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L’artisanat, âme de l’Egypte

Najet Belhatem, Mardi, 10 mars 2015

Le livre L’Artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration est un éventail qui met en lumière avec beaucoup de finesse l’artisanat en Egypte. On découvre des métiers, des visages d’artisans porteurs de techniques ancestrales et d’histoires populaires.

L’artisanat, âme de l’Egypte
L'artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration. (Photos Bassam Al Zoghbi, Imad Abdel Hadi, Fadi Magdi)

«Nous avons cherché à suivre l’impact du quotidien des Egyptiens et de leurs besoins sur la fonction de l’objet, sa forme et son esthétique. Comme nous avons tenu à affirmer le lien entre l’artisanat et le patrimoine populaire en rassemblant des histoires, des récits, des chansons, des proverbes et de la poésie ». Ces quelques phrases tirées de l’introduction de Menha el Betraoui en résument bien l’esprit. Le livre est une compilation de textes, rédigés sous la direction de cette dernière.

L’Artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration

Il n’est pas question ici d’une étude sociologique ou ethnologique de l’artisanat, mais d’un voyage à travers le passé et le présent dans le monde de l’artisanat égyptien dont la tradition remonte au début des dynasties pharaoniques, et qui en garde encore jusqu’à aujourd’hui les traces. Au fil des siècles, chaque corps d’artisans a perpétué la tradition du travail, mais aussi une tradition orale. « On raconte qu’un homme vivait avec sa femme, celle-ci est tombée malade, ce qui l’a empêchée d’enfanter. Voyant sa peur de voir son mari chercher une autre femme pour avoir fils et filles, son mari, follement amoureux d’elle, a décidé, pour calmer ses craintes, de se castrer. Les jours sont passés et la femme s’est rétablie de sa maladie. Elle avoua alors à son mari qu’elle voulait un enfant. Pris de détresse, l’homme erra sans but jusqu’à arriver devant la chaumière du cheikh Aboul-Saoud Al-Garhi à Foustat. Après avoir écouté l’histoire du malheureux, il lui demanda de le suivre dans sa cave et d’y rester trois jours durant lesquels il lui façonna un pénis en argile dont on fabrique les jarres, puis il passa sa main sur lui et l’homme recouvrit sa virilité ». Cette histoire que nous révèle le livre, dans sa partie consacrée à la poterie, sur le cheikh Aboul-Saoud qui a vécu à Foustat au XVIe siècle et dont tout un quartier porte encore le nom aux abords de Foustat dans le sud du Caire, est connue de tous les artisans du métier sur place. Foustat a gardé tout au long des siècles son cachet de haut lieu de la poterie égyptienne et a même été le point de départ d’artistes potiers de renommée, comme le célébrissime Mohamad Mandour. Le livre met aussi l’accent sur d’autres hauts lieux de la poterie, comme le Fayoum.

L’artisanat, âme de l’Egypte
L'artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration. (Photos Bassam Al Zoghbi, Imad Abdel Hadi, Fadi Magdi)

Et face aux produits manufacturés et au manque de considération et d’aide, l’artisanat vivote malgré tout. « Zarifa est le nom de l’une des plus anciennes familles encore sur la scène de l’artisanat du cuir. L’ancêtre est venu de Cham (Levant) et s’est lancé dans la fabrication des tarbouches au départ, avant de se spécialiser dans la maroquinerie ». Aujourd’hui, c’est son petit-fils Michel, ingénieur en chimie, qui tient l’affaire, tentant de tenir la route tout comme les tanneurs cachés, si ce n’est les odeurs qui rappellent encore leur existence, derrière l’enceinte de Magra Al-Oyoune, pas loin du centre du Caire.

L’amant et l’aimée

De l’art de la verrerie qui a connu son âge d’or en Egypte au XIIe siècle, notamment à Alexandrie, Foustat et Fayoum, on retiendra un terme technique des vitraux dont sont parées toutes les églises et les mosquées qui porte en lui toute la poésie « Acheq we maachouq », qui veut dire littéralement « l’amant et l’aimé ». Cette appellation qui désigne l’imbrication de deux morceaux de verre sur le vitrail résume à elle seule toute la poésie et la mystique qui entourent cet art ancestral. En parcourant le chapitre consacré à l’artisanat du cuivre, dont le haut lieu au Caire est le quartier des Nahhassine à Gamaliya où quelques échoppes perpétuent encore la tradition dans un climat austère, on découvre là aussi toute une histoire de rituels en rapport avec l’utilisation au quotidien de l’objet. « Derrière un objet comme Tasset al-khadda (le récipient de la peur), il y a toute une histoire du patrimoine culturel égyptien où la religion se mêle à la légende.

