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Relance économique : objectifs contradictoires

Lundi, 22 juillet 2013

Inciter l'investissement privé tout en augmentant les taxes et en réduisant les subventions à l'énergie ? Relancer la croissance en gonflant les dépenses publiques sur la santé, l'éducation et les infrastructures sans creuser davantage le déficit budgétaire ? Les priorités du gouvernement intérimaire sont paradoxales.

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Les défis économiques du gouvernement de Beblawi se résument en deux axes principaux : le déficit budgétaire et l’incitation aux investissements étrangers directs.

Pour répondre à un pro­blème économique comme le chômage, il faut inciter l’investissement public aussi bien que privé. Or, l’im­portant déficit budgétaire nécessite une politique d’austérité qui va à l’encontre de cet objectif. L’équipe ministérielle récemment nommée s’attelle à trouver des compromis, avec toutefois certaines priorités.

Car nombre de problèmes sont les mêmes que ceux dont l’économie souffrait sous Moubarak, problèmes qui ont conduit au déclenchement de la révolution du 25 janvier 2011. Ni le Conseil militaire, ni les Frères musulmans n’ont réussi à y remé­dier.

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Ces défis économiques se résu­ment en deux axes principaux : le déficit budgétaire et l’incitation aux investissements étrangers directs. Seuls ces deux facteurs combinés pourraient aboutir à une reprise éco­nomique globale.

Le déficit budgétaire : réforme centrale

La réduction du déficit budgétaire est aujourd’hui la priorité numéro 1. Le déficit était de 205 milliards de L.E. en 2012/2013, contre 118 mil­liards l’année précédente. Une aug­mentation d’autant plus dangereuse que la croissance tourne au ralenti.

Abdel-Fattah Al-Guébali, ancien conseiller au ministère de la Planification, souligne cependant que le chiffre en lui-même n’est pas significatif. Il faut le majorer en fonction de l’accroissement du PIB. Et l’écart se creuse : de 9,6 % en 2012 à 12 % depuis le début de l’an­née. L’augmentation de ce taux signifie d’abord un non-alignement entre les recettes et les dépenses publiques, soit l’incapacité du gou­vernement à gérer les dépenses du budget.

Pour limiter les dépenses publiques, beaucoup préconisent l’instauration d’un plafond pour les salaires des cadres gouvernemen­taux. C’est faire d’une pierre deux coups, selon Hani Guéneina, direc­teur des recherches auprès de la banque d’investissement Pharos : redresser les finances publiques tout en contribuant à la justice sociale.

Guéneina appelle à l’adoption d’une grille des salaires avec des montants minimum et maximum. Doit s’y ajouter un système d’impôt progressif, afin de faire davantage contribuer les plus riches. « Il faut appliquer un salaire minimum en s’assurant que le salaire maximum est inférieur à 35 fois le salaire mini­mum ».

« Mais, prévient Guéneina, pour parvenir à créer un système adéquat de justice sociale, il faudra procéder à un dialogue social incluant toutes les catégories, cela demandera du temps et l’introduction de nouvelles législations ».

Il ajoute que pour réduire le défi­cit, il faudra nécessairement passer par une diminution des subventions à l’énergie et une réduction du nombre d’employés gouvernemen­taux (5,5 millions de personnes). Il préconise par ailleurs une renégocia­tion du taux d’intérêt sur la dette intérieure, intérêts qui absorbent un cinquième du total des dépenses publiques.

Si l’annulation progressive des subventions à l’énergie est aujourd’hui devenue évidente (l’ob­jectif étant d’économiser annuelle­ment 20 milliards de L.E.), reste à savoir comment allier cette mesure avec la justice sociale. Augmenter les prix de l’énergie appauvrit, en effet, d’abord les citoyens les plus pauvres et mènera, dans un premier temps, à une inflation galopante, un facteur loin d’être attrayant pour les investisseurs étrangers.

Augmenter les recettes

Du côté des recettes publiques, des solutions doivent aussi être trouvées. Al-Guébali souligne l’importance de mettre en oeuvre le nouveau système d’impôt sur les revenus approuvé par l’ex-Conseil consultatif ainsi que les nouvelles taxes immobilières approuvées début juin 2013. Cette taxe rapporterait à elle seule 1,5 mil­liard la première année et 5 milliards au bout de trois ans.

« L’imposition d’une nouvelle taxe sur les mines d’or est également nécessaire et devrait permettre des recettes supplémentaires de plu­sieurs milliards de L.E. L’application de toutes ces mesures alliée à une véritable restructuration des dépenses permettront de réduire effi­cacement le déficit budgétaire », assure Al-Guébali.

Mais pour Guéneina, la priorité demeure une refonte de la législa­tion. « La relance de l’économie sera pourtant davantage appropriée à cette période de transition. Le gou­vernement actuel n’a pas pour objectif d’élaborer de nouveaux pro­jets de lois, projets qui attendront jusqu’aux prochaines élections ».

Croissance et redistribution

des revenus

Le dossier des Investissements Directs Etrangers (IDE) est dans cette optique au centre des préoccu­pations. Une véritable reprise des IDE ne passera pourtant qu’à travers un retour à la stabilité. Les IDE sont allés, à l’époque de Moubarak, jusqu’à atteindre 13,5 milliards de dollars, pour fléchir à 2 milliards de dollars depuis janvier 2013, contre 8 milliards en 2011.

Le taux d’investissement dans le PIB est actuellement de 16 %, un taux responsable de la baisse de la croissance : 2,4 % de janvier à juin 2013 alors que les prévisions pour fin 2013 tablent sur 3,2 %.

Al-Guébali souligne que le taux d’investissement doit dépasser 20 % pour influer positivement sur la croissance. « Le gouvernement inté­rimaire doit se concentrer sur les aspects prioritaires de sa politique, afin de rassurer les potentiels inves­tisseurs étrangers », estime l’ancien conseiller.

Accroître les investissements directs étrangers permettrait, en effet, une relance de l’économie et la création de nouveaux emplois. Pour Guéneina, le gouvernement de Beblawi semble aller dans ce sens. Il regroupe un nombre important de ministres économiques susceptibles de rassurer les investisseurs étran­gers et de les encourager à revenir en Egypte.

« Déjà, des sociétés du Golfe ont fait part de leur désir d’investir en Egypte dans des projets d’infrastruc­ture, énergétiques et pharmaceu­tiques. Ces sociétés sont prêtes à injecter 10 milliards de dollars sur le marché égyptien », affirme Guéneina. Il ajoute que l’entrée des IDE européens ou américains dépen­dra de la stabilité politique et écono­mique. « Ils attendent les élections parlementaires et une clarification de la vision et la politique du nou­veau gouvernement ».

Mais même en assurant qu’un afflux de capitaux étrangers aboutira à une hausse de la croissance, il s’agit de savoir quelles en seront les conséquences. L’Egypte avait déjà connu des années à forte croissance sans pour autant mener à moins de pauvreté et d’injustice sociale.

Pour inciter à une croissance inclu­sive, Al-Guébali souligne qu’il faut offrir un accès égalitaire à l’emploi, superviser davantage les marchés, assurer la concurrence, annuler les subventions consacrées à l’énergie et promouvoir les projets à forte créa­tion de main-d’oeuvre, notamment dans les secteurs de la construction et du tourisme. Mais le gouvernement aura-t-il le temps d’y parvenir ? .

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