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L’art islamique touché au Coeur

Nasma Réda, Mardi, 28 janvier 2014

L’explosion d’une voiture piégée près du Musée d’art islamique du Caire vendredi dernier a gravement endommagé ses collections. Mais les réparations ont immédiatement commencé.

L’art islamique touché au coeur
14 siècles de l'histoire islamique réduits en poussière. (Photo : Mohamad Maher)

L’art islamique touché au coeur
Les travaux de restauration ont immédiatement commencé après l'explosion. (Photo : Mohamad Maher)

Le terrorisme en Egypte a atteint de très près la civilisation égyptienne. L’unique et superbe Musée islamique du Caire, l’un des plus beaux d’Egypte, a subi cette semaine une importante destruction suite à l’explosion d’une voiture piégée devant la préfecture de police du Caire située juste en face. « Je ne peux pas estimer les pertes du musée. Il est encore trop tôt », c’est ce qu’a déclaré Mohamad Ibrahim, ministre des Antiquités, suite à l’attentat qui a gravement endommagé presque tout le musée d’art islamique. « L’état du Musée est tellement détérioré que je n’ai pas voulu y pénétrer de peur de marcher sur les débris des pièces », a-t-il repris.

Plus de 2500 pièces exposées ont été trouvées éparpillées par terre. L’explosion a aussi détruit une grande partie de la façade du musée, et a complètement démoli la porte principale historique. « L’explosion a été forte et nous ne pouvons dire savoir si les dégâts touchent des textiles, des verres, des céramiques, du bois ou des métaux », a-t-il souligné. C’est la façade est du musée qui est la plus endommagée. De nombreuses pièces à l’intérieur du musée ont été pulvérisées et des vitrines ont été complètement brisées. « Les salles mamelouk et fatimide ont été complètement détruites et leurs contenus n’y sont plus », a assuré Mahmoud Abdel-Raouf, inspecteur du musée. Quelques plafonds suspendus ont été éventrés ! Une partie du toit est partiellement affectée. « Les dégâts de cette explosion pourraient avoisiner les 10 millions de dollars », a-t-il précisé lors de son inspection du musée quelques minutes après l’explosion. Une estimation qui s’appuierait sur le fait que le souffle de l’explosion a fait voler en éclats les fenêtres du bâtiment. Le ministre a assuré que malgré la force de l’explosion, le bâtiment a toutefois résisté, niant la rupture des canalisations d’eau.

Ibrahim a condamné cet attentat terroriste, affirmant qu’un tel acte n’empêchera pas les Egyptiens de poursuivre la feuille de route mise en place après le 30 juin 2013.

Afin de sécuriser les pièces restantes à l’intérieur du musée et de peur des vols, la porte principale a été bloquée avec du béton.

Beaucoup de soins

Après la fin des enquêtes des agences d’investigation, les travaux ont immédiatement commencé. Avec beaucoup de soins et sur deux jours consécutifs, des spécialistes égyptiens ont ramassé les pièces éparpillées et les ont placées soigneusement dans des caisses spéciales, afin de les transporter dans des entrepôts sécurisés et les réparer jusqu’à la restauration du musée.

Mohamad Ibrahim a souligné que, tout de suite après l’explosion, il avait discuté avec son homologue du Logement, Ibrahim Mehleb, les procédures pour commencer les travaux de restauration des murs intérieurs et du bâtiment extérieur pour les inaugurer le plus tôt possible.

Pour éviter les vols, aucune pièce ne sera transportée hors du musée. « Tous les travaux de restauration seront effectués dans l’une des salles du musée », a assuré Abdel-Raouf

L’art islamique touché au coeur
La fontaine ottomane, pièce maîtresse du musée, fortement endommagée. (Photo : Mohamad Maher)

Richesse et diversité des oeuvres

Le Musée d'art islamique regroupe des pièces inestimables qui remontent à différentes époques islamiques. Il avait aussi été récemment restauré.

