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Le tatouage : Une pratique pharaonique

Dalia Farouq, Mardi, 30 août 2016

Une mission archéologique de l'IFAO vient de mettre au jour la première momie égyptienne d'une femme entière­ment tatouée de représenta­tions animales et figuratives, dans le village de Deir Al-Madina, près de Louqsor.

Le tatouage est bien clair sur le cou de la momie.
Le tatouage est bien clair sur le cou de la momie. (Photos : Anne Austin, Université de Standford)

« Découverte dans le caveau TT 290, appartenant à l’un des ouvriers de Deir Al-Madina nommé Ary-nefer, ayant vécu à l’époque de Ramsès II, cette momie tatouée est, en soi, un événement exceptionnel », souligne Cédric Gobeil, directeur de la mission archéologique de l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) opé­rant à Deir Al-Madina. La mission a comptabilisé une trentaine de tatouages présents sur le corps de cette femme, ce qui en fait la momie égyptienne la plus tatouée. Les motifs sont tous figuratifs. Ils représentent soit des animaux, babouins, vaches, serpents, soit des hiéroglyphes, des fleurs, des objets rituels et des sym­boles prophylactiques (yeux Oudjat). Gobeil assure que le caractère excep­tionnel de cette découverte tient du fait que, pour la toute première fois, les tatouages sont des motifs figurés répartis de manière symétrique sur la moitié supérieure du corps de la femme.

Avant cette découverte, les seuls tatouages connus étaient de simples motifs géométriques, des lignes ou des points. Selon lui, il est difficile de préciser l’identité de cette femme momifiée, car la tombe où elle a été retrouvée a traversé des périodes de pillages. Cette tombe découverte dans l’antiquité a été visitée jusqu’à l’époque moderne. « Nous ne pou­vons donc pas assurer avec certitude que la dame tatouée ait été inhumée dans cette tombe, surtout que des déplacements de corps d’une tombe à une autre ont été également attestés à l’époque où le commerce des momies battait son plein. Outre le propriétaire de la tombe Ary-nefer et son épouse, aucun autre individu n’a laissé de trace écrite de son nom. Nous igno­rons donc tout des quelques dizaines de fragments de momies qui ont été aussi trouvées dans la même tombe », explique-t-il. Mais, en se fondant sur les momies tatouées découvertes pré­cédemment et en faisant des paral­lèles iconographiques, les égyptolo­gues suggèrent qu’il y a une corréla­tion entre la pratique du tatouage et le culte de Hathor (déesse de l’amour et de la maternité). Une grande partie des motifs figurés sur cette momie viennent prouver le lien avec la déesse. Parmi les tatouages se trou­vent, entre autres, deux représenta­tions de la déesse sous sa forme ani­male de vache avec une couronne hathorique et un collier-ménat, ainsi qu’un manche à tête de Hathor. « Dans ce contexte, on peut facile­ment imaginer que cette femme ait été impliquée dans un culte rendu à la déesse, en tant que musicienne, chan­teuse ou prêtresse. Sinon, on peut aussi penser qu’elle a pu être une sorte de magicienne agissant comme intermédiaire entre le monde terrestre et le monde divin. Des textes contem­porains de l’époque à laquelle a vécu cette femme attestent de l’existence d’une telle pratique », explique Gobeil.

Pour sa part, l’anthropologue Anne Austin de l’Université américaine de Stanford, qui était parmi l’équipe de travail de Deir Al-Madina, assure que le style de momification de cette momie correspond à celui qui était pratiqué durant le Nouvel Empire, soit entre 1550 et 1070 av. J.-C. Cet indice s’ajoute au fait qu’elle a été trouvée dans une tombe appartenant à une communauté d’artisans ayant oeuvré à la confection des tombes royales de cette même époque.

En ce qui concerne l’étude de la momie, c’est grâce à la technique de la réflectographie infrarouge à laquelle a été soumise cette momie, que les archéologues ont pu découvrir cinq tatouages qui étaient restés invi­sibles à l’oeil nu, car ils étaient recou­verts d’une couche de résine noirâtre empêchant de voir la peau. N’étant pas recouverte de bandelettes, cette momie a pu également être examinée sous rayon X basique, mais rien de particulier n’est apparu. « L’iconographie égyptienne recèle bien quelques scènes dans les temples dans lesquelles on peut voir des femmes dont le corps est décoré de petits motifs, mais curieusement, aucun de ces motifs ne se retrouve sur le corps de notre momie. C’est la toute première fois que ces motifs figuratifs et animaliers sont décou­verts sous forme de tatouage sur un corps momifié », reprend Cédric Gobeil.

Environ une douzaine de momies tatouées, qui sont toutes des femmes, ont déjà été retrouvées en Egypte. D’après l’archéologue français, en fonction du petit nombre de momies tatouées découvertes jusqu’à présent, les représentations iconographiques qui représentent des individus ayant des motifs, peints ou tatoués, sur le corps, restent assez inhabituelles. « On peut imaginer que le tatouage était une pratique plutôt rare dans l’Egypte pharaonique », déclare-t-il. « Cependant, en archéologie, ce n’est pas parce qu’on n’a pas encore trou­vé une chose que celle-ci n’existe pas. En d’autres termes, nos affirmations se fondent sur les indices réunis jusqu’à maintenant et s’apparentent en quelque sorte à un échantillon », affirme Gobeil. « Il reste encore un très grand nombre de momies à mettre au jour et rien n’empêche de penser qu’un jour, un grand nombre d’indivi­dus tatoués sera découvert. Mais encore faut-il garder à l’esprit que tous les Egyptiens n’étaient pas momifiés et que toutes les momies ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Le hasard des découvertes et de la conservation est un filtre qui déforme la réalité passée », conclut-il.

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