Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Economie >

Billet vert  : un marché noir florissant

Névine Kamel, Mardi, 04 mars 2014

Face à la pénurie de dollars, le marché noir devient incontournable. Pour s’en procurer, il faut débourser jusqu’à 7,50 L.E. contre un cours officiel de 6,95. Particuliers et entreprises n’ont d’autre choix que de s’adresser aux circuits informels face à l’échec des institutions bancaires à combler la demande.

Billet vert 
Il est difficile de contrôler le prix du dollar tant que la pénurie persiste. (Photo : Reuters)

Acheter des dollars en Egypte devient de plus en plus difficile. Il faut souvent faire le tour de plusieurs bureaux de change pour obtenir un taux acceptable. Quant aux banques, elles refusent tout simplement de donner des dollars à ceux qui ne sont pas clients.

Le prix du dollar, malgré une stabilité du cours officiel, a flambé sur le marché noir, atteignant 7,50 L.E. début 2014. La Banque Centrale d’Egypte (BCE) a tenté, en vain, de contrôler le marché. Elle a lancé une souscription de 1,5 milliard de dollars début janvier pour calmer le jeu, mais sans résultat. Le lendemain de cette souscription, le dollar a perdu 3 piastres selon les cours officiels (6,96 L.E.). Mais 3 jours plus tard, cette légère baisse avait disparu.

Sur le marché noir, la situation est pire. Le dollar a dépassé 7,40 L.E. en décembre, puis est retombé à 7,30 L.E. suite à la souscription, avant de s’envoler à 7,50 L.E. lundi dernier, le prix de vente officiel du dollar étant de 6,99 L.E. Sur le marché noir, il s’échangeait à 7,50 L.E.

Le dollar a enregistré une hausse de 22 % depuis le 25 janvier 2011. Aujourd’hui, il atteint des niveaux record. « Il est très difficile de contrôler le prix du dollar. Le problème principal persiste: un manque de liquidités. Avant la crise, il était plus facile de trouver des dollars, donc, la différence entre le marché officiel et le marché noir n’était pas si grande », explique Hani Guéneina, directeur des études économiques à la banque d’investissement Pharos.

Il regrette que « les sommes injectées par la BCE ne soient que des calmants temporaires qui ne réussissent pas a régler la crise. La majeure partie des aides arabes et des souscriptions de la BCE est consacrée aux besoins les plus urgents: matières premières, énergie... L’offre est incapable de répondre à la demande ».

Si le gouvernement égyptien a reçu 15 milliards de dollars d’aides des pays arabes, 4 prennent la forme de livraisons en produits pétroliers avec un impact plus léger sur le cours du dollar face à la livre.

Industriels et particuliers payent la facture

Industriels et particuliers peinent à se fournir en dollars. Un tel manque engendre inévitablement des frais supplémentaires et des inconvénients pour les particuliers.

« Malheureusement, nous ne pouvons pas donner plus de 1000 dollars par client. Nous sommes une petite banque, et les liquidités disponibles en devises étrangères sont faibles », avance Alaa, cadre auprès de la Banque pour le logement et le développement. Pour pouvoir changer des livres en dollars, il faut présenter son passeport et le visa de voyage. La BCE avait fixé un plafond de 2000 dollars par voyageur début 2013, puis l’a augmenté à 3000. « Mais chaque banque agit selon ses capacités. Ce n’est pas une obligationde fournir 3000 dollars par voyageur », ajoute Alaa.

Plus dommageable est l’impact sur les industriels. « Nos dépenses ont augmenté de 20% à cause de la hausse du dollar face à la livre. On n’a pas le temps d’attendre le meilleur prix: les marchandises doivent arriver en temps prévu, sinon, les pertes seront encore plus catastrophiques », se plaint Chérif Al-Zayat, homme d’affaires et membre de l’Union des industries.

Un nouveau business

Mais le manque de dollars profite aussi à certains. Les bureaux de change, qui l’obtiennent cher, essayent toujours de maximiser leurs profits. « Je ne vends pas de dollar à moins de 7,40 L.E., confie Kamal Aksam, propriétaire d’un bureau de change à Mohandessine. La BCE veut aligner le dollar sur des niveaux irréels... Qu’elle en fournisse davantage et les prix baisseront! Le dollar nous coûte cher et on ne peut pas le vendre moins cher que son prix d’achat ! ».

Une tournée dans une dizaine de bureaux de change révèle un prix de vente moyen de 7,42 L.E. « Si les sommes voulues dépassent les 1 500 dollars, nous pouvons le vendre à 7,40 L.E., précise Salah, employé d’un bureau de change à Zamalek. Mais même si les sommes sont très importantes, on ne descend pas en dessous de 7,38 L.E. ».

Le manque du dollar a aussi ouvert la porte aux fraudes. Certains employés de banques qui parviennent à se procurer des dollars ont ouvert leur propre business. « La banque ne peut pas vous donner plus de 1500 dollars, mais moi, je peux vous donner les quantités que vous voulez à 7,25 L.E. au lieu de 7,50 L.E. », avance un employé d’une banque gouvernementale sollicité pour 3000 dollars.

Certains conseillers bancaires n’hésitent pas à encourager leurs clients à vendre les dollars qu’ils possèdent pour un prix variant entre le cours officiel et le marché noir, dans une tentative de toucher une commission.

La BCE, au courant des fraudes, a échoué à contrôler le marché. Elle a tenté de sévir en fermant, début janvier, 13 bureaux de change qui offraient des dollars à des prix très élevés par rapport au cours officiel.

Un ancien membre du conseil d’administration de la BCE estime cependant qu’il n’est pas mauvais de laisser la porte entrouverte au marché noir, au moins le temps de la pénurie. Pour lui, le marché noir est plus adaptable et permet de pallier les défaillances des institutions officielles. « Si les circuits officiels sont incapables de fournir des dollars, il faut trouver d’autres circuits. C’est une solution temporaire, un dernier secours ».

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique