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Tunisie: Des freins à la relance

Dahlia Réda, Mardi, 07 mai 2013

L’incertitude politique et les tensions sociales persistantes empêchent un redressement économique du pays. Et malgré des atouts comme sa proximité avec l’Europe, le chômage reste un mal endémique.

Tunisie
L'inflation est l'un des défis menaçant le redressement économique.

Malgré des prémices de redressement en 2012, beaucoup de facteurs internes et externes continuent à freiner la croissance économique tunisienne. C’est que l’instabilité politique et sociale affecte les tentatives du gouvernement à opérer un véritable redressement.

Malgré la fragile amélioration des indices économiques, avec une croissance de 3,6 % en 2012, résultant en grande partie du rebond observé dans les secteurs du tourisme et des mines, et de l’accroissement de la consommation dû aux importantes dépenses publiques consacrées aux salaires et aux programmes sociaux, un taux de chômage en hausse. Celui-ci est passé de 16,7 % en 2011 à 18,9 % en 2012, ce progrès est mal perçu par la majorité des institutions internationales ainsi que par les économistes.

Il semble que le taux de croissance officiel de 3,6 % déclaré ait été surévalué par le gouvernement tunisien. Le rapport de l’Economist Intelligent Unit (EIU) l’a évalué à 2,8 % et estime que « la croissance était assez décevante pour 2012 ».

La Tunisie est fortement attachée à l’activité du marché européen pour ses exportations, et la contraction de l’économie prévue pour la zone euro en 2012 et 2013 n’est donc pas bon signe pour elle. « La croissance se poursuivra à un rythme plutôt modeste en 2013 », estime l’EIU. Il note que l’économie tunisienne est fragilisée par des problèmes structurels profonds remontant au régime de Ben Ali. En réalité, tout au long des 20 dernières années, la Tunisie n’a pas cherché à développer des activités à forte valeur ajoutée, se contentant du rôle de sous-traitant pour les grands groupes mondiaux du textile ou de l’automobile.

Après la chute de Ben Ali, de nombreux conflits sociaux ont éclaté. Des revendications salariales des employés se sont manifestées, des luttes pour reprendre les postes laissés vacants par les proches de l’ancien président sont apparues. Le secteur industriel, notamment celui du phosphate, vital pour le pays, a particulièrement été touché. Résultat : la Tunisie a enregistré une récession de près de 2 % du PIB en 2011, et 3,5 % en 2012 selon le gouvernement. Cette récession a engendré un taux de chômage touchant plus de 17 % de la population active, en particulier les jeunes diplômés, contre 13 % avant la révolution.

Selon Jelloul Ayed, ex-ministre tunisien des Finances, les grands problèmes qui se posent à la Tunisie sont le chômage et le développement régional. Leur résolution « nécessite la promotion de l’investissement qui reste vital pour l’économie, tout en accompagnant le secteur privé et en orientant le choix des projets ». Autre problème majeur, celui de l’inflation ayant enregistré une hausse atteignant 5,9 % à la fin 2012 (contre 4,2 % en 2011). Cette hausse s’explique principalement par l’augmentation des prix alimentaires, qui est passée à 8,4 %, et en particulier celle des prix des denrées alimentaires non subventionnées, avec 9,6 %. Pour Ayed, « la situation économique en Tunisie n’est pas désastreuse, mais il et indispensable d’oeuvrer à maîtriser deux principaux indicateurs, à savoir l’inflation et le déficit budgétaire ».

Bien loin des espoirs suscités

Entre hausse des prix et baisse des revenus, les Tunisiens vivent un quotidien difficile, bien loin des espoirs suscités par la chute de Ben Ali.

En 2012, la coalition actuellement au pouvoir — formée par le parti islamiste Ennahda et deux petits partis Ettakatol et CPR (Congrès Pour la République) — n’a fait qu’apaiser les disparités sociales en adoptant des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes dans le souci de donner une impulsion plus forte à la relance économique et d’apaiser les tensions sociales. Les vastes programmes de relance approuvés dans le collectif budgétaire de 2012 n’ont été exécutés qu’en partie et la composition des dépenses effectives a été révisée en versant un montant considérable de l’investissement vers la consommation. En conséquence, le déficit budgétaire est passé à 5,1 % du PIB en 2012, contre un déficit prévisionnel de 6,6 %.

Actuellement, le gouvernement n’a pas de politique économique claire. Il a promis des mesures pour lutter contre le chômage et la pauvreté, mais aucune n’a été mise en oeuvre. Il manque par ailleurs des compétences techniques pour démarrer une réelle politique économique.

La révolution n’a finalement pas permis de modifier en profondeur le modèle économique du pays. Toujours est-il que la Tunisie dispose de plusieurs atouts pour que son économie reparte très vite : une population éduquée, des infrastructures développées et sa proximité avec l’Europe. Tout dépendra donc de l’issue de la crise actuelle.

Incertitude sur la politique monétaire

Les experts de l’Economist Intelligent Unit (EIU) prévoient un creusement du déficit durant la période 2013-2017, qui corroborent les projections du Fonds Monétaire International (FMI) publiées dans son dernier rapport. Sur le plan de la politique monétaire, les tensions existant entre la Banque Centrale de Tunisie et le gouvernement Jebali, en raison de profonds désaccords sur le rôle de la politique monétaire, ont été perçues par les observateurs économiques, tels que les grandes agences de notation entre autres, comme une intervention du gouvernement dans la politique monétaire. Par conséquent, ces institutions ont éprouvé de l’inquiétude quant à l’indépendance de la Banque Centrale de Tunisie.

Ainsi, l’incertitude sur la politique monétaire devrait se poursuivre encore durant 2013, car les objectifs liés aux choix entre la lutte contre l’inflation par une politique monétaire restrictive ou la relance de l’activité par une politique monétaire expansionniste ne sont pas assez clairs.

Mais, face au mécontentement grandissant de la population par rapport à la hausse du coût de la vie, la Banque Centrale a durci la politique monétaire au milieu de l’année 2012, revenant ainsi sur la politique expansionniste suivie depuis la révolution. Le déficit du compte courant extérieur a continué de se creuser en 2012 pour s’établir à 8,1 % du PIB, a été financé par une relance des investissements directs étrangers (surtout dans le secteur de l’énergie) et les apports importants de l’aide publique extérieure.

Cette combinaison assez incohérente dénote la totale incapacité du gouvernement à arbitrer entre une politique économique prudente ou expansionniste. De plus, d’après les experts de l’EIU, cela risque même de créer des tensions inflationnistes et de creuser davantage le taux chômage.

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