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Bac : Les parents accusent le coup

Chahinaz Gheith, Dimanche, 29 mai 2016

A l’approche des examens du bac égyptien, la tension se fait de plus en plus sentir du côté des élèves, mais aussi des parents qui ont du mal à gérer leurs angoisses. Témoignages d'étudiants confrontés à des parents un peu trop stressés.

Bac : Les parents accusent le coup
Au lieu de booster leurs enfants, , pour eux, une source de stress (Photo:Ahmad Chéhata)

ILS SONT plus de 560 000 élèves à se préparer en ce moment pour la fameuse « sanawiya amma » (baccalauréat). Les examens débuteront le 6 juin et dureront jusqu’au 28. Et, au fur et à mesure qu’approche la date fatidique, le stress s’immisce comme un invité indésirable et va crescendo. Une inquiétude naturelle, vu l’importance de cet examen qui détermine presque toute une vie, une épreuve-clé dans le choix des études universitaires, voire du métier d’avenir. La crise est là, et la pression sociale tout comme familiale est plus forte que jamais, rendant le fardeau plus lourd sur les épaules des élèves. « Passe ton bac d’abord » ; « Ton avenir se joue cette année » ; « Concentre-toi bien » ; « Ne perds pas de temps ». Autant de sermons que répètent sans relâche les parents. Autrement dit, ils sont bien, malgré eux, source de stress. Inquiétude, angoisse, l’enjeu est de taille aussi bien pour les parents que pour les enfants. Et pourquoi pas puisque les parents souhaitent pour leurs enfants la meilleure faculté, la meilleure filière. C’est le règne du « toujours plus », car il s’agit là d’assurer leur avenir professionnel d’autant plus que l’ombre du chômage et de la crise économique plane toujours.

Et l’angoisse prend des proportions dangereuses. Certaines mamans, à l’exemple de Rania, vivent un vrai délire. Eh oui, l’épreuve du bac de sa fille est plus dure que son propre bac. « Ma mère est déjà de nature anxieuse, alors, en cette période de révisions, elle ne ferme pas l’oeil de la nuit. Elle est toujours derrière moi. Tous les soirs, elle me fait réciter les leçons, refaire une bonne partie des exercices, et le week-end, elle me fait passer des sortes d’interrogations écrites et me prépare des fiches de révision. Elle essaie de me booster, mais ça donne l’effet inverse à cause de la pression qu’elle exerce sur moi », lance Yasmine, élève en 3e secondaire section lettres. Et d’ajouter : « Ma mère a eu de très bons résultats au bac. Alors, elle s’attend à mieux avec moi. Elle voit que mes méthodes de travail sont différentes des siennes. A l’époque, elle travaillait seule, moi en groupe. Elle faisait des exercices, je rédige des fiches sur des notions importantes ou compliquées du cours. A chaque fois que ma mère s’affole, j’essaye de la rassurer en lui rappelant que les épreuves anticipées sont un bon indicateur pour le résultat au bac. Mais son manque de confiance en moi risque de me mener au burn-out ». Pareil pour Karim qui gère les moments de panique de ses parents avec humour, un moyen de dédramatiser cette étape du bac. « Mes parents sont plus stressés que moi. C’est devenu un rituel. A chaque fois que mon père rentre du travail, il se plante devant moi et me répète les mêmes questions : T’as bien révisé aujourd’hui ? Où en es-tu ? Il veut tout le temps me voir en train de travailler », dit-il, parce qu’il pense qu’autrement je n’aurai pas mon bac. « Si j’obtiens la mention bien, ils me demanderont pourquoi je n’ai pas eu très bien, et si j’ai la mention très bien, pourquoi pas l’excellente. Mon père, qui est professeur de français, a peur que j’échoue. Pour lui, l’enjeu est important, il est question de son prestige personnel et du regard des autres. Dire que son fils a raté son bac serait pour lui difficile à assumer », souligne Karim, qui tente de rassurer son père en lui présentant régulièrement un plan de travail, ce qui a été fait et ce qui reste à faire. Partisan du moindre effort, ce jeune garçon sait qu’il doit faire son possible pour décrocher son bac afin de se débarrasser de toutecette pression.

Le summum, sinon rien

Bac : Les parents accusent le coup

Attendu mais redouté, le bac constitue un vrai passage dans la vie des ados et apparaît comme une étape importante pour la réussite professionnelle. C’est pourquoi l’examen du bac a toujours mobilisé les parents émotionnellement, mais jamais de façon aussi intense depuis ces dernières années. En effet, l’impasse de l’éducation taraude beaucoup de familles issues de la classe moyenne, qui ont toujours fait des économies pour garantir un enseignement de qualité, considéré pour eux comme un moyen d’ascension sociale. Selon les chiffres de l’Organisme central du recensement et de la mobilisation, la famille égyptienne consacre près du quart de son budget à l’éducation des enfants. Les cours particuliers absorbent 22 milliards de L.E. par an du budget des familles. Aujourd’hui, avec la crise économique, les conditions d’embauche sont de plus en plus difficiles. C’est la course vers les hauts pourcentages, car il ne suffit pas de réussir ses examens, encore faut-il le faire avec mérite pour décrocher le sésame. Baccalauréat : quasiment la note finale, sinon rien. Et pour cause, l’accès aux facultés prestigieuses des universités publiques est de plus en plus difficile pour de nombreux élèves. Certaines imposent un concours ou un examen d’entrée en plus des bonnes notes. Quant aux universités privées, la plupart d’entre elles aussi imposent un examen de passage. Ainsi, même avec un pourcentage de 92 % ou 95 %, rien n’est gagné.

