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Salaire maximum : Démissions et violations de la loi

Névine Kamel, Mardi, 09 décembre 2014

L'application du salaire maximum, dans le public, a poussé des dizaines de hauts cadres à démissionner pour rejoindre le secteur privé. Un conflit d’intérêts susceptible de porter atteinte au secteur public lui-même. Dossier

Salaire maximum : Démissions et violations de la loi
Nidal Al-Assar, adjoint du directeur de la BCE, qui a démissionné la semaine dernière. (Photo:Euromoney Egypt)

A 46 ans, Nidal Al-Assar a déjà passé une dizaine d’années de sa carrière à la Banque Centrale d’Egypte (BCE) où il était chargé de gérer un dossier des plus sensibles, celui de la gestion des ressources de la BCE en dollar. Aujourd’hui, adjoint du gouverneur de la Banque, il envisage de renoncer à son poste. Et pour cause.

Depuis l’application de la loi sur le salaire maximum dans le secteur public en juillet dernier, Al-Assar se retrouve avec un salaire de 42 000 L.E. D’après un responsable de la BCE qui a requis l’anonymat, il touchait auparavant trois fois cette somme.

Al-Assar fait partie d’une longue liste de hauts cadres séduits par des offres lucratives des rivaux du privé. Ce passage en nombre, du public au privé, tire une sonnette d’alarme. Ce personnel des secteurs bancaires et de télécommunication a géré des dossiers sensibles et eu accès à des informations confiden­tielles qu’il risque de mettre au profit des rivaux privés.

Près de 170 hauts cadres du sec­teur bancaire public ont annoncé leur intention de démissionner, suite à l’application du salaire maximum. L’opérateur national des téléphones fixes Télécom Egypt et le Régulateur des télécommunications font face à une situation pareille. Là-bas aussi on parle des salaires alléchants que propose le privé.

Le passage du secteur public au privé devient dangereux, quand au sein d’une même industrie le sec­teur privé tente d’embaucher des ex-fonctionnaires pour accéder, grâce à eux, à des représentants du gouvernement, utiliser leur exper­tise pour contourner une législation, ou encore obtenir des informations précieuses sur leurs concurrents. « Nous parlons de cadres qui sont bien informés. A titre d’exemple, un haut fonctionnaire de la BCE est au courant des points faibles et des secrets de toutes les banques opé­rant sur le marché local. Sa nomi­nation à la tête d’une banque privée donne à celle-ci un avantage sur ses concurrents lui permettant de réali­ser d’importants profits. C’est là le secret des salaires énormes que le secteur privé propose aux cadres supérieurs du secteur public », cri­tique Alia Al-Mahdi, professeur d’économie à l’Université du Caire.

Pour éviter ce conflit d’intérêts, une loi sur les conflits d’intérêts a été promulguée en 2013. Selon cette loi, après sa démission, un fonction­naire doit passer une période de 6 mois avant d’occuper un poste au secteur privé.

Protéger les intérêts de l’Etat

Cette loi, destinée à protéger les intérêts de l’Etat et ceux du peuple, a « trop tardé », selon Al-Mahdi. Mais pas seulement. Cette transition prévue par la loi, aussi courte soit-elle, n’a toutefois pas été respectée, affirme Fakhri Al-Fiqi, professeur d’économie à l’Université du Caire. Selon lui, plusieurs ex-responsables de la Banque Nationale d’Egypte ont immédiatement rejoint le secteur privé après leur démission.

Beaucoup de pays essayent de contrôler le passage du public au privé pour en éviter les risques. La législation française par exemple fixe une période de transition de 3 ans, six fois plus longue qu’en Egypte. « Un tel délai est juste. Car après trois ans les gens, les infor­mations et toute la conjoncture auront changé, ce qui réduit les risques d’abus ou de concurrence déloyale », explique Fakhri Al-Fiqi à l’Hebdo.

Les cadres qui se sentent lésés par le salaire maximum défendent leur choix : « Du jour au lendemain, le gouvernement trouve que mon salaire est trop élevé, alors qu’il est de loin inférieur à ce que touchent mes homologues dans le privé », se plaint un ex-haut responsable à la Banque Nationale qui a donné sa démission le mois dernier, « Qui peut assumer une baisse de salaire aussi subite qu’importante ? Chacun est habitué à un certain plafond de dépenses. C’est inacceptable », conclut-il .

Ministre de la Planification : « La fuite des cadres compétents nous inquiète »

Salaire maximum : Démissions et violations de la loi

« Les nombreuses démissions des deux dernières semaines constituent un phénomène inquiétant », s’inquiète Ashraf Al-Arabi, ministre de la Planification, dans des déclarations à l’Heddo, en marge de la célébration centenaire des statis­tiques égyptiennes lundi dernier. Il ajoute : « Mais c’est la loi, et toute loi a des points positifs et négatifs. La question est tranchée ».

Et en ce qui concerne la mise en application de la loi sur les conflits d’intérêts, Al-Arabi, chef du Haut conseil des salaires, se contente de dire : « Je ne suis pas bien au courant de la future application de la loi, mais je suis certain que le gouvernement surveillera cette affaire de près pour limiter cette fuite ».

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