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L’histoire millénaire du Canal de Suez

Doaa Elhami , Lundi, 13 février 2023

L’histoire du Canal de Suez a fait l’objet d’un colloque tenu par l’historien et architecte Ali Al-Hefnawi. Focus.

L’histoire millénaire du Canal de Suez
Les bateaux à vapeur encore naissants naviguent dans le canal en 1869.

 « Il n’y a pas d’histoire de l’Egypte sans l’histoire du Canal. L’histoire du Canal a commencé depuis plus de 4 000 ans°». C’est en ces termes que l’historien et architecte Ali Al-Hefnawi, fils de Moustapha Al-Hefnawi, figure de proue de la nationalisation du Canal de Suez en 1956, a commencé sa conférence sur l’histoire du Canal dans un colloque organisé par le club Rotary Champollion du Caire.

Le premier canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge, surnommé Sésostris, date de 1850 av. J.-C. Il a été creusé par le roi Sénousert III au Moyen Empire. Ce projet a été suivi d’une série de canaux construits par plusieurs souverains, le Perse Nécos II (610 av. J.-C.), Ptolémée II (285 av. J.-C.), le Romain Trajan (117), Amr Ibn Al-Aas en 642. Mais 150 ans plus tard, le calife abbasside Abou-Gaafar Al-Mansour a ordonné de remblayer le canal pour empêcher les flottes étrangères d’arriver à La Mecque.

Cela n’a pas empêché d’autres tentatives de rejoindre les deux mers. Pendant la 7e croisade en 1249, Louis IX, connu par saint Louis, a tenté de percer un canal. En 1672, le savant allemand Leibniz a fait une recommandation au Roi-Soleil, Louis XIV, de reconquérir l’Egypte et de creuser un canal entre les deux mers « pour garder votre puissance internationale et pour garder la domination sur le commerce international », lit-on dans les archives diplomatiques de Louis XIV. Plus tard, après la Révolution française, le jeune général Napoléon Bonaparte, causant des soucis au régime politique d’alors, « le Directoire », en raison de ses campagnes d’Italie et autres, les responsables du Directoire lui ont présenté la recommandation qu’avait laissée Louis XIV dans ses archives diplomatiques l’incitant à occuper l’Egypte et y faire un canal. « Ainsi, l’idée d’occuper l’Egypte a germé dans l’esprit de Napoléon », renchérit Al-Hefnawi.


Le creusement du canal.

Bonaparte était donc venu en campagne militaire, accompagné de savants, pour creuser le canal. Avec ses troupes et ses ingénieurs, il part à Suez en quête des traces du « canal des pharaons ». Il trouve alors une stèle qui définit les traces du canal reliant le golfe de Suez au lac Temsah, puis vers la ville de Zagazig sur la branche est du Nil, celle de Péluse. Napoléon charge alors l’ingénieur Lepère de faire un relevé topographique de toute la zone pour creuser le canal. Mais Lepère signale la différence de niveau entre la mer Rouge et la Méditerranée de 9,5 mètres. Le projet du canal fut momentanément abandonné. Toutefois, constatant la grandeur de la civilisation égyptienne, Bonaparte estima que l’Egypte aurait dû être le centre du monde islamique, et pas Istanbul. « Il faut faire de ce pays élite un Etat fort. On peut, nous, la France, l’aider en faisant un lien avec l’Egypte », dit-il d’après les références.

Bonaparte propose le poste de consul de France en Egypte au diplomate Mathieu, l’un de ses compagnons, et le charge de rechercher une personne qui pourrait devenir « le représentant de la France en Egypte et le chef du pays », reprend l’historien. Le choix a porté sur le wali Mohamad Ali. « On peut l’aider à créer un Etat moderne et on s’arrange pour qu’il soit notre représentant dans ce monde oriental°», lit-on dans les références. Le rôle de Mathieu, qui n’est que le père de Ferdinand De Lesseps, sera aussi important dans l’avenir de l’Egypte de cette époque que celui de son fils. Bonaparte a aidé à faire de Mohamad Ali le wali d’Egypte en 1805. Ainsi commença la coopération franco-égyptienne, avec une modernisation dans plusieurs domaines dont l’industrie, l’agriculture et l’armée, grâce à la contribution de plusieurs Français à l’exemple de Soliman pacha, fondateur de l’armée, Clot bey qui a établi le système médical et l’assurance sociale, ainsi que le réformateur social, le père Enfantin, l’un des principaux chefs du mouvement des Saint-Simoniens et parmi les premiers à imaginer la construction du Canal de Suez. Les Saint-Simoniens ont par la suite fondé un bureau à Paris pour l’étude d’un futur canal entre les deux mers.


