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Menaces et espoirs sur Port-Saïd

Farah Souames, Mardi, 23 octobre 2012

Pour la 3e fois consécutive, l’Alliance française de Port-Saïd organise les Journées du patrimoine cette année du 24 septembre au 17 octobre. Le visiteur venant du Caire est frappé par le contraste entre les deux villes. Port-Saïd est moins dense, plus propre et expose une centaine de bâtisses datant des époques coloniales.

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photos : Mohamad Adel

Une architecture particulière marquée par le passage de plusieurs colonies, une société cosmopolite qui abritait Egyptiens, Français, Italiens, Grecs et Britanniques. Port-Saïd a une place particulière dans la mémoire contemporaine des Egyptiens en tant que symbole identitaire d’une résistance commencée dès le début du creusement du Canal de Suez.

A 220km du Caire, Port-Saïd, véritable joyau architectural du XIXe et XXe siècles et première ville moderne d’Egypte, est née en 1859, lors du creusement du Canal et de l’assèchement des marécages du nord du Delta du Nil. Il y avait alors beaucoup de monde et pas assez de terrains. Raison pour laquelle les édifices pouvaient atteindre facilement 4 étages, une spécificité de la ville qui reste un modèle unique à travers l’Egypte grâce à son riche patrimoine architectural désormais dans d’état de détérioration très avancé.

Comme tous les grands ports, Port-Saïd a hérité de nombreuses influences architecturales. Or, ce qui fait l’originalité de cette ville ce sont surtout les maisons en bois à 4 étages, une reproduction du style colonial français. Un héritage unique au monde et pourtant très négligé. Les visiteurs du coeur de cette ville mythique pourront admirer les maisons et les bâtiments qui subsistent encore, avec leurs balcons en bois ciselés et le travail très fin du marbre des entrées d’immeubles, ainsi que la mosaïque des trottoirs façonnée de façon très artistique.

Autre trait marquant de cette architecture : toutes les propriétés du Canal étaient construites dans le style colonial français. Au début de la construction, les maisons n’étaient qu’en bois, mais après l’installation des habitants, ces bâtisses ont évolué dans le but de fournir plus de confort aux personnes en usant d’ornements, de couleurs qui ne laissent aucun amateur d’art et d’architecture indifférent. Même si à Port-Saïd on ne trouve aucun monument pharaonique ou antique, la ville a son intérêt. Ses fameuses maisons coloniales avec de grands balcons ont forgé sa réputation et son charme.

« Quel gâchis ! »

Non loin de la rue principale d’Al-Gomhouriya se dresse une bâtisse où des manoeuvres effectuent des travaux de démolition des deux derniers étages. Ce bâtiment arborait une affiche sur un mur latéral où est inscrit en russe et en anglais— 1917, Salama Khodeir, flottille de ravitaillement des volontaires russes — « C’est la dernière fois que vous verrez cela », lance Pierre Alfarroba, directeur de l’Alliance française, et fervent défenseur de la sauvegarde du patrimoine de Port-Saïd. « Le propriétaire m’a dit: Je vais reprendre le bâtiment tel quel, mais je doute qu’il puisse reproduire une affiche qui date de 1917, quel gâchis ! », ajoute-t-il.

En longeant les rues aux abords du Canal, la ville apparaît comme un patchwork, un mélange de vieilles maisons coloniales et des tours modernes dépassant les 10 étages. « La ville a perdu son esprit, son identité, ces nouvelles tours aux abords du Canal ont dissimulé carrément certains ouvrages mythiques de ma ville, comme c’est le cas du fameux Phare de Port-Saïd », se désole Walid Montasser, un Port-Saïdien très actif avec l’Alliance française et défenseur du patrimoine de sa ville.

Ce Phare est l’une des premières constructions mondiales en béton armé, en raison du développement de Port-Saïd en matière de technologie de l’époque. Ce bâtiment est le dernier encore existant depuis l’inauguration du Canal de Suez. « Avant, les anciennes constructions faisaient face au Canal directement, mais là depuis la réalisation des passerelles dans le trottoir opposé, en plus des magasins en dessous, ils ont complètement déformé la vue panoramique de la corniche qui voyait défiler un ballet incessant de navire en tout genre », explique-t-il.

