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Sepahi attend d’être sauvée

Samar Zarée, Mardi, 08 mars 2016

Construite dans les années 1940, la villa Sepahi, l'un des joyaux de la ville d'Alexandrie, risque d'être démolie en raison de la négligence.

Sepahi attend d’être sauvée

Toute personne qui passe sur la corniche de Stanley à Alexandrie remarque la villa Sepahi, une merveille architecturale de style marocain construite dans les années 1940 du siècle dernier par l’ingénieur égyptien Ali Thabet. Ce monument, l’un des chefs-d’oeuvre de l’architecture alexandrine, et qui figure sur la liste des bâtiments à caractère historique du gouvernorat, est aujourd’hui menacé de destruction en raison de la négligence de ses propriétaires. « L’importance de la villa Sepahi réside non seulement dans le fait qu’elle est la seule villa d’Alexandrie construite dans le style marocain par un architecte égyptien de la génération des pionniers, mais aussi par le fait qu’elle occupe une position charmante au centre de la ville d’Alexandrie. Ses élégants murs et ses portes en bois incrustées donnent sur les vagues de la plage Stanley, l’une des plus belles et des plus célèbres d’Alexandrie, et qui a vu le tournage de nombreux films égyptiens », explique Ahmad Abdel- Fattah, archéologue et spécialiste du patrimoine alexandrin.

Abandonné par ses propriétaires

Ce bâtiment, abandonné par ses propriétaires, depuis longtemps sans entretien, est en proie à l’érosion et aux fortes pluies de l’hiver. Ses propriétaires ont tenté de combler les fenêtres avec des briques et des panneaux en bois, et ont rehaussé l’enceinte qui entoure la villa. Certaines mauvaises langues affirment cependant que les propriétaires cherchent délibérément à dégrader la villa afin de la démolir. De nombreux bâtiments faisant partie du patrimoine de la ville ont connu un tel scénario.

C’est dans les années 1940 du siècle dernier que la famille d’origine syrienne, Sepahi pacha, fondateur de l’industrie du textile en Egypte et propriétaire de la première usine de textile, qui existe encore de nos jours dans le quartier d’Al- Siouf, a choisi la célèbre corniche de Stanley, qui regroupait un grand nombre de palais, pour bâtir sa belle villa. Celle-ci demeure aujourd’hui encore l’une des curiosités de la corniche d’Alexandrie. La villa, composée de quatre étages, s’étend sur une superficie de 3 000 m2. Sa construction a coûté 50 000 L.E., une grande somme à cette époque. La villa était dotée de décorations florales et animales de couleurs vives, qui caractérisent l’architecture marocaine. Le nom « Sepahi » est inscrit sur l’un de ses murs.

La villa Sepahi est aujourd’hui en très mauvais état. Il faut que les responsables agissent très rapidement pour la sauver et éviter qu’elle subisse le même sort que beaucoup d’autres villas d’Alexandrie. « Au lieu de construire de nouveaux bâtiments administratifs qui coûtent des milliards de livres, le gouvernement ferait mieux de louer ces édifices afin d’indemniser les propriétaires, ce qui pourrait limiter ces destructions », souligne Abdel- Fattah. Il ajoute qu’Alexandrie, perle de la Méditerranée, n’est pas comme les autres villes d’Egypte. Elle se distingue par ses merveilleux bâtiments, datant du siècle dernier, qui ont une valeur architecturale exceptionnelle. Ces monuments racontent le passé glorieux de la ville et témoignent de sa beauté.

Surnommée la « capitale de la mémoire » par l’écrivain anglais Lawrence Durell, qui y a vécu au début des années 1940, Alexandrie a été fondée en 331 par Alexandre le Grand. Grâce à sa position géographique, la ville a toujours été ouverte sur le monde et abrite désormais le témoignage de plusieurs époques. Outre les monuments de l’époque grecque, la ville abrite un quartier turc (Al- Anfouchi), qui s’étend du port Est au port Ouest (Al-Gomrok), et un quartier européen, situé au centre-ville, qui comprend plusieurs bâtiments caractéristiques de l’architecture occidentale.

Les failles de la loi

« Ces constructions sont un héritage qui doit être conservé en raison de leur valeur architecturale, historique et culturelle. L’Etat doit les préserver quel que soit le coût », assure Mohamad Awad, directeur du Centre de conservation du patrimoine d’Alexandrie. Le problème est que ce patrimoine est en train de disparaître. D’innombrables bâtiments ayant une valeur architecturale ont ainsi été démolis. « En l’espace de 4 ans, pas moins de 40 bâtiments ont été démolis dont la villa Aghion et la villa Cicurel après avoir été retirées de la liste du patrimoine, qui renferme 1 132 bâtiments sur décision de la cour administrative », ajoute Awad. Et des dizaines d’autres bâtiments pourraient subir le même sort. La loi 44 de l’année 2006 est censée protéger les bâtiments ayant une valeur historique ou architecturale. Mais certains propriétaires exploitent les failles de la loi pour vendre ces propriétés à des entreprises immobilières qui les démolissent et construisent à leur place des immeubles. « La loi donne aux propriétaires le droit d’engager un recours devant la justice pour demander le retrait d’un bâtiment de la liste du patrimoine. Le problème est que, très souvent, aucun représentant de l’Etat ne se présente devant le tribunal, et la cour tranche rapidement en faveur du plaignant », affirme Mohamad Awad. « Il faut modifier les lois et interdire formellement la construction sur les emplacements de bâtiments historiques qui ont été démolis », conclut Awad.

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