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Les trésors historiques de l’AUC

Dalia Farouq, Mardi, 19 février 2019

Plus de 15 000 livres rares et près de 500 000 photos anciennes sont conservées à la Bibliothèque des livres rares (RBSCL) de l'Université américaine du Caire. A l'occasion du 100e anniversaire de l'institution, focus sur trois collections de grande valeur et leurs auteurs.

Les trésors historiques de l’AUC
Hassan Fathi dans sa maison à Darb Al-Labbana.

Au cours de ses 100 ans d’existence, l’Université américaine du Caire (AUC) n’a pas cessé d’enrichir ses collections de la Bibliothèque des livres rares (RBSCL) et son département de pho­tos, qui comptent aujourd’hui plus de 15 000 livres rares et près de 500 000 photos anciennes. Parmi les plus importants documents figurent ceux du grand spécialiste anglais d’archi­tecture islamique Keppel Archibald Cameron Creswell, les archives du grand architecte contemporain Hassan Fathi et celles du photographe armé­nien de renom Van Léo.

C’est l’AUC qui a proposé à Keppel Archibald Cameron Creswell, dans les années 1950, d’accueillir ses livres, surtout qu’il n’avait pas d’héritier. Creswell a accepté en lui léguant sa bibliothèque de plus de 3 000 volumes, en plus de sa collection d’environ 13 000 photos, plans et des­sins. Cette collection particu­lière se trouve dans les armoires dédiées à Creswell au siège de l’AUC à Al-Tagammoe.

Les trésors historiques de l’AUC
La vedette Chéwikar vue par Van Léo.

Né le 13 septembre 1879 à Londres, Creswell fait des études de polytechnique. Intéressé, depuis son enfance, par les bâtiments de l’Orient, il se lance plus tard dans des études d’architecture orientale. En 1913, il publie un article dans le Burlington Magazine et, peu après, donne un article à la Royal Asiatic Society, qui est bien accueilli. Les deux portent sur l’architecture des dômes perses. Son intérêt pour l’architecture islamique s’accroît davantage. Lors de la Première Guerre mondiale, il est nommé offi­cier dans le Royal Flying Corps en Egypte, où il trouve une bonne occa­sion de satisfaire sa passion pour l’architecture islamique.

Creswell décide de concrétiser cette passion en rédigeant un livre sur l’histoire de l’architecture isla­mique en Egypte. Mais ce n’est pas une entreprise simple. Il ne termine ce projet que des années plus tard, et ce n’est qu’en 1969 qu’il publie 5 volumes, avec des descriptions détaillées de monuments et des plans, dessins et photographies de presque toute l’architecture isla­mique, comme les minarets, les dômes et les madrassas. Cet ouvrage de grande envergure est divisé en deux : Early Islamic Architecture (les débuts de l’architecture isla­mique) et The Muslim Architecture of Egypt (l’architecture islamique d’Egypte). « Il a voulu faire non seulement une analyse architectu­rale, mais aussi une chronologie du Caire à partir de la conquête arabe de l’Egypte à travers ses monuments islamiques, comme la mosquée de Amr Ibn Al-Ass et celle d’Al-Azhar et les différents styles de l’architecture islamique », explique Ola Seif, conservatrice de la photothèque et de la cinémathèque de l’AUC.

Creswell est nommé conférencier à l’Université Fouad (aujourd’hui l’Université du Caire) en 1931 et, trois ans plus tard, professeur d’art islamique et d’architecture. Il occupe ce poste jusqu’à 1951. En 1956, lors de la crise de Suez, le gouvernement lui conseille, comme à tous les Britanniques, de quitter le pays. Mais le président de l’AUC à cette époque propose au président égyptien Gamal Abdel-Nasser de garder Creswell en Egypte pour qu’il puisse continuer son oeuvre sur l’architecture isla­mique. En 1956, il est nommé pro­fesseur distingué d’art et d’architec­ture islamiques à l’AUC. Déjà en 1939, il devient membre du Conseil supérieur de la conservation des monuments arabes et occupe ce poste pendant 12 ans. Il participe activement à l’enregistrement et à la préservation du mur et des portes du Caire médiéval du XIIe siècle. En juin 1973, Creswell, suite à des problèmes de santé, retourne en Angleterre. Il décède le 8 avril 1974. « Creswell était un perfection­niste, il s’intéressait beaucoup aux détails. Ceci est bien clair dans sa collection riche de photos, où il a essayé de docu­menter presque tous les monu­ments islamiques de son temps pour pouvoir les étudier et faire des comparaisons avec l’architecture dans d’autres régions du monde. Il allait plus loin pour avoir une vue plus omnisciente de l’architec­ture islamique en Egypte, c’est la valeur de l’oeuvre de Creswell », souligne Ola Seif. Avant d’ajouter que dernière­ment, près de 1000 photos ont été trouvées dans le musée de Victoria Albert. A noter qu'il existe d'autres parties de la collection de Creswell à Ashmoleon Museum à Oxford, à Harvard University et à Villa Tatti en Florence. « On a conclu un accord avec toutes les institutions où se trouvent des photos de Creswell, afin de les mettre en ligne pour qu’elles soient acces­sibles à tout le monde », souligne-t-elle.

De l’architecture islamique à l’architecture contemporaine

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La mosquée d'Oum Al-Soltan Chaaban photographiée par Creswell.