Le ministère de l’Enseignement supérieur place la barre de plus en plus haut, afin de limiter le nombre d’étudiants admis aux universités publiques, déjà surpeuplées. « Tout s’est joué à moins de 1 % près. Mon rêve de devenir médecin s’est évanoui, je me suis rabattu sur la faculté de pharmacie, faute d’un pourcentage plus élevé », raconte Moustapha, qui a obtenu son bac en sciences l’année dernière avec un pourcentage de 97,5 %. Une note excellence, mais il lui fallait 98,7 % pour faire médecine. Pour lui, il n’était pas question de faire la tournée des universités privées, car son père, un fonctionnaire, s’est saigné aux quatre veines pour lui fournir des leçons particulières. Il attendait avec impatience que l’étape de l’examen du bac s’achève pour se débarrasser de toutes ces dépenses. Car il faut savoir que les frais d’inscription dans les universités privées varient entre 60 000 et 180 000 L.E., c’est-à-dire une somme que beaucoup ne peuvent se permettre.

Saad, ingénieur, a beaucoup investi pour l’éducation de ses enfants. Il pense que l’enseignement dans les universités publiques est plus performant que dans le privé et ce, sans avoir besoin de claquer autant d’argent. Ce papa se considère chanceux, car son fils, Omar, a réussi à s’inscrire à la faculté d’ingénierie, de l'Université de Aïn-Chams, grâce au haut pourcentage qu’il a obtenu au bac. Omar a épargné à son père bien des dépenses. « Suivre des études dans une université publique a son avantage car les professeurs qui enseignent dans les universités privées sont des diplômés des universités publiques, ce qui veut dire qu’elles sont performantes », note-t-il. Ainsi, si la sanawiya amma a toujours été source de stress, elle l’est aujourd’hui encore plus pour les parents à cause des prix exorbitants des universités privées et des places de plus en plus limitées dans les établissements publics.

De l’inquiétude à l’obsession

Bac : Les parents accusent le coup
Plus de 560 000 élèves passent cette année les examens de sanawiya amma.

Dr Mona Gaber, pédopsychiatre, pense que face à une telle course à l’excellence, les parents projettent sur leurs enfants leur propre stress, causé par la peur de l’échec. Si le stress lié au passage des examens a toujours existé, c’est qu’il est directement lié à l’inquiétude que les parents ressentent quant à l’avenir de leurs enfants. La réussite vire alors à l’obsession. Ainsi, les parents considèrent qu’une bonne éducation des enfants est indispensable pour qu’ils réussissent dans la vie. « Nous vivons dans une culture où l’échec est difficilement admissible. Cette culture a un fort pouvoir de coercition concernant le culte du travail qui se définit ainsi : Travail = Argent = Survie », explique Mona Gaber, qui a constaté à travers ses consultations que la pression des parents part de bonnes intentions, et commence très tôt. « Ainsi, récemment, une maman, accompagnée de sa petite fille scolarisée en maternelle, est venue me voir pour une consultation. J’ai été scandalisée lorsqu’elle m’a dit que sa fille ne pensait qu’à jouer à l’école. De nos jours, la pression des parents commence à l’étape maternelle ! », s’insurge-t-elle. Résultat : beaucoup d’élèves vivent une réelle souffrance,certains sont même sous antidépresseurs. C’est pourquoi le Dr Gaber a eu l’idée d’organiser des ateliers, afin de permettre aux élèves d’appréhender le bac autrement, grâce à des exercices de visualisation du jour J. Allongés sur des tapis, ils s’initient à la relaxation dynamique, apprennent à lâcher prise et faire le vide pour mieux se concentrer. « Le stress peut être utile, mais il faut savoir le gérer. Une élève aux résultats exceptionnels a fondu en larmes lors d’une séance. Un autre ne cessait de faire craquer ses doigts et sans jamais parvenir à se détendre, pourtant, il n’a raté aucune séance ! », explique-t-elle.

Nahla Gamal, coach parental et mère de trois adolescents, pense aussi qu’il est indispensable de prendre un certain recul afin d’offrir aux enfants un cadre rassurant. Comment ? En s’efforçant de voir au-delà de l’examen. En reconsidérant l’enjeu de cette période de révisions. « Décrocher un diplôme, aussi utile soit-il, n’est pas le plus important. Si cela doit se faire aux dépens de la santé de mon enfant, de la qualité de ses relations avec sa famille ou de son équilibre psychologique, quel intérêt ? Ce qui compte, c’est que mon enfant apprenne à améliorer ses connaissances tout en sachant préserver son équilibre personnel », explique-t-elle, tout en affirmant que beaucoup d’élèves viennent la voir pour être écoutés. Côté parents, elle leur dit de laisser un peu vivre leurs enfants, et surtout de les laisser choisir les études qu’ils veulent faire, en fonction de leurs aspirations. Mais cettenotion est oubliée, piétinée par les parents angoissés.

Une pression qu’il est facile de comprendre, mais difficile à supporter. Sarah, élève en terminale, tente de se montrer compréhensive vis-à-vis de ses parents. « De toute façon, le stress, c’est dans leur nature, je n’y peux rien ! Quand ma soeur a passé le bac l’année dernière, c’est ma mère qui prenait les calmants antistress ! Alors, cette année, elle a tenu à faire appel à la roqia, faire réciter des versets du Coran par des cheikhs, plutôt que de recourir à un psychologue ou un médecin espérant que je réussirai au bac », dit-elle avec un sourire cynique. Pour les parents, tous les moyens sont bons pour essayer d’en finir avec ce maudit stress.

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