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Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main

Dina Bakr, Dimanche, 14 juin 2015

Une récente décision ministérielle interdisant l'importation des lanternes du Ramadan fabriquées en Chine, le fameux « fanous », suscite l’enthousiasme des artisans égyptiens qui se sont remis au travail à l’approche du mois sacré.

Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main
(Photo: Ahmad Abdel- Razeq)

C’est dans l'une des ruelles du quartier d’Ibn Touloun, dans Le Caire historique, que l’on découvre les ateliers de fabrication de lanternes du Ramadan, « al-fawanis ». Les artisans travaillent d’arrache-pied pour honorer les commandes des commerçants, à la veille du mois sacré. Tout doit être terminé avant le début du Ramadan. Dans cet atelier on n’entend pas une mouche voler. Les enfants sont chargés d’amener les plaques de métal et de verre aux artisans. Chacun a une tâche précise. C’est une chaîne de production qui repose uniquement sur la force des bras. Amr est chargé de coller les bases d’une lanterne. « Je peux fabriquer tout seul une lanterne, mais chacun doit accomplir son rôle, cela permet d’aller plus vite et de faire travailler tout le monde », lance Amr.
Assis par terre, les mains posées sur des morceaux de métal, il les aligne minutieusement. Des gestes adroits, qu’il répète du matin au soir. Il les soude et s’assure que la nouvelle pièce tient en place correctement. Ce n’est qu’une étape parmi la douzaine qui existe dans la fabrication des lanternes. Et cela dépend aussi des formes, car il existe différentes sortes et tailles de lanternes : Aboul-Wélad (le père des fils), Al-Négma (étoile) et Farouq (du nom du roi d’Egypte, fabriquée spécialement à sa naissance en 1920), qui demandent beaucoup de travail. Les artisans ne veulent pas perdre de temps. Ils avalent rapidement leur déjeuner pour continuer leur activité. Ils ont repris goût au travail et doivent fabriquer une grande quantité de lanternes, et cela grâce à la décision ministérielle interdisant l’importation de lanternes. « Cette décision nous a redonné du baume au coeur. Les commandes se sont multipliées pour les fawanis égyptiens et nous sommes en train de chercher ceux qui ont mis la clé sous la porte pour nous aider dans cette activité », affirme Hommos qui a fait appel à son fils installé à Charm Al-Cheikh pour l’épauler.
Le ministère de l’Industrie et du Commerce vient de promulguer un décret ministériel (n°232/2015), fin avril dernier, interdisant l’importation des lanternes, et toutes sortes d’articles en cuivre et en étain dans le but de protéger certains métiers et promouvoir l’industrie nationale. Pourtant, cette décision ne concerne pas les contrats d’importation des fawanis « Made in China » signés l’an dernier, car le ministère ne pouvait empêcher leur livraison.
Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main
Certaines lanternes demandent énormément de temps à être fabriquées. (Photo: Ahmad Abdel- Razeq)
Main-d’oeuvre qualifiée
Ce métier qui nécessite une main-d’oeuvre qualifiée n’a pas beaucoup évolué depuis une dizaine d’années. « J’ai créé de nouveaux modèles en m’inspirant des formes de lanternes que je découvrais sur Internet. Je crée un dessin et le remets à un tourneur pour qu’il en fasse des milliers d’exemplaires », explique Fawzi, 65 ans, chef des artisans des fawanis à Berket Al-fil, dans Le Caire historique. Il tient à la main un diamant et s’apprête à couper des morceaux de verre qu’il placera sur de petites lanternes. Il précise qu’un tourneur gagne entre 1 000 L.E. et 3 000 L.E. par moule. « Cela fait plus de 20 ans qu’on essaye de survivre à cause du déferlement d’articles chinois. Rien à comparer avec nos fawanis, qui sont fabriqués avec minutie, alors que les articles importés de Chine ne sont que des jouets pour faire plaisir aux enfants », poursuit Fawzi, qui a commencé à travailler dans la fabrication de lanternes dès l’âge de 5 ans. « L’artisan qui exécute la forme la plus difficile, à l’exemple du fanous Aboul-Wélad, et qui nécessite la mise en place de 70 morceaux de verre gagne 10 L.E. par lanterne. Pour les formes les plus simples l’artisan touche entre 40 L.E. et 50 L.E. par jour », précise Fawzi.
