Les versets du Coran se font partout entendre. Les sourates du Livre saint sont psalmodiées par les habitants, tous âges confondus. Comme ci ce village, dénommé Arab Al-Raml (Arabe du sable), respirait le Coran de jour comme de nuit.
Situé dans la province de Qoweisna, dépendant du gouvernorat de Ménoufiya (Delta), ce village comptant près de 40 000 habitants est réputé pour l’apprentissage du Coran. Chaque foyer compte deux ou trois hafazas (récitateurs de Coran), d’où son appellation « Arab Al-Coran ».
Arrivé dans cette bourgade, impossible de se perdre. Le premier venu indiquera facilement une diversité d’endroits faisant office d’écoles coraniques. Ici, on peut en compter plus d’une centaine. Le Livre saint est enseigné partout dans les mosquées, à l’Institut azharite, dans les écoles, les associations et même dans les centres médicaux. C’est d’ailleurs de ce village que proviennent les plus belles voix pour la récitation du Coran.
« Certains parents laissent un héritage matériel à leurs enfants, des terres ou un compte en banque bien garni. Ces intentions sont appréciables mais quoi de mieux que de léguer à son enfant l’amour du Livre saint ? », lance Kamel dont le fils, Abdallah, 5 ans, connaît par coeur tout le Coran. Selon lui, cet enseignement lui permettra d’accéder au paradis et d’être classé dans le haut rang des fidèles. C’est ainsi que le prophète (paix et bénédiction d’Allah soient sur lui) a expliqué qu’« Allah élève certaines personnes par ce Livre, comme Il en rabaisse d’autres ». Un autre hadith (communication orale du prophète de l’islam) dit : « Celui, qui a lu le Coran, l’a appris et appliqué, sera paré le Jour de la Résurrection d’une couronne de lumière dont la clarté est semblable à celle du soleil. Ses parents seront vêtus de somptueux vêtements qui éblouiront le monde entier. Ils diront alors : Pourquoi sommes-nous ainsi vêtus ? Et on leur répondra : Pour avoir incité votre enfant à apprendre le Coran ». Abdallah n’est pas un cas particulier à Arab Al-Raml, puisque chaque année, 5 000 enfants apprennent le Coran dès l’âge de cinq ans et avant même d’être scolarisés. Une coutume qui fait la particularité de toutes les provinces égyptiennes.
Une véritable star

Un engouement des femmes pour l’apprentissage du Coran.
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Autre scène, autre image. La jeune fille au visage rayonnant et au sourire candide est sous les feux de la rampe. Elle s’appelle Fatma Abdel-Hakim, et est devenue une véritable star. Originaire du gouvernorat de Daqahliya (Delta), cette étudiante en 3e année de médecine a décroché le premier prix mondial de récitation du Coran et gagné 60 000 L.E. (7 800 dollars). Grâce à sa parfaite maîtrise des techniques de lecture du Coran et ses capacités vocales, elle a suscité l’admiration du jury. Elle a reçu des félicitations de toutes parts, et tout le monde lui prédit un avenir radieux. Ce phénomène est-il une question de piété ou de culture profondément ancrée chez les Egyptiens ?
En réalité, l’Egypte a, depuis les premières années de l’hégire en 622, vivement encouragé la mémorisation et la récitation du Coran. Cet intérêt accru et constant pour le Livre saint n’a jamais été démenti, puisqu’il constitue la première source de référence en matière de religion musulmane. Le kottab (école coranique) assurait aux enfants, dès l’âge de cinq ans, une formation fondée sur l’apprentissage du Coran. C’était le seul lieu pour l’éducation jusqu’en 1923, époque où les écoles ont ouvert leurs portes. Les kottabs datent de l’époque omeyyade. Leur nombre s’est multiplié en 1890 pour atteindre le chiffre de 9 000, avec 180 000 élèves qui devaient apprendre le Coran, la langue arabe et les règles élémentaires de mathématiques.
