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Un crash en entraîne un autre

Dalia Farouk, Lundi, 09 novembre 2015

Le tourisme en Egypte continue à vivre au rythme des crises. Le crash de l'avion russe, a des répercussions importantes sur un secteur déjà en berne depuis quelques années.

Un crash en entraîne un autre1
(Photos : AP)

Un drame humain, un défi pour les spécialistes de sécurité, le crash de l’avion russe dans le Sinaï a aussi porté un coup dur au secteur du tourisme, vital pour l’économie égyptienne. Cette fois, la crise est plus dure puisque la Grande-Bretagne a suspendu ses vols à desti­nation de Charm Al-Cheikh et la Russie, quant à elle, a suspendu ses vols à destination de l’ensemble du pays. Plusieurs autres pays euro­péens, comme la France, l’Irlande et la Belgique, ont déconseillé à leurs ressortissants de se rendre dans le Sinaï. « C’est une catastrophe puisque la suspension de ces vols provoque la perte de 70 % du flux touristique en partance pour l’Egypte, surtout que la Russie et l’Angleterre constituent les deux contingents de touristes les plus importants en Egypte », explique Magued Youssef, tour opérateur.

L’Egypte a reçu en 2014 plus de 3 millions de touristes russes et près d’un million de touristes anglais, soit environ 40 % du flux du tourisme dans le pays.

« La saison hivernale de cette année devait être la plus rentable que l’Egypte ait connue depuis plus de cinq ans. La situation politique se stabilise, les campagnes de promo­tion du ministère du Tourisme com­mençaient à porter leurs fruits, les tours opérateurs multipliaient les déclarations rassurantes dans les expositions et les conférences », explique Youssef. Ironie du sort, l’accident est survenu un jour avant l’inauguration du Marché Mondial du Tourisme (WTM) à Londres, le Salon du tourisme qui ouvre la sai­son touristique hivernale et où les programmes sont élaborés et les contrats sont signés.

« J’étais choqué par la décision de l’Angleterre de suspendre ses vols vers Charm Al-Cheikh. Cette déci­sion anticipe les événements alors que l’enquête concernant l’accident est en cours et les résultats ne sont pas encore publiés », a réagi le ministre du Tourisme Hicham Zaazoue, ajoutant qu’il était encore trop tôt pour prévoir quelles seraient les conséquences de cet accident sur le flux touristique.

Pourtant, les conséquences ne se sont pas faites attendre. Aussitôt après l’accident, le rapatriement des touristes a commencé. Des avions ont décollé à vide de Londres pour rame­ner sur le territoire anglais les quelques vingt mille Britanniques qui étaient à Charm Al-Cheikh.

Saison condamnée d’avance

Nombre d’entrées en Egypte en 2014
Source: L'Organisme centrale des statistiques (CAPMAS)

Selon Hossam Al-Chaer, membre de l’Union des Chambres du tou­risme, le contrecoup de cet accident sera très sévère. « Noël et le Nouvel An sont la période la plus importante de la saison touristique hivernale en Egypte. C’est la haute saison. Beaucoup de professionnels du tou­risme comptaient en effet sur cette période de vacances en Occident, pour redresser le secteur en crise depuis la révolution de janvier 2011. Maintenant une chose est sûre, la saison est fichue, surtout à Charm Al-Cheikh », explique Al-Chaer.

Seuls 9,9 millions de touristes ont visité l’Egypte en 2014 contre près de 15 millions en 2010, le tourisme pesait alors 12 % du PIB du pays et 15 % de ses apports en dollar. Selon Adel Abdel-Razeq, propriétaire d’une agence de voyage et membre de l’Union des Chambres du tourisme, les réactions de Londres vis-à-vis de ce crash ont été trop exagérées. « Mais enfin, que ce soit une raison technique ou un acte terroriste, c’est terminé, cet accident a remis en ques­tion les mesures de sécurité de l’aéro­port de Charm Al-Cheikh. On doit réviser tout de suite ces mesures, les renforcer et inviter des audits d’ex­perts en sécurité de différents pays occidentaux pour inspecter ces pro­cédures », reprend Abdel-Razeq.

D’après lui, les réservations a venir vont baisser avec des taux qui varient entre 30 et 50 % selon la sensibilité du marché, les résultats de l’enquête, sa durée et la position des gouvernements des pays qui ont sus­pendu les vols en direction l’Egypte, ou même ceux qui ont déconseillé à leurs citoyens de s’y rendre.

Les professionnels du secteur poussent de nouveau le ministère du Tourisme et l’Organisme de la pro­motion touristique à agir rapidement pour atténuer cette situation. « Si cette crise perdure, beaucoup d’in­vestisseurs vont faire faillite à cause de la baisse du tourisme en Egypte. Plus de 30 % de la de masse sala­riale pourrait être mise au chô­mage », indique Sami Solimane, pré­sident de l’Association des investis­seurs du tourisme à Taba et à Noweiba. D’après lui, le gouverne­ment doit commencer à soulager les investisseurs du secteur par des exemptions de taxes, et de nouveaux reports de dettes. « Le ministère du Tourisme doit négocier avec les tours opérateurs étrangers pour ré-orienter les voyages vers d’autres destinations comme, Hurghada, Marsa Alam ou même Louqsor et Assouan » indique Sami Soliman.

Un rebond rapide

Nombre de touristes arrivant en Egypte et revenus depuis 2010
Source: L'Organisme centrale des statistiques (CAPMAS)

Plus optimiste, Amani Al-Torgomane, directrice d’une des grandes agences de voyage en Egypte, assure que cette crise ne per­sitera pas pour la simple raison que l’Egypte, comme destination touris­tique, n’a pas de concurrent en hiver. « L’Egypte est une destination proche, peu chère, dotée d’un climat très agréable et de plages incompa­rables. Les citoyens de ces pays seront trop impatients pour attendre le feu vert de leurs gouvernements. La preuve en est que beaucoup de touristes ont préféré ne pas inter­rompre leurs séjours en Egypte mal­gré les avertissements de leurs pays ».

Nahed Nazmi, ex-conseillère tou­ristique de l’Egypte en Russie, par­tage le même optimisme. Elle se base sur sa connaissance du marché russe. « Cette décision de suspendre les vols à destination de l’Egypte ne va pas durer longtemps non seulement grâce aux relations étroites qu’entre­tiennent l’Egypte et la Russie, mais aussi parce que les touristes russes sont moins influençables par l’em­ballement médiatique, aussi que pour eux, les prix sont le premier critère. Surtout depuis la crise économique en Russie, engendrée par la dévalua­tion du rouble », explique Nazmi. Elle ajoute que les agences de tou­risme ne doivent pas compter uni­quement sur Charm Al-Cheikh. Elles doivent aussi vendre d’autres pro­duits touristiques.

Les alternatives pour promouvoir le secteur sont nombreuses, le pays possède des atouts touristiques diffé­rents, autres que les stations bal­néaires, qui peuvent être exploitées. La plupart des professionnels sont optimistes parce que, selon eux, ce n’est ni la première ni la dernière crise relative au tourisme. A chaque fois le secteur a réussi à se redresser et reprendre son élan.

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