Toujours dans la même rue certaines constructions étaient à but commercial et contribuaient fortement à l’économie, comme ce fut le cas de la maison Simon Artz, le premier vrai centre commercial de la ville. Inaugurée en 1920 et située au bord du Canal, cette vaste bâtisse actuellement fermée présente une architecture unique avec des galeries autour d’un grand patio, encore en bon état.

Repris par le gouvernement égyptien après le départ des juifs de Port-Saïd en 1956, cet établissement a complètement cessé ses activités dans les années 1990. « Ce serait une belle initiative de reprendre cet ouvrage, sa rénovation ne coûtera pas beaucoup en raison de son bon état, et puis ça permettra d’aider à la création d’emploi pour la jeunesse », explique Florence Pizzoni, anthropologue et conservatrice de musées en France.

Ballades au rendez-vous

L’Alliance française a pu réunir pour sa 3e édition des Journées du patrimoine beaucoup d’invités entre Port-Saïdiens et étrangers, pour aller à la découverte du patrimoine architectural du XIXe et XXe siècles. Ces 3 semaines et demie ne se limitent pas aux oeuvres architecturales; d’autres événements culturels et ballades sont au rendez-vous.

Le week-end passé a été marqué par la visite de la ville et la découverte de ses édifices mythiques et vestiges archéologiques, en plus de l’intervention d’experts comme Florence Pizzorni, qui a évoqué les processus de réhabilitation urbaine et patrimoniale. Mais aussi Fabrice Duffaud, chargé des relations internationales du mouvement associatif Rempart, active dans le monde entier via des chantiers bénévoles à des projets de développement local.

« Cette 3e édition est une fierté pour l’Alliance française et tous ses collaborateurs, et le fruit d’efforts académiques et sociaux, le nouveau challenge de cette année est de soumettre une tentative d’inscription du patrimoine de Port-Saïd dans la liste d’attente des sites protégés de l’Unesco, qui sera une démarche révolutionnaire dans le travail que nous faisons depuis des années dans le cadre de la défense, de la sensibilisation et de la revalorisation du patrimoine de cette ville », souligne Pierre Alfarroba.

« Je tiens à éclairer que l’Alliance française est une association indépendante qui dépend du ministère égyptien de la Culture, et sa mission principale est l’échange culturel et linguistique à Port-Saïd, mais je dois avouer que l’idée de contribuer à la préservation de ce petit bijou m’est venu le premier jour de mon arrivée ici », ajoute-t-il.

Les derniers inventaires ont recensé environ 400 édifices du XIXe et XXe siècles. Ces bâtisses sont en voie de disparition par manque de restauration et observent une dégradation qui va à des vitesses hallucinantes, transformant ainsi des lieux chargés d’histoire en demeures salubres inhabitables. Ajoutons à cela la démolition progressive de plusieurs ouvrages. « Il est plus rentable de construire une tour à 10 étages et investir dans le foncier que d’entretenir pour un entrepreneur ou un promoteur immobilier », explique Ahmad Sidqi, architecte spécialisé dans le développement urbain. « Ces nouvelles tours ont volé le charme et l’originalité de Port-Saïd, mais il y a lieu de dire que la tâche principale à entreprendre avant toute démarche est la sensibilisation des Port-Saïdiens eux-mêmes et de faire un travail de recherche approfondi sur les lois de l’immobilier en Egypte », ajoute-t-il.

Le péril que courent les anciennes bâtisses de cette ville demande une urgente action de sauvegarde, d’entretien et de protection. « Si on n’agit pas vite, ce sont près de 200 années qui s’effaceront de l’histoire de l’Egypte, et j’estime que si un peuple ignore son histoire, il ne pourra être en mesure de prévoir son futur », souligne Pierre Alfarroba.

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