L’artisanat, âme de l’Egypte
L'artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration. (Photos Bassam Al Zoghbi, Imad Abdel Hadi, Fadi Magdi)

Tasset al-khadda est un récipient en cuivre jaune de forme ronde sur lequel sont inscrits des versets du Coran, porté par de petits pieds. Selon la tradition, on remplit le récipient d’eau qu’on laisse toute la nuit se gorger de la baraka du Coran et des psalmodies inscrites sur le cuivre. Celui qui boit cette eau est, selon la tradition, débarrassé de la peur ». D’autres récipients ont, selon un artisan cité dans le livre, d’autres fonctions mystiques comme Tasset al-aqrab, le récipient du scorpion, pour guérir de son venin. Retour à la mystique et à l’amour divin dans le chapitre sur l’artisanat du bois. Hormis les ateliers de meubles dans la célèbre Damiette où se distinguent les artisans de la sculpture appelés les oémguiyas du nom de leur spécialité al-oyma, qui est la sculpture de motifs sur les meubles en bois, il y a les maîtres de l’arabesque, ou encore ici, du acheq we maachouq qui désigne la technique d’imbrication des morceaux de bois pour former des arabesques en bois qui sont notamment la base des moucharabiehs. « L’arabesque est un art de la contemplation. C’est pour cela qu’il est lié aux églises comme celle de Mar Guirguis et aux mosquées comme celle de l’imam Al-Chafeï ».

Des métiers en voie de disparition ?


L’artisanat en Egypte reflète tout un aspect mystique et légendaire, mais c’est un recueil d’une multitude de proverbes populaires comme celui en rapport avec l’artisanat des tapis « Al-Chatra teghzel be regl homar » qui veut littéralement dire : « la femme douée peut tisser avec le pied d’un âne » !

L’artisanat, âme de l’Egypte
L'artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration. (Photos Bassam Al Zoghbi, Imad Abdel Hadi, Fadi Magdi)

Le livre se penche, dans ce chapitre, sur l’expérience de l’architecte égyptien Ramsès Wissa Wassef, mort en 1974, et qui s’est installé il y a 60 ans dans le village de Harraniya spécialisé dans le tissage des tapis pour insuffler à ses enfants un vent de liberté créa­tive, convaincu qu’en chaque être humain réside un artiste. Son oeuvre continue toujours sous la houlette de sa fille Suzanne.

Dans le chapitre consacré à la joaillerie, on retiendra le SOS concernant les bijoux nubiens en voie de disparition. Parmi les joailliers nubiens, beaucoup ont disparu et il ne reste que peu d’artisans. « Parmi les plus réputées des boutiques il y a celle de Awad Gasser qui jouxte le Centre des technologies de la joaillerie dans le quartier de Abdine (centre du Caire). Aujourd’hui, c’est le fils qui tient le commerce et même si les Nubiens tiennent à perpé­tuer leurs traditions, cela ne s’est pas reflété sur les bijoux (…) ». Un seul artisan travaille avec le fils et parmi ses clients, seuls quelques vieux Nubiens viennent encore acheter ses productions dans un souci de préservation du patri­moine. Le papyrus est lui aussi, semble-t-il, le parent pauvre de l’artisanat après avoir disparu pendant plus de 1 000 ans. Il a été réintroduit en Egypte grâce aux efforts d’un ingénieur, Hassan Ragab, dans les années 1960, qui wa créé l’Institut des recherches sur le papyrus en 1961. Puis, il a créé dans son village natal, Qaramos, une plantation de papyrus. Mais les villageois font face actuellement à de grandes difficultés. « Malgré l’épanouissement de l’acti­vité avec celle du tourisme, les producteurs de papyrus souffrent des bas prix. Les villageois répètent en choeur : en 1980, nous vendions la feuille de papyrus à 1 L.E. et en 2013, elle se vend toujours à 1 L.E. ». Sans oublier que la peinture sur papyrus a complètement disparu, laissant place à l’impression.

L’artisanat, âme de l’Egypte
L'artisanat en Egypte entre patrimoine et inspiration. (Photos Bassam Al Zoghbi, Imad Abdel Hadi, Fadi Magdi)

Malgré un quotidien pas toujours facile, les artisans égyptiens, dont les sculpteurs de pierres descendants directs de la tradition pharaonique, sont toujours là. Jusqu’à quand encore face à la modernité et aux produits chinois et autres ? Personne ne sait.

Un beau livre donc que cette fresque de l’artisa­nat répartie en 12 chapitres, de la poterie en pas­sant par le tissage ou la fabrication d’objets en palmes. Il est né, comme le mentionne Menha el Betrawi dans son introduction de l’initiative de Héba Handoussa, directrice de l’Initiative égyp­tienne du développement global « Nidaa », qui est l’un des projets de développement de l’Onu.

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