L’idée de construire un Musée d’art islamique naquit vers 1869 sous le règne du khédive Tewfiq. Sur ordre du comité fondé par le khédive, l’ingénieur Franz pacha a rassemblé toutes les pièces anciennes et de valeur se trouvant dans les monuments anciens de la ville du Caire. Il eut alors l’occasion de recueillir de nombreux objets précieux, témoins des époques fatimide et mamelouke, ainsi que de nombreuses pièces sculptées en bois ou en pierre. A l’époque, ces quelque 3 000 pièces étaient conservées dans la cour de la mosquée Al-Hakim. Cependant, les locaux devinrent vite étroits. C’est alors vers 1899 que commence la construction de l’actuel Musée d’art islamique, qui prit fin en 1903.

Le musée est constitué de près de 23 salles abritant des oeuvres d’art du monde islamique tout entier. Son exceptionnelle collection de plâtre, de textile, de pièces de ferronnerie, de céramique, de verrerie ou de cristal en fait l’un des musées d’art islamique les plus importants au monde. Il compte aujourd’hui plus de 100 000 pièces dont 2 500 sont exposées. Le reste se trouve dans les entrepôts. La pièce maîtresse est sans doute une fontaine ottomane combinée à un splendide moucharabieh et un plafond en bois sculpté. Parmi les pièces les plus remarquables, une clé incrustée d’or de la Kaaba, et le plus ancien dinar islamique connu, datant de l’an 697. Plusieurs manuscrits rares du Coran sont également exposés, ainsi que des tapis persans ou des céramiques ottomanes, de même que des instruments anciens d’astronomie, d’architecture ou de chimie.

Une grande valeur artistique et historique, la richesse et la diversité des oeuvres proviennent des artistes et artisans des dynasties musulmanes — omeyyade, abbasside, fatimide, mamelouke et ottomane — qui ont régné en Egypte au fil des différents siècles. En plus de ces objets se trouvent également des pièces venant de Perse, d’Afrique du Nord, d’Andalousie, de Turquie, d’Inde ou de Chine.

Le musée a été fermé en 2003 pour restauration complète selon les critères internationaux de muséologie et de sécurité. Le coût total de cette restauration avait dépassé les 107 millions de L.E. L’ancien président Moubarak l’a inauguré en 2010 après sept ans de travaux .

L’art islamique touché au coeur

La profonde inquiétude de l'Unesco

Suite à l’attentat qui a touché vendredi dernier le Musée d’art islamique du Caire, l’Unesco s’est empressée de condamner l’acte terroriste, et sa directrice générale, Mme Irina Bokova, a salué le ministère d’Etat des Antiquités et les représentants de la société civile au Caire pour leurs actions rapides, leurs efforts en vue de sauvegarder les biens et prendre les premières mesures de conservation. « Je condamne fermement cette attaque et les destructions qu’elle a provoquées dans ce lieu de renommée internationale qu’est le Musée d’art islamique du Caire, qui abrite des milliers d’objets inestimables », a-t-elle déclaré, dans un communiqué estimant que cette attaque « met en évidence le danger de dégâts irréversibles qui pèse sur l’histoire et l’identité du peuple égyptien ». Mme Bokova a exprimé, à cette occasion, sa « profonde inquiétude » suite aux dégâts causés au musée par l’explosion. L’organisation s’est engagée à reconstruire le Musée d’art islamique du Caire. « Je m’engage aujourd’hui à mobiliser toute l’expérience et l’expertise de l’Unesco pour reconstruire le musée et réparer les dégâts. Ce travail est aussi essentiel pour le peuple d’Egypte que pour les femmes et les hommes dans le monde », a déclaré la directrice générale, signalant que ce patrimoine fait partie de l’histoire universelle de l’humanité, « une histoire partagée par tous et que nous devons tous chercher à préserver », selon elle. Une mission technique d’experts de l’organisation se prépare cette semaine à voyager pour évaluer sur le terrain la situation actuelle du musée et contribuer à donner un coup de main aux autorités égyptiens. « L’organisation débloquera près de 100 000 dollars pour la restauration du Musée d’art islamique, de ses salles et de ses vitrines endommagées », a déclaré l’ambassadeur d’Egypte auprès de l’organisation et président exécutif de l’organisation, Mohamad Sameh Amr. Une campagne de donation sera aussi lancée en faveur de cet édifice historique.

