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Quand le mythe ottoman s’écroule

Amani Gamal El Din , Mardi, 18 septembre 2018

Taux d’inflation élevés, dégringolade de la lire et déficit du compte courant, l’économie turque est confrontée à des problèmes majeurs, dont les causes profondes sont de nature structurelle. Analyse.

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La décision de la Banque Centrale de Turquie de hausser les taux d’intérêt de 625 points consiste à alléger les pressions sur la lire turque.

L’économie turque se porte mal. Dans une tentative d’alléger les pressions sur la lire et malgré les contestations du président turc, Recep Tayeb Erdogan, le comité des politiques monétaires de la Banque Centrale de Turquie a décidé de hausser les taux d’intérêt de référence de 625 points, les amenant de 17,75 à 24 %, dans la soirée du jeudi 13 septembre. Et ce, après la hausse plus limitée de 250 points qui avait eu lieu en juin, avant les élections.

Cette décision de la Banque Centrale de Turquie intervient à l’arrière-plan d’une inflation galopante, qui a frôlé les 18 % pour la première fois depuis 15 ans, selon les statistiques turques officielles. L’AFP a ainsi rapporté que les prix à la consommation ont augmenté de 2,3 % en août par rapport à juillet et de 17,9 % au rythme annuel, d’après les données publiées par l’Office national des statistiques (Tüik). Les secteurs les plus affectés par la hausse des prix sur un an sont les transports, avec +27,13 %, l’alimentation (+19,75 %) et le logement (+16,30 %). Résultat : l’agence de notation de crédits Fitch a baissé la note souveraine de la Turquie au mois d’août de B stable à B-.

L’inflation a jeté encore plus d’ombre sur la lire turque, qui était déjà affaiblie depuis le début de l’année et qui a perdu 40 % de sa valeur devant le dollar, perdant encore 2 % additionnels par rapport à la semaine dernière, pour atteindre 6,62 devant le dollar sur les marchés de change.

La lire se trouve dès lors à son plus bas niveau historique. Ajoutons à ces dégringolades une appréciation du déficit courant et de la balance commerciale d’environ 85 milliards de dollars ainsi que le recul des réserves en devises étrangères de 79,1 milliards de dollars à 72,9 milliards. Malgré les discours nationalistes du président Recep Tayyip Erdogan, qui prône la bonne santé de l’économie turque et accuse les Etats-Unis de complot, les problèmes de l’économie turque sont de nature structurelle et ont été stimulés par la volonté de leur président de devenir un champion de la croissance rapide. Ce qui a entraîné une surchauffe économique et un endettement pesant.

Une surchauffe économique

En effet, le Staff Report publié début mai 2018 par le Fonds Monétaire International (FMI), analysant l’économie turque, avait laissé prévoir les prémices d’une surchauffe économique. Celle-ci intervient au moment où une économie atteint des taux de croissance élevés, lorsque sa capacité de production se trouve incapable de répondre aux besoins de la demande, entraînant une inflation étouffante. C’est ce qui s’est passé en Turquie, bien que la croissance turque soit la plus solide en comparaison avec les pays émergents, avec 7 % en 2017. Les chiffres du FMI prévoient une baisse de la croissance à 4,4 % d’ici la fin de l’année, puis à 4 % en 2019 et à 3,6 % en 2020.

« La surchauffe économique intervient lorsque, en pleine croissance économique, un pays enregistre des taux élevés d’inflation, accompagnés d’un déficit du compte courant. L’économie turque est alimentée par une forte consommation plus qu’elle ne dépend de l’exportation, de l’industrialisation et de l’épargne, à l’instar de l’Est de l’Asie et de la Chine », explique Dr Amr Adli, professeur d’économie politique à l’Université américaine du Caire. Pour ce qui est de la Turquie, ses taux de croissance ont toujours été élevés depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan en 2003, évoluant entre 5 et 6 % par an, bien que le pays se soit relevé d’une grave crise financière en 2008. Après cette dernière crise, le pays a profité des taux de crédit bas fixés par les Banques Centrales occidentales en vue de stimuler la croissance économique, qui s’est stabilisée jusqu’au coup d’Etat manqué de 2016.

L’un des points faibles d’Erdogan dans ses efforts de réaliser des progrès rapides en matière de croissance a été l’accumulation d’une lourde dette, qui a entraîné l’inflation sur le long terme, inflation susceptible de mener à une faillite des entreprises en cas d’incapacité de remboursement, comme l’explique Béchir Abdel- Fattah, économiste et spécialiste des affaires turques. Cette dette s’élève à 450 milliards de dollars, dont près de la moitié, soit 276 milliards, sont libellés en dollars et en euros, tandis que la deuxième partie constitue une dette publique en lire qui est lourde à porter à cause de ses hauts taux d’intérêt.

Bien que le ministre turc des Finances, Berat Albayrak, gendre d’Erdogan, nommé le 9 juillet à la tête du portefeuille et homme fort du pays, ait affirmé à Reuters que la chute de la lire ne représentait pas de menace pour les banques, « les niveaux de la dette en pourcentage du PIB étant inférieurs à ceux d’autres pays », les agences de notation et les experts affirment le contraire. La banque JB Morgan a, en effet, déclaré que la dette extérieure de la Turquie en pourcentage du PIB avait atteint les taux record d’avant la crise financière de 2001-2002. Se référant aux chiffres de la Banque Centrale de Turquie, JB Morgan a en outre indiqué que 32 milliards de dollars devront être remboursés d’ici la fin 2018 et que « d’autres dettes à haut risque et à hauteur de 108 milliards doivent être remboursées en juillet 2019. Prolonger l’échéance de la dette sera difficile pour certaines institutions ».

Amr Adli se réfère à la même analyse et ajoute que la Turquie fait non seulement face à une dette publique, mais également à une dette des entreprises, qui ont connu une expansion via l’emprunt, qui atteint aujourd’hui 60 % du PIB. Les services des dettes représentent à eux seuls 40 % du total des exportations. « Les problèmes géopolitiques, comme la hausse des cours du dollar et les taux d’intérêt relevés par la Réserve fédérale américaine ainsi que la hausse des cours du pétrole mondiaux, ont mis à mal l’économie turque, d’autant plus que le secteur industriel dépend en grande partie de l’énergie importée », conclut Adli .

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