Au fil du temps et avec l’ouverture des écoles modernes, les kottabs ont commencé à perdre de leur prestige. Mais le Coran a toujours occupé une place importante dans la vie des Egyptiens. Jour et nuit, il est récité dans les maisons, les mosquées et ses sourates sont même diffusées lors des funérailles. Il existe de volumineux travaux exégétiques, et les cheikhs sont chargés de l’enseigner. « Articuler la parole divine, la réciter, même si l’on n’en comprend pas le sens, est un acte spirituel chez les Egyptiens, un acte d’adoration envers Dieu, abstraction faite de toute approche intellectuelle.
Des milliers d’exemplaires sont en circulation et on le trouve partout : dans les maisons, les magasins, les voitures. Il est comme un talisman qui apporte la bénédiction de Dieu », explique Dr Ahmed Yéhia, sociologue, tout en ajoutant que cet engouement pour l’enseignement du Coran ne cesse de s’imposer dans le quotidien des Egyptiens. Un constat que l’on peut remarquer par la hausse du nombre des écoles coraniques non seulement dans les villages d’Egypte mais aussi dans la capitale où les maqraä (maisons d’apprentissage du Coran) se sont multipliées. On les trouve dans les mosquées et même dans de petites pièces dans le rez-de-chaussée des immeubles.
Mérites et bienfaits

Les écoles coraniques jouent un rôle important dans l’ancrage du référent religieux.
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Les concours de récitation du Coran sont lancés chaque année à l’occasion de leilet al-qadr, la nuit de révélation du Coran au prophète Mohamad (paix et bénédiction d’Allah soient sur lui). En outre, des chaînes satellites sont consacrées à la récitation du Coran, à l’exemple d’Al-Fateh Coran et Time Coran, inaugurées ces deux dernières années, sans oublier les pages sur Facebook intitulées : « Les amoureux du Coran », « Les miracles du Coran », « Récite le noble Coran », « Les amoureux des belles récitations du Coran », « Lire le Coran – Une page par jour », « Ne sois pas ignorant, la vérité est dans le Coran ». Des pages soutenues par des milliers de fidèles et qui montrent les mérites et bienfaits découlant de la lecture et de l’apprentissage du Livre saint.
Même ceux qui ne touchent pas au Coran durant toute l’année tentent de le lire entièrement, une ou plusieurs fois le long du mois du Ramadan afin d’avoir le maximum de sawab (bénédiction). Une piété qui se traduit par l’engouement des fidèles pour l’achat du Coran durant le Ramadan avec des ventes qui atteignent 60 % de plus qu’en temps normal, selon les maisons d’édition. « 25 000 exemplaires sont vendus chaque année durant le mois du Ramadan », souligne Abir Al-Khodari, de l’éditeur Al-Fikr Al-Arabi. Et ce n’est pas tout : une visite des rues, bureaux gouvernementaux et même moyens de transport suffit pour constater ce regain de ferveur religieuse durant le Ramadan.
Une heure avant la rupture du jeûne, c’est la cohue dans le métro du Caire. Dans le wagon réservé aux femmes, on se serre comme des sardines. Mais cela n’empêche pas les passagères, assises ou debout, de parcourir le Coran. « Durant le mois du Ramadan, la ferveur religieuse est tellement intense que je ne peux m’empêcher de lire le Coran. C’est une occasion pour moi de me ressourcer, de me remettre en cause et d’ouvrir une nouvelle page avec Dieu », assure Naglaa, une des passagères.
Dr Yéhia pense que cet intérêt pour l’apprentissage du Coran n’est que la conséquence du wahhabisme importé des pays du Golfe par les milliers de travailleurs émigrés de retour au pays.
« L’apprentissage du Coran qui se limitait autrefois surtout aux théologiens a attiré de nouvelles couches sociales. Aujourd’hui, nombreux sont les parents qui tiennent à éduquer leurs enfants dans une atmosphère imprégnée de religiosité, en leur apprenant le Coran dans les mosquées ou en faisant appel à un cheikh à la maison », explique-t-il. C’est le cas de Hicham, médecin, qui n’a pas hésité à envoyer sa fille de 6 ans à la mosquée Moustapha Mahmoud dans le quartier de Mohandessine au Caire pour apprendre le Coran durant les vacances scolaires. « La religion est une protection spirituelle et une incitation pour les enfants afin de connaître leur religion. Il y a tout dans le Coran : les règles de vie, de comportement, le respect des autres. En plus, comme cet apprentissage est difficile, cela peut aider ma fille à l’école », assure-t-il. Une base que les parents tentent d’apporter à leurs enfants.

