alors que le corps enseignant ne donne plus de cours aux élèves de terminale.

Nouveau supplice

Quand le bac vire au cauchemar
La fuite des examens est perçue par les étudiants comme une forme d'injustice.

Ce genre de contraintes (cours, poids financier et moral, stress, etc.), les familles égyptiennes l’ont toujours vécu. Sauf que cette année, la fuite des sujets d’examens et leur publication sur les réseaux sociaux ont provoqué un autre vent de panique. Inquiétude, colère et déprime se sont emparées des élèves. Ils n’admettent pas qu’après avoir passé une longue année à étudier et à réviser, les tricheurs viennent mettre leurs efforts à zéro, profiter des mêmes chances, voire plus, avoir accès aux facultés d’élite. Aussi, l’on craint que les facultés, comme celles de médecine et d’ingénierie, n'augmentent le pourcentage d’admission. « Un élève moins bon va prendre la place de mon fils à l’université publique et nous serons obligés de payer 90 000 L.E. par an dans une université privée. C’est vraiment injuste », confie Pacinthe. « Il est vrai que j’ai rempli des fiches d’inscription dans deux facultés privées, mais je souhaite de tout mon coeur avoir la possibilité de rentrer à l’Université de Aïn-Chams pour éviter que mes parents ne claquent encore de l’argent », affirme Moustapha Khaled, élève en terminale. Pour le moment, ses parents semblent garder leur sang-froid. Ils ne cessent de lui répéter qu’il n’est pas le seul dans cette situation et qu’il va connaître le même sort que ses camarades.

Prolonger les examens du bac en reprenant des matières reportées décourage les étudiants. C’est pour eux un supplice. Alors qu’ils attendent avec impatience la fin des épreuves. « Lorsque j’accompagne ma fille, j’attends devant la porte de l’école une demi-heure ou plus pour m’assurer que l’examen n’a pas été annulé », lance Hani Moussa, comptable. Ce dernier dit prier Dieu tous les jours pour que rien de fâcheux n’arrive. Pour lui, une prolongation des examens signifierait des dépenses supplémentaires en leçons particulières. « Cela sert à quoi de compliquer les choses. Je me demande pourquoi le ministère n’annule pas tout simplement cette matière au lieu de fixer un jour supplémentaire à la fin des épreuves pour la repasser », s’interroge sa fille.

Pour éviter de paniquer, d’autres étudiants ont préféré ne plus penser à ce problème et continuer à passer leurs examens comme si rien n’était. Somaya Sabri, une élève, ne craint pas le plan B du ministère de l’Education, même si les examens risquent d’être plus difficiles que la première fois, ce sera une occasion pour elle de prouver qu’elle est une bonne élève.

Quand le bac vire au cauchemar
La réforme du baccalauréat est devenue nécessaire pour rétablir l'égalité des chances.

Ce n’est pas la première fois que des fuites ont lieu. La fuite des examens date de 2012, et cette fraude avait lieu après la distribution des feuilles d’examens. Cette année, les sujets ont été publiés avec les réponses et le tampon du ministère. « Le ministère de l’Education est le premier à être responsable de la fuite des examens, mais il n’est pas le seul. 12 fonctionnaires du ministère de l’Education ont été arrêtés dans le cadre de cette enquête. Quant aux sites qui diffusent les examens du bac, ils prolifèrent et on en a compté au total 27 », signale Béchir Hassan, porte-parole du ministère de l’Education. D’autres ministères, comme l’Intérieur, sont aussi responsables de la protection des examens du bac, jusqu’à ce qu’ils parviennent aux élèves. Hassan voit que la fuite des examens a une portée politique et met en danger la sécurité nationale. A signaler qu’en 1967, l’examen du bac, a été complètement annulé et reporté lorsque la radio de Tel-Aviv a diffusé les examens du baccalauréat avec ses réponses. Une sorte de message de défi au régime, lui prouvant qu’elle est capable de brouiller tout le système.

Un système remis en cause
Mais la fuite des examens n’est pas le plus gros problème à comparer au système de l’enseignement mis en place en Egypte et qui est considéré comme archaïque. « D’autres conséquences peuvent découler de cette fuite. Si un mauvais élève extirpe la place à celui qui a déployé de grands efforts toute l’année, le résultat va être une détérioration du niveau dans les universités et la triche pourrait devenir un mode de vie », dit avec amertume Khaled Saïd, professeur de chimie. La fraude et la corruption seront alors le mot d’ordre. « L’ensemble du système éducatif est mis en cause. Il est temps d’agir, de procéder à des réformes pour que l’école reprenne son rôle et que les élèves du bac retrouvent leurs classes », explique Hassan Al-Guébali, ancien professeur d’anglais. Il voit que la défaillance a commencé en 1997, lorsque les professeurs ont perdu de leur autorité en classe. Il se souvient qu’au début des années 1990, il a suivi des cours dans une école publique et que grâce à la présence des élèves en classe, ils ont pu réaliser de bons résultats. « Le trio : élève, professeur et école doivent travailler ensemble et en harmonie pour obtenir de bons résultats », précise-t-il.

D’autres analystes appellent à modifier la répartition des années scolaires. Hani Al-Nazer, ex-président du Centre de recherches scientifiques, pense que les cycles primaire et préparatoire doivent se faire en 8 années au lieu de 9, et 3 années pour le secondaire. Il propose que l’année annulée soit consacrée à l’étude des matières qu’on va étudier à l’université. « L’élève fera des recherches dans les bibliothèques et sur les réseaux sociaux sans l’aide d’enseignants. Ce qui va donner la possibilité à chaque faculté de choisir les étudiants les plus compétents. Et dans ce cas, les bureaux d’inscriptions universitaires n’auront plus d’utilité », suggère Al-Nazer. Ce système va économiser 16 milliards de L.E., la facture annuelle des leçons particulières. De son côté, Rami Raouf, chercheur dans le domaine des libertés numériques et de la sécurité digitale, a déclaré sur le site de Mada masr qu’il est temps de créer une infrastructure numérique lors de la préparation des examens pour éviter l’intervention du facteur humain. Le fait d’avoir recours à un système numérique va permettre de procéder à la distribution des sujets d’examens quelques minutes avant l’épreuve. « Ce système pourrait être appliqué dans 4 années minimum, avec des moyens locaux, mais il faut que le ministère de l’Education consente à procéder à une réforme », conclut-il.

Une réforme qui ne risque pas de se faire de sitôt. En attendant, la triche continue, et toujours sous de nouvelles formes. Comme en Haute-Egypte, et plus précisément à Assiout où les surveillants ne peuvent rien faire contre des familles armées qui participent à l’opération de fraude pour aider leurs enfants à réussir.

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