Dar Al-Kotob panse ses blessures

Dar Al-Kotob ou la maison des livres a été fortement endommagée suite à l’explosion qui a frappé cette semaine le quartier de Bab Al-Khalq.

« Grâce à Dieu, le bâtiment historique de Dar Al-Kotob, l’ancienne Bibliothèque nationale, situé à Bab Al-Khalq, ne s’est pas effondré à cause de l’explosion qui a ravagé ce quartier. Mais certains papyrus et manuscrits historiques ont été gravement endommagés », déclare Mohamad Saber Arab, ministre de la Culture, lors de sa visite à Dar Al-Kotob après l’explosion. Les vitrines où étaient conservés les manuscrits ont été brisées et les pièces exposées ont fortement été endommagées. Le bâtiment a subi d’autres dommages, notamment le réseau électrique et celui de l’eau. Le système anti-incendies a également été touché et la climatisation centrale a été complètement détruite. D’après Abdel-Nasser Hassan, président de la Bibliothèque, le montant des dégâts s’élève à plus de 50 millions de L.E. « Sept manuscrits rares et trois papyrus ont été complètement endommagés. Le plus important d’entre eux est le papyrus de la nomination du calife abbasside Al-Moqtader Bellah en 295 de l’hégire », explique Hassan.

En fait, Dar Al-Kotob n’est pas un simple bâtiment traditionnel. « C’est une institution qui a été pendant de longues années une importante source de réflexion culturelle à travers laquelle l’Egypte a joué un rôle très important dans la région arabe », se lamente Hassan. C’est dans cette perspective que des travaux de restauration ont commencé dans ce bâtiment en 2000 et se sont achevés en 2007 avec un budget de plus de 100 millions de L.E. « La bibliothèque de Dar Al-Kotob avait été modernisée et équipée des plus récentes techniques, à l’instar de celles utilisées dans les plus grandes bibliothèques nationales du monde. Tout ceci a été détruit », déplore le directeur de Dar Al-Kotob.

140 ans d’Histoire

Construite en 1870, Dar Al-Kotob était à l’époque de sa construction la première maison du livre dans la région arabe. Elle a été fondée suite à un décret du khédive Ismaïl, et à l’initiative de Ali Moubarak pacha, ministre de l’Education à l’époque. Le décret en vertu duquel cette institution a été créée stipulait que la Kotobkhana (la maison du livre en turc) soit installée au rez-de-chaussée du sérail du prince Moustapha Fadel, frère du khédive Ismaïl, dans le quartier de Darb Al-Gamamiz. La Bibliothèque nationale devait, au départ, conserver les manuscrits et les archives de grande valeur offerts par les sultans et les princes. Elle renfermait également les écrits des oulémas. Surchargée par un grand nombre de manuscrits, elle devait être transférée vers un autre lieu. Le khédive Abbass Helmi II a posé en 1899, sur la place Bab Al-Khalq, les fondations d’un nouveau bâtiment que la Kotobkhana devait partager avec Dar Al-Assar Al-Arabiya (la maison des antiquités arabes), actuel Musée d’art islamique. Dar Al-Kotob a été transférée dans ces locaux en 1903. Le bâtiment ne fut officiellement ouvert qu’au début de l’année suivante. Au fil des années, le bâtiment est devenu encombré en raison de sa collection qui ne cessait de grandir. A partir de 1961, ce fut un nouveau bâtiment à Boulaq, sur la corniche du Nil, au Caire.