Les gagnants au concours de récitation du Coran à la mosquée d'Al-Hossary.
(Photo: Al-Hossary)
« J’ai tenu à ce que mon fils suive des cours d’apprentissage du Coran à l’âge de 5 ans, mais à partir de 12 ans, il a arrêté. A cet âge-là, il était difficile de lui imposer des activités », confirme Rim, une mère de deux garçons. Mais Souad estime que la priorité en matière d’éducation va aux langues et à la technologie. Selon elle, ces écoles coraniques peuvent faire tomber les jeunes dans l’intégrisme. « L’apprentissage du Coran n’est que du bourrage de crâne. Mes filles sont au lycée, et leur objectif est de décrocher leur bac. Inutile de leur faire perdre du temps à apprendre par coeur de longs versets coraniques. La religion est une affaire personnelle. Le cours de religion n’a pas lieu d’être dans les écoles », martèle-t-elle.
Un autre monde s’est ouvert
La scène se déroule dans la maqraä d’une mosquée du quartier de Maadi, au Caire. Un groupe d’une dizaine d’hommes, tous âges confondus, occupe les lieux après la prière de l’aube. Tenant chacun le Coran à la main, ils psalmodient ensemble les versets. Puis, chacun, à tour de rôle, commence à réciter à haute voix certains versets du Coran tout en respectant les règles de tajwid (science de l’orthoépie).
« C’est un autre monde qui s’est ouvert à moi ! Le Coran est le seul moyen de surmonter notre peur et anxiété, le remède à tous nos maux intérieurs, une protection contre le malheur, l’égarement et les tentations pendant les périodes de troubles » : C’est en ces termes que Amr, la quarantaine, s’exprime et dont la vie a changé après avoir suivi des cours de récitation du Coran. Chaque jour, cet ingénieur assiste à une séance d’articulation (makhraj) et ses attributs (sifa). « Ce n’est ni pour décorer nos murs ni pour nettoyer la poussière dans nos bibliothèques qu’Allah, le Maître des Mondes, a fait descendre le saint Coran. Il a été révélé pour nous guider, pour être un compagnon quotidien, un remède contre la dureté du coeur », estime-t-il.
D’après hadja Nagwa, responsable de la récitation du Coran pour les femmes dans la célèbre mosquée Al-Hossari dans la ville du 6 Octobre (banlieue du Caire), 15 mosquées réparties dans les différents gouvernorats comprennent des cours de mémorisation du Coran. « Nous offrons chaque année un certificat à 500 étudiantes prouvant qu’elles ont terminé l’apprentissage du Coran », lance-t-elle.
Hossam Al-Bokhari, chercheur en sciences des religions et président de la Coalition des nouveaux musulmans, se demande toutefois pourquoi le Coran n’occupe plus la même place importante, comme c’était le cas il y a 1 400 ans. D’après lui, les apparences révèlent que le Coran est omniprésent dans le quotidien des Egyptiens, mais cette présence risque d’être artificielle, avec un attachement plus à la forme qu’au fond.
« Le Coran n’est pas un simple livre à lire ou uniquement un disque à écouter pendant que l’on vaque à ses occupations afin de nourrir nos besoins spirituels et intellectuels. C’est la parole divine destinée à guider le musulman du berceau à la tombe. Il ne s’agit pas de quelques règles éparses qui nous sont communiquées dans le Coran, mais de tout un mode de vie qui y est exposé », assure Al-Bokhari.
Ahmad, fonctionnaire, ne peut s’empêcher de faire la comparaison entre la jeune génération de fidèles et les anciens compagnons du prophète. « Ils prenaient soin, non seulement de l’apprendre, mais de le comprendre et de le mettre en pratique aussi, ce qui est l'essentiel. Celui qui a le mieux incarné le Coran et l’a le mieux mis en pratique est notre prophète (paix et bénédiction d’Allah soient sur lui). Il était un Coran vivant », conclut Ahmad, qui estime que le malheur est de voir des fidèles lire le Coran sans que rien change dans leur âme.
Lien court: