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Partenariat : Les sept dormants de Suez

Ahmed Youssef, Mardi, 23 avril 2013

L’amiral Mohab Mamish, président de l’Organisme du Canal de Suez, était cette semaine à Paris, où il a rencontré le PDG du groupe GDF-Suez, Gérard Mestrallet. Au centre des discussions : la création en Egypte d’une immense centrale d’énergie solaire sur la mer Rouge.

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Les deux délégations égypto-françaises devant le portrait de l'impératrice Eugénie.

Il était 10h, en ce mois d’avril brumeux, lorsque l’amiral Mohab Mamish, patron du Canal de Suez, a pénétré dans le lobby de la tour de 36 étages dite Tower Number One du groupe GDF-Suez. Eternel retour de la légende de Suez dans notre vie politique et économique d’aujourd’hui et étrange rencontre entre cet amiral égyptien, ancien chef d’état-major de la marine de guerre égyptienne, et Gérard Mestrallet, homme dont le nom est aujourd’hui synonyme de la puissance et de l’excellence de l’industrie française dans le domaine de l’énergie.

Tout séparait ces deux hommes. L’Egyptien a déjà passé les deux tiers de sa vie entre sa ville natale, Alexandrie, et les sous-marins dont il a appris les arts et les secrets dans les écoles américaines, et le Français, exemple modèle de l’énarque français passé des cabinets talleyrandesques des ministères pour arriver à la tête d’une grande compagnie héritière de l’aventure de Ferdinand de Lesseps dont il a fait aujourd’hui l’une des plus grandes compagnies d’énergie au monde. Pour Gérard Mestrallet comme pour l’amiral Mamish, Suez est la marque de la grandeur des hommes et des dieux. Suez ne devient-il pas, si on le lit comme les Arabes de droite à gauche, le dieu des dieux : Zeus ? Le glorieux passé du percement du Canal de Suez et les fastes de son inauguration hantent encore les deux hommes (un majestueux tableau de l’impératrice Eugénie trône dans le salon d’honneur de Gérard Mestrallet qui domine Paris), l’amiral Mamish n’a cessé de parler devant ses interlocuteurs français du sang versé de nos ancêtres français et égyptiens dans le Canal et a fait savoir avec insistance que ce sang a été versé par ces Egyptiens et ces Français de Ferdinand de Lesseps jusqu’au plus modeste des fellahs travaillant sur le chantier, est aujourd’hui un legs à l’humanité toute entière qui nous force à regarder de l’avant et à chercher la prospérité pour nos enfants et les enfants de nos enfants.

Si l’Egypte sort affaiblie de ce fameux Printemps arabe, insiste l’amiral, récemment désigné par le président Morsi à la tête de l’Autorité du Canal de Suez, le pays regorge de ressources, de richesses et d’atouts économiques et stratégiques, dont le Canal de Suez lui-même.

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L'amiral Mamish accueilli par l'amiral Fogel, chef d'état-major de la marine française.

C’est presque un Etat dans l’Etat, disent les observateurs d’aujourd’hui. L’Autorité du Canal est prise par le souci de la sécurisation du Canal même en tant que voie maritime vitale pour le commerce international, mais aussi par un gigantesque projet de transformer toute la région du Canal en une zone franche internationale avec des projets tous azimuts.

Déjà, des Qatari et des Chinois se pointent à l’horizon pour ce projet et ont déjà acquis des terrains (les Qatari à l’ouest de Suez et les Chinois à Al-Sokhna sur la mer Rouge). Les Japonais ne sont pas en reste. Ils sont en route pour des projets de Smart Village, de chemins de fer.

Pour l’amiral Mamish, si les Qatari, les Chinois et les autres cherchent à investir dans cette nouvelle zone franche égyptienne, GDF-Suez, elle, a une légitimité historique à s’y installer comme elle l’est déjà dans le domaine du gaz et de l’eau potable à Alexandrie et au Caire.

En présence de Denis Simonneau, directeur des relations internationales, et de Philippe Peyrat, directeur du mécénat et un passionné de la mystérieuse vie de Cagliostro, Gérard Mestrallet et son hôte ont également examiné longuement un projet de création d’une immense centrale d’énergie solaire sur la mer Rouge, et ce, pour la première fois en Egypte.