C’est dans le quartier du Caire historique qu’habitent les anciens fabricants de lanternes, soit au total 5 familles. Aujourd’hui, ils rencontrent des difficultés à cause des matières premières aux prix élevés. Ce qui explique pourquoi les lanternes égyptiennes coûtent plus cher que celles fabriquées en Chine. Dans l’ouvrage « Les Métiers traditionnels en Egypte, entre patrimoine et inspiration » publié en 2014 par l’ONG Al-Nidaa et dirigé par Menha el Batrawi, l’on apprend que les lanternes datent du temps des Fatimides (XXe siècle). Elles étaient uniquement en cuivre et leur fabrication demandait énormément de temps. Au fil des ans, les artisans ont apporté quelques modifications en plaçant sur les lanternes des verres multicolores.
« C’était le 5 ramadan quand le calife fatimide Al-Moez Lédine Allah a fait son entrée au Caire. Pour l’accueillir et lui souhaiter la bienvenue, les habitants sont sortis, le soir, en tenant à la main des lanternes. Au fil des ans, la lanterne a pris une autre fonction, celle d’exprimer son allégresse ou son hospitalité, comme c’est le cas pendant le mois sacré », explique Ahmad Fawaz, historien.
Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main
Les ateliers de fabrication des lanternes se trouvent dans le quartier du Caire historique. (Photo: Ahmad Abdel- Razeq)
Aujourd’hui, les lanternes continuent de donner au mois du Ramadan cette ambiance particulière à l’Egypte. Les fawanis sont accrochés partout dans les rues, aux fenêtres et balcons et dans tous les lieux publics. Dans les quartiers de Sayeda Zeinab, du centre-ville, à Abassiya et à Héliopolis, les lanternes multicolores, en cuivre, en étain, en fer forgé, en bois et en khayamiya (artisanat du tissu décoratif à motifs islamiques) attirent l’attention des passants. Tandis que les lanternes, de fabrication chinoise, sont exposées dans les magasins et sont vendues à des prix dérisoires. Elles sont de petite taille, en plastique et en forme de jouets illustrant des personnages de dessins animés ou autres comme Toy Story, Bob l’éponge, Hello Kitty ou autres. En plus, ces jouets émettent de la musique et des chansons que l’on fredonne tout le long du mois du Ramadan telles que « Ramadan Gana » (le Ramadan est arrivé). Mais entre un travail fait main et une fabrication d’usine, la différence de qualité est grande.
Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main
Les lanternes « Made in Egypt » sont souvent plus coûteuses. (Photo:Haytham Youssef)
Pour tous les goûts
Les vendeurs de lanternes exposent leurs marchandises et il y en a pour tous les goûts. Pour le vendeur, chaque lanterne a son client. Les prix sont à la portée de toutes les bourses. Une lanterne à bougie coûte entre 15 L.E. et 50 L.E. Une autre à lampe peut coûter entre 70 L.E. et 500 L.E. Et si certaines lanternes sont chères par rapport à d’autres sur le marché, c’est parce qu’elles sont décorées de pierres et de perles.
Quant à la lanterne en khayamiya, son prix varie entre 35 L.E., 75 L.E. et 130 L.E. pour la plus grande. « J’ai dû réparer 24 lanternes fabriquées en Egypte à 40 L.E. Certains articles ne supportent pas le transport. De plus, les lanternes ne portent pas d’emballage et les verres et métaux ne sont pas protégés », explique Ragab Kazem, 55 ans, vendeur de lanternes à Héliopolis. Tout le monde le connaît sur la place Salaheddine. Selon lui, les pertes sont souvent importantes lorsqu’il s’agit de lanternes fabriquées en Egypte.