L’AUC abrite par ailleurs toute l’oeuvre du grand architecte égyptien Hassan Fathi. Habitant dans une maison de style mamelouk à Darb Al-Labbana, dans le quartier de la Citadelle, appelée « Maison de l’ar­chitecture égyptienne » et ayant comme voisin et ami l’Aga Khan, il confie à celui-ci le soin de gérer toute sa bibliothèque qui renfermait livres, documents, photos, dessins, plans et maquettes. Ainsi à son décès en 1989, l’Aga Khan prend en charge les archives de Fathi, tout en les lais­sant à leur place. Mais le tremble­ment de terre qui secoue l’Egypte en 1992 endommage gravement « la maison de l’architecture égyp­tienne », et il faut l'évacuer pour la restaurer. Les membres de la fonda­tion de l’Aga Khan veulent transpor­ter les oeuvres de Fathi à son siège à Genève, mais comme c’est une quantité énorme à transporter, l’idée est abandonnée.

Les disciples de Hassan Fathi et ses amis, préférant que ses oeuvres res­tent en Egypte, se mettent d’accord pour les offrir à l’AUC, pour qu’elles soient bien préservées. « C’était un bon choix, les locaux ont pu accueillir cette très grande collection et elle est accessible à tout le monde.

L’AUC a pris toute la collection de Fathi et a réussi à obtenir un fonds via le National Endownement for Humanity (NEH) pour pouvoir les classifier et les mettre dans des boîtes d’archives spéciales, afin de faciliter leur consultation à tout chercheur », explique Ola Seif. Elle ajoute que l’université a orga­nisé plusieurs expositions sur les possessions et travaux de Hassan Fathi et qu’actuellement, la biblio­thèque est accessible à tous les chercheurs en architecture ainsi qu’aux amateurs du patrimoine de Hassan Fathi, qui était l’un des architectes les plus marquants de sa génération. Fathi est, en effet, connu pour avoir démontré qu’il est possible de construire de beaux bâtiments avec un style architectu­ral particulier, notamment pour les sociétés modestes. Le nouveau vil­lage de Gourna à Louqsor est la grande oeuvre de Fathi, dans laquelle il a mis toute son expé­rience, son esprit et ses inspira­tions nubiennes.

Né en 1900, Fathi est diplômé de l’école polytechnique de l’Univer­sité du Caire en 1926. Il cherche à s’ancrer dans les traditions autoch­tones en utilisant des techniques de construction locales et ancestrales, qu’il adapte aux contraintes modernes et aux besoins de la vie contemporaine. Il dessine son pre­mier bâtiment en brique de terre en 1930. Au début de sa carrière, il travaille dans le département des bâtiments scolaires au ministère de l’Education. Il découvre la beauté de l’architecture nubienne et son caractère particulier. A partir de 1946, il travaille comme professeur des beaux-arts à l’Université du Caire. En 1953, il devint directeur du département d’architecture de la faculté des beaux-arts du Caire.

En 1969, avec la publication de son premier livre L’Architecture des pauvres, son travail attire l’at­tention à l’échelle internationale. Il raconte son expérience architectu­rale à Gourna. Hassan Fathi tra­vaille de près avec les gens pour adapter ses dessins à leurs besoins. Il leur enseigne comment travailler avec les briques de boue, supervise la construction des bâtiments et encourage la reprise de techniques décoratives anciennes.

Un trésor de photos

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La façade de la mosquée d'Al-Saleh.

Quant à la collection des photos du photographe égypto-arménien Van Léo, elle est le joyau de la photothèque de l’AUC. Elle ren­ferme aussi son appareil photo et les équipements de son studio. Dernier témoin d’une Egypte cos­mopolite, Van Léo est né en 1921 en Turquie, de parents arméniens, sous le nom de Levon Boyadijian. Il s’installe en Egypte en 1924, où il réussit, quelques années plus tard, à se faire un nom comme meilleur portraitiste de son époque. Quand il termine sa scolarité en 1939, Van Léo s’inscrit à l’AUC, mais déserte rapidement les cours et offre ses services au Studio Venus de la rue Qasr Al-Nil. Talentueux, il ouvre, en 1941, son propre studio, lorsque son père lui permet de transformer la salle à manger familiale en studio et la salle de bain en chambre noire. Les stars du cinéma, les intellectuelles et l’élite ne tardent pas à connaître le talent de Van Léo et se précipi­tent vers son studio pour avoir de beaux portraits. On trouve dans ses archives des portraits de l’écrivain Taha Hussein, du musicien Mohamad Abdel-Wahab, de la vedette Faten Hamama ou des acteurs Rochdi Abaza et Omar Sharif.

Van Leo choisissait très soigneu­sement ses sujets. Surréaliste qu’il soit, il s’intéressait surtout aux effets artistiques, aux jeux de lumière et aux retouches. Très sou­vent, il photographiait des per­sonnes gratuitement, parce qu’elles avaient un visage intéressant ou particulier. Il s’attachait à photo­graphier des lieux communs, des bâtiments et les gens de la rue. « Il retrace à travers ses photos la chronologie de la société égyp­tienne au cours de plus de 50 ans. Les années avant la Révolution de 1952 ont été décisives dans l’his­toire de l’Egypte, ce qui lui a per­mis de recenser les changements majeurs qui ont eu lieu dans la société, que ce soit sur le plan ves­timentaire, architectural ou autre », indique la conservatrice de la photothèque à l’AUC. En 1998, son état de santé empirant, Van Léo fait don de pratiquement tout ce qu’il possède, même de son studio, à l’AUC. « Avec la mort de Van Léo en 2002, l’Egypte a perdu l’un des pionniers de la photogra­phie des portraits », conclut Seif.

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