Ainsi, la légende de Suez commence par l’eau au XIXe siècle et la voilà qui se termine par le soleil au XXIe siècle. Ce ne fut point par hasard que le dieu Aton (le soleil) soit représenté dans les bas-reliefs des temples égyptiens par ce disque duquel sortaient d’innombrables mains tendues à la recherche de la prospérité.

Le Musée du Canal de Suez à Ismaïliya

En réalité, l’amiral égyptien avait déjà, la veille, fait la connaissance du siège historique du groupe GDF-Suez, sis rue d’Astorg, où se trouvaient le Musée du Canal de Suez et les locaux de l’Association du souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez.

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La maison de Lesseps à Ismaïliya sera le siège du musée.

Avec une émotion à peine voilée, l’amiral a salué l’homme qui fut à l’origine de cette visite historique : Arnaud Ramière de Fortanier, inspecteur des archives de France et surtout président de ladite association.

Ce fut sans doute l’un des points forts de la visite de l’amiral à Paris, le moment où ce militaire égyptien découvrait les trésors du Musée du Canal de Suez.

Certes, plans, tableaux, photos, manuscrits, statues et une rare bibliothèque spécialisée sur le Canal de Suez, le tout donnait au responsable égyptien une idée sur ce que pourrait être, dans un avenir proche, le Musée du Canal de Suez qu’il souhaite installer dans le bâtiment qui a abrité les bureaux de l’ancienne compagnie maritime universelle du Canal de Suez de 1858, date de sa création par Ferdinand de Lesseps et Saïd pacha, jusqu’en 1956, date de la nationalisation du Canal par Nasser.

L’association joue un rôle très important dans ce projet initié il y a quelques années par l’ancien président de l’association, Jean-Paul Calon. Aujourd’hui, l’arrivée de l’amiral Mamish à la tête de l’autorité du Canal de Suez a accéléré le projet.

Le rapport Bellec — du nom du contre-amiral français Bellec qui dirigeait une commission scientifique dépêchée par l’association au mois de novembre dernier et qui regroupait quelques illustres noms dont Christian Ziegler, Bernard Maury, Claudine Piaton, Hugues de Bazlare — qui fut remis à l’amiral par le président Arnaud Ramière de Fortanier et Philippe Capron en mars dernier, faisait écho au travail des savants de l’Expédition de Bonaparte immortalisée dans son rapport monumental intitulé La Description de l’Egypte.

Dans la fameuse légende des sept dormants d’Ephèse, les spécialistes de la mythologie biblique et coranique se disputent les symboles qui sont derrière cette histoire qui consiste à raconter que sept chrétiens qui voulaient fuir la persécution romaine au début de la chrétienté se trouvèrent dans une caverne en dehors de la ville, avec leurs chiens. De fatigue, de faim ou de peur, ils se sont endormis pendant des siècles et se sont réveillés par un miracle pour trouver que le monde avait changé et que ce qui était impossible en leur temps était devenu communément accepté, voire recommandé dans les temps nouveaux et que le progrès avait beaucoup changé les hommes et les a aidés à mieux comprendre et à mieux se comprendre.

Ainsi, Suez reste le symbole d’un éternel retour vers un rêve de prospérité même si des périodes sombres ou des crises sanglantes entachèrent son histoire. Le rêve reste toujours le même : prospérité pour l’humanité. Il n’était pas par hasard que la devise de De Lesseps fut ce dicton latin : « Apperir Terram Gentibus » (ouvrir la terre aux hommes).

Dans ces temps difficiles d’instabilité égyptienne et de crise économique française et européenne, les projets industriels de GDF-Suez en Egypte et de l’Association du souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez pour la création d’un musée à Ismaïliya indiquent bien que c’est en temps de crises que les meilleures solutions peuvent être inventées et que la porte la mieux fermée est celle qu’on laisse ouverte ….

L'Association du souvenir de Ferdinand De Lesseps et du Canal de Suez est née en 1978, à l'initiative de Jacques Georges-Picot, dernier directeur général de la compagnie universelle du Canal de Suez puis président de la compagnie financière de Suez. L’association dispose d’archives sur l’histoire du Canal de Suez qui représentent environ deux kilomètres linéaires aux archives du monde du travail à Roubaix. Ces archives sont inscrites par l’Unesco depuis 1997 sur le registre de la mémoire du monde par l’Unesco.

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