Le patrimoine islamique ruiné

Deux jours après l’explosion, une conférence de presse était organisée au musée afin d’annoncer aux journalistes les derniers développements. En arrivant sur les lieux, on est immédiatement frappé par l’ampleur des dégâts. L’amertume apparaît sur les visages. En l’espace de quelques secondes, les 14 siècles de l’histoire islamique ont été réduits en poussière. Le sol est parsemé de bris de vitres et de débris de pièces endommagées. La conférence est organisée dans une cour située derrière le musée. Le ministre, visiblement accablé par cette « dévastation », doit s’adresser aux journalistes, lorsque, soudain, une fenêtre du deuxième étage du musée tombe. L’explosion a réduit les lieux en poussière.

Afin de pénétrer à l’intérieur du musée, les journalistes sont amenés à marcher sur la pointe des pieds de peur de piétiner les pièces gisant sur le sol. Les salles ne sont pas éclairées, l’eau inonde le sol. Un poteau électrique traverse la salle principale du musée. Quasiment toutes les pièces sont endommagées. Les grandes pièces ont été couvertes avec du plastique pour les protéger du plafond qui peut s’effondrer à tout moment. En sortant du musée, tout le monde est fouillé. Les mesures de contrôle sont très strictes. C’est normal, car il est très facile de voler, d’autant plus que les pièces de monnaie, par exemple, sont éparpillées sur le sol et sont faciles à emporter. La tristesse plane sur les lieux. Et un sentiment de désolation et d’amertume traverse les personnes présentes. Comment en l’espace de quelques secondes ces richesses inestimables d’une civilisation millénaire sont-elles tombées en ruine ? .

Quatre mosquées historiques endommagées

Les dégâts de l’explosion ne se sont pas limités au Musée d’art islamique et la maison des livres, mais ils ont touché aussi quatre autres mosquées historiques qui remontent à l’époque mamelouke et qui se trouvent à proximité de ces deux bâtiments. Le ministère des Antiquités a formé un comité, afin d’examiner les impacts de cet acte criminel sur les sites islamiques qui se trouvent dans les alentours. Suite à ses investigations entreprises sur le terrain, il s’est avéré que quatre mosquées ont été affectées. Quasiment, tous les vitraux des mosquées ont été brisés ainsi que des parties des portes en bois et des moucharabiehs ont été détruits.

« 18 fenêtres décorées avec du verre et du cristal ont volé en éclats et ont été endommagées », a assuré Farag Abdel-Maaboud, imam de la mosquée Al-Banate. Fondée par le prince Abdel-Ghani Al-Fakhri (1384-1418), elle est considérée comme l’une des plus grandes mosquées de la région. Ses fenêtres fabriquées en plâtre sont incrustées de vitraux, son plafond en bois est richement décoré. Son sol orné de marbre noir et blanc et ses portes sont d’une finesse artistique sublime. Le bâtiment est un beau modèle de l’architecture islamique, et d’un travail minutieux. Pas loin de la mosquée Al-Banate, l’explosion a endommagé aussi les fenêtres et les portes de deux autres mosquées : celle du prince Hussein datant de 1319, et la deuxième appartient au prince Youssef Agha Al-Hin (1605-1646).

La quatrième mosquée touchée est située à quelques pas de la préfecture de police du Caire, rue Ahmad Maher : la mosquée Fatma Al-Chaqraa qui est actuellement en pleine restauration.

Elle a été bâtie en 1468 par Rachid Al-Dine Al-Bahaï pendant le règne de Qaïtbay, le sultan mamelouk. Fatma Al-Chaqraa a poursuivi la construction de cette mosquée, car les Ottomans n’ont pas achevé les travaux. Ce qui donne au minaret cylindrique le caractère ottoman. Cette forme explique l’originalité de cette mosquée dans le mélange de l’architecture mamelouke et ottomane.

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