D’après Ragab, nombreux sont les clients qui recherchent des lanternes « Made in Egypt ». Débrouillard, il sait comment satisfaire tous les goûts. « J’essaye d’écouler d’abord le maximum de lanternes fabriquées en Chine. Et lorsqu’un client me demande un fanous local et qui émet de la musique, je lui propose l’option musicale pour 5 L.E. de plus », explique-t-il. Si Ragab fait tout pour écouler sa marchandise, d’autres vendeurs trouvent difficile de concilier à la fois la qualité et le prix. Abdel-Aziz Saafane, propriétaire d’un magasin de jouets à Héliopolis, confie que le fait d’avoir recours à la fabrication chinoise est bien plus simple pour le vendeur. « Les importateurs du secteur sont une vingtaine. La valeur des lanternes importées chaque année en Egypte est estimée à un million et demi de dollars », affirme Ahmad Chiha, président du département des importateurs à la Chambre de commerce du Caire. Selon Chiha, les Egyptiens dépensent environ 30 millions de L.E. chaque année dans l’achat de lanternes chinoises. « L’importateur tire son bénéfice sur le prix d’achat de la lanterne, il fait une marge bénéficiaire de 30 % à 50 %. Il prend en compte la casse et les lanternes qui ne fonctionnent pas », précise-t-il, en ajoutant que ces lanternes ne sont qu’une partie des articles et jouets pour enfants qui inondent le marché égyptien.
Ramadan : Le fanous égyptien reprend la main
Les lanternes sont de formes et de tailles différentes. De quoi satisfaire tous les goûts. (Photo: Ahmad Abdel- Razeq)
Revenu des artisans
Hassan, comptable à la retraite, déclare : « J’ai acheté 4 lanternes chinoises à mes petits-enfants pour 160 L.E. Si j’avais trouvé des lanternes égyptiennes et à 10 L.E. de plus la pièce, je les aurais achetées », dit-il. Un avis partagé par Férial, femme au foyer, pour qui même si la lanterne égyptienne coûte plus cher, elle la préfère à celle importée. « Elle nous fait vivre l’atmosphère du Ramadan », dit Férial. Hani Zahlane, ingénieur, invite ses amis depuis plus d’un mois sur sa page Facebook à acheter des lanternes égyptiennes. Et ce, pour contribuer au meilleur revenu des artisans. « Je dois en tant qu’Egyptien soutenir la production nationale. J’espère que les importations cesseront. Mais l’important est de prouver que l’on est capable de changer notre vie », conclut Zahlane qui vient d’acheter à sa fille de 3 ans une lanterne en bois à 35 L.E.
La scène se déroule dans la ville de Damiette (Delta), célèbre pour la fabrication de meubles et qui exporte ses produits au Koweït et en Arabie saoudite. Quelques jours après la décision ministérielle, les artisans de cette ville se sont remis au travail pour la fabrication de lanternes en bois. « Suite à la décision de cesser les importations, j’ai ramené tous les retraités et chômeurs qui passaient leur temps au café pour les faire travailler. En deux mois, mon niveau de vie a augmenté », confie hadj Mohamad, un ancien fonctionnaire qui, à l’âge de 56 ans, a osé monter son propre business. Il espère que ses enfants prendront la relève. Ses deux ateliers de 15 m2 dans le quartier industriel de Damiette nourrissent aujourd’hui 13 familles.
Toutefois, d’après Salah Al-Rawy, professeur à l’Institut supérieur des arts populaires, le fait de protéger le patrimoine égyptien nécessite toute une stratégie et non pas seulement une simple décision ministérielle. « L’important c’est de prendre une série de mesures plus globales qui permettront de protéger cet artisanat », conclut-il .
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