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Jardins d'égypte: Une splendeur fanée

Doaa Elhami, Mardi, 09 avril 2013

Malgré leur importance historique, écologique et architecturale, les parcs et les espaces verts se détériorent progressivement. Au Caire, si rien n’est fait, ils risquent de disparaître à jamais. Etat des lieux.

Une splendeur
Les stations de métro menacent les jardins historiques, celui d'Al-Horriya en est l'exemple.

L’incendie du jardin zoologique au début de l’année, suivi de l’abattage d’arbres centenaires du jardin de la faculté des beaux-arts à Zamalek : ces deux incidents ne sont qu’une goutte d’eau au milieu des dégradations que subissent les jardins historiques du Caire. « La dégradation ne se limite pas au Caire, elle concerne toutes les villes égyptiennes sans exception », assure Hossameddine Ismaïl, expert en archéologie islamique et moderne à l’Université de Aïn-Chams, et auteur d’une thèse de doctorat sur les jardins historiques.
Selon lui, la création des deux jardins, celui du Zoo et celui de la faculté des beaux-arts, remonte à plus d’un siècle. Et si l’incendie du Zoo a été limité, il reflète le manque de sécurité et la négligence dont il souffre. Quant aux arbres du jardin de la faculté des beaux-arts abattus au bulldozer, « ils représentent une énorme perte patrimoniale. Le jardin a été créé en 1908, date de la fondation de la faculté elle-même. L’âge des arbres dépassait les 100 ans », précise Ismaïl. Il ajoute que tous ces arbres étaient une matière fertile pour les oeuvres des étudiants et des professeurs de la faculté depuis sa fondation. Le massacre du jardin de la faculté a eu lieu suite à une décision administrative de l’université assurant que ces arbres étaient morts et représentaient un danger pour les étudiants.

Suite au rapport des experts, le doyen de la faculté a été contraint d’accepter de faire abattre ces arbres.

Selon Abdel-Wahab Etman, expert en botanique à l’Université de Kafr Al-Cheikh, « il est évident que les arbres historiques étaient malades. Mais nous avons la capacité d’identifier les maladies et de les guérir sans la moindre difficulté. Il n’y a pas de raison scientifique pour cet abattage ». Il affirme, par ailleurs, que les jardins contribuent à atténuer la pollution des villes.
Les premières destructions des jardins historiques remontent à 1954, lorsque Gamal Abdel-Nasser décide d’étendre le pavement de la rue Fouad, l’actuelle rue du 26 Juillet, en creusant au coeur du jardin d’Ezbékieh (voir encadré).

« C’était la première agression flagrante contre un jardin historique. Depuis, ces scènes se répètent sans cesse », déplore Ismaïl. Selon lui, Nasser n’accordait aucune importance à ces jardins. A l’opposé, le président Sadate voulait redonner la splendeur d’antan aux jardins historiques. « Mais il avait d’autres priorités comme l’installation d’infrastructures », reprend Ismaïl.
Quant aux 30 années de Moubarak, c’est la négligence qui a régné en maître. Aucun financement pour les espaces verts n’a été débloqué et plusieurs jardins historiques ont fermé leurs portes. Aujourd’hui, les jours ne sont pas meilleurs avec l’insécurité et le désordre qui demeurent.

Mohamad Ali, botaniste convaincu

D’après le professeur Yasser Aref, expert en architecture et en urbanisme, les jardins doivent être inhérents aux villes et conçus pour apporter plus de bien-être aux citadins. Les grandes villes égyptiennes, comme Le Caire et Alexandrie, étaient parsemées de jardins lors de la fondation de l’Egypte moderne par Mohamad Ali.
Hossameddine Ismaïl précise que « Mohamad Ali avait importé plusieurs espèces d’arbres et de plantes, dont la fleur de coton. Il demandait l’aide des architectes et des botanistes français afin de créer des jardins harmonieux ».

Il a, en effet, fallu attendre les conseils d’un botaniste français afin d’exploiter le coton dans l’industrie textile.
Le fils de Mohamad Ali, Ibrahim pacha, connu par sa bravoure et ses guerres victorieuses contre les Wahhabites, suivit dans sa jeunesse des études de botanique en France. Il a décidé de planter des oliviers qui couvraient alors l’actuel quartier de Garden City. Son objectif était la recherche scientifique : il est à l’origine de la mandarine. « L’espace de recherche était le jardin du palais de Mohamad Ali à Choubra qui s’étendait sur 10 km jusqu’au quartier de Aïn-Chams », reprend le professeur Ismaïl.
Plus tard, le khédive Ismaïl décida de faire du Caire le Paris de l’Orient en exploitant les expériences de l’architecte Haussmann, planificateur du centre-ville et de l’actuelle place Tahrir, avec ses bâtiments et ses jardins. Le jardin d’Ezbékieh est créé selon le style du Bois de Boulogne à Paris. Ce projet urbanistique fut mis en oeuvre par le fils du khédive Ismaïl, le roi Fouad. Ce dernier est à l’origine d’un nombre considérable de jardins. Citons à titre d’exemple : le jardin de la liberté, le jardin andalou, celui du Musée Mahmoud Mokhtar ou le jardin des poissons.

Cet ensemble de jardins avait aussi, selon le professeur Aref, une valeur culturelle grâce aux événements qui s’y produisaient. Beaucoup de scènes cinématographiques y ont été tournées, sans oublier les concerts qui s’y déroulaient, notamment ceux de la diva Oum Kalsoum. Mais après toutes ces années de négligence, ces jardins pourront-ils retrouver leur splendeur d’antan ? D’après les experts, tout est possible, « mais la décision politique reste la plus importante », conclut le professeur Etman.

Les jardins historiques en quelques dates

1806 : Fondation du palais et du jardin de Choubra sur 29,4 hectares, devenu en 1833 un centre scientifique pour les experts en agriculture. En 1837, une école vétérinaire fut ajoutée au centre.
1867 : Création du jardin d’Ezbékieh.
1868 : Création des jardins Al-Zareya et Al-Horriya (la liberté).
1873 : Création du jardin d’Ormane.
1873 : Installation du jardin zoologique sur une superficie de 21 hectares, inauguré en 1891.
1871 : Création du jardin des poissons.
1919 : Création du jardin japonais de Hélouan.
1929 : Création des jardins Al-Nahr (fleuve), à l’image de celui de Massalla (obélisque), et l’andalou dont la superficie était de 10,5 hectares.
1929 : Création du jardin du Musée d’agriculture, inauguré en 1938 et qui s’étend sur 10,5 hectares.

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