Carte décrivant l’écoulement du canal aux temps des Pharaons.

Mohamad Ali a estimé utile de profiter des services de Ferdinand, fils de son ami Mathieu de Lesseps. Devenant vice-consul de France à Alexandrie, il l’a attaché au palais pour s’occuper de la comptabilité des cuisines et aussi de son fils, Mohamad Saïd, encore adolescent. « De là est née la relation entre Mohamad Saïd et Ferdinand De Lesseps », explique Al-Hefnawi. Ferdinand a quitté l’Egypte en 1837 pour un poste consulaire, mais il est revenu en 1854, lorsque Mohamad Saïd est devenu vice-roi d’Egypte. Pendant ces années, De Lesseps a repris les plans des Saint-Simoniens et a convaincu Mohamad Saïd pacha de creuser le canal. «°Je vais vous faire le plus grand projet du monde », lui dit-il. «°Ferdinand prend alors la Ire concession du canal, oeuvre pour son propre compte en interdisant aux Saint-Simoniens de venir en Egypte », raconte Al-Hefnawi.

En 1856, Ferdinand fonde la société du Canal avec une 2e concession plus détaillée et pleine de conditions. « L’Egypte doit acheter toutes les actions que De Lesseps ne pourra pas commercialiser en Europe, soit 44 % des actions, fournir la main-d’oeuvre gratuitement, céder les terrains où le canal sera creusé, céder des terrains qui pourraient être cultivés pour que la société les exploite … ». « Des conditions faramineuses qui ont créé toute une problématique dans l’histoire de l’Egypte », commente l’historien. Et en 1858 a été créée la Société universelle du Canal maritime de Suez.

Domination européenne

En 1863, le khédive Ismaïl succède à Saïd pacha. Il arrête la corvée, demande de récupérer tous les terrains pris par la Compagnie du Canal. Mais Napoléon III, étant l’arbitre, a contraint l’Egypte à payer la valeur de 44 % des actions, de verser la somme de 130 millions de francs pour la corvée et 38 millions pour les terrains rendus. « L’étude de base du projet du canal estimait le coût de construction à 200 millions de francs et quand le canal a été inauguré, cette somme a atteint 428 millions dépensés pendant une dizaine d’années. Les archives de la compagnie indiquent que sur les 428 millions de francs, 187 millions ont été versés comme salaires des membres du conseil d’administration qui sont la famille De Lesseps », renchérit l’historien, et cela sans oublier le coût des festivités de l’inauguration du Canal en 1869, qui a atteint un million et demi de francs. Néanmoins, la taille du canal a été réduite : « Au lieu de le faire 100 mètres de large comme prévu, il n’a été que de 60 mètres », explique l’historien. Les bateaux qui l’ont emprunté n’étaient pas très grands. Il y avait des bateaux à voile et des bateaux à vapeur. « Mais cela suffisait en ce temps pour faire des affaires et commencer à faire entrer de l’argent dans les caisses de la compagnie du Canal », poursuit-il.

Quand le Canal a commencé à faire des bénéfices, les puissances européennes, et notamment Ferdinand de Lesseps, poussèrent le khédive Ismaïl à vendre les actions de la compagnie. Les 44 %, la part de l’Egypte, seront vendus en 1875 au gouvernement britannique, le seul qui deviendra le propriétaire des actions à côté d’individus français, italiens, autrichiens et quelques Egyptiens. La Grande-Bretagne se retrouve donc en position de force dans l’administration du Canal. Les puissances européennes s’emploient alors à se débarrasser du khédive Ismaïl qui refuse que les finances égyptiennes soient soumises à des financiers anglais.

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