
La différence entre les Egyptiens et les Chinois dans l'industrie du marbre est le niveau de machinerie et de technologie.
Dès que l’on pénètre dans la zone de Chaq Al-Soabane, située le long de l’autoroute qui dessert le quartier de Maadi, des rumeurs se font entendre de la part des ténors de l’industrie du marbre comme de la petite main-d’oeuvre. La présence chinoise serait en train de changer le métier, disent certains. Tandis que d’autres vont jusqu’à déclarer que Chaq Al-Soabane est envahie par les investisseurs chinois. Dans ce grand quartier informel, les investisseurs chinois ne passent, en effet, pas inaperçus. Ils travaillent tous avec discrétion et sont sceptiques vis-à-vis des visiteurs.
Ils ont l’air déterminé et effectuent leurs tâches de façon méthodique. « Ils nous ont volé nos métiers. Ils font le travail technique qui nécessite des performances spéciales, et ils nous laissent les besognes destinées uniquement à la main-d’oeuvre », s’exclame Mohamad Gad, ouvrier. « Les chinois sont des investisseurs intelligents. Depuis le début des années 1990, ils font la chasse aux matières brutes en Afrique et capitalisent sur l’avantage compétitif de chaque pays. En Egypte, ils avaient l’objectif d’intégrer l’industrie du marbre qui était bien classée mondialement avant son déclin. Ils connaissent l’arabe et travaillent avec discrétion en misant sur l’intégration de toute la chaîne de l’industrie du marbre », renchérit Khaled Abdel-Halim, professeur de politiques publiques à l’Université américaine du Caire.
Une stratégie efficace
L’apparition chinoise ne s’est pas faite du jour au lendemain, mais a eu lieu graduellement, jusqu’à ce qu’ils aient monopolisé tous les maillons de la production. Selon un responsable de l’Union des industries, Nabil Al-Chimi, les investisseurs chinois venaient dans un premier temps en tant qu’experts pour étudier le marché. Puis, dans un second temps, ils sont devenus des opérateurs et ont finalement réussi à avoir la mainmise sur la gestion des entreprises. « Au départ, c’étaient nous qui déterminions les prix des blocs de marbre brut en provenance des carrières, ou les barres et les plaquettes semifinies que nous coupons et taillons. Aujourd’hui, la règle s’est renversée. Ils vont jusqu’aux sources et s’approvisionnent directement dans les carrières. Ce sont eux qui déterminent les prix et c’est à eux que nous achetons notre marbre aujourd’hui », commente Mahmoud Nasreddine, propriétaire de l’usine de marbre et de granit Nasreddine.
Ces nouveaux venus suivent souvent deux types de stratégies. Soit ils louent les usines et les terrains déjà aménagés, soit ils font des partenariats avec les propriétaires et les directeurs d’usines déjà installées sur le marché. « Le partenariat est une bonne opportunité pour faire prospérer mon entreprise. J’obtiens 70 % des bénéfices. Les entrepreneurs chinois les 30 % restants. Sachant qu’ils mettent leur savoir-faire et leur technologie de pointe dans mon entreprise, et qu’ils m’amènent de nouveaux marchés », explique Islam Yousri, un important investisseur dans le domaine du marbre.
Son avis ne fait pas l’unanimité. « Nous avons déposé une plainte contre cette présence étrangère auprès du ministère des Affaires sociales », affirme, de son côté, un responsable de l’Union des industries ayant requis l’anonymat. « Mais l’enquête a assuré que leur présence est parfaitement légale. D’après la loi égyptienne sur le travail, il est possible que 10 % de la main-d’oeuvre puisse être étrangère », finit-il par ajouter. Une production de masse Les résidents de Chaq Al-Soabane, venus de l’empire du milieu, appliquent à la lettre une stratégie efficace et bien ficelée. Ils ont fait une étude poussée sur l’industrie du marbre et du granit et se destinent au marché local, directement ou grâce à des partenaires égyptiens. Selon Ahmad Al-Sayed, « avec le temps, ils se sont frayé un chemin direct vers les carrières. Ils ont même mis en place trois usines de granit à Assouan. Pour ce qui est du marbre, ils l’extraient maintenant directement des carrières et l’envoient brut ou semi-brut en Chine pour qu’il soit retravaillé là-bas. « Ce sont des lignes de production que nous ne détenons guère et qui sont extrêmement chères », renchérit Hossam Haggag, de l’entreprise de marbre et de granit Onix.
Ces cargaisons reviennent de nouveau vers le marché local égyptien mais traitées, retravaillées et bien évidemment à d’autres prix. « Si le mètre carré de brut ou de semi-brut coûte 120 L.E., il atteint en revenant de Chine les 350 L.E. », explique Haggag. « Ils ont même commencé à exporter vers d’autres marchés internationaux. Il faut l’avouer », ajoute-t-il, « Nous, en tant que travailleurs égyptiens du marbre, nous aurions pu jouer un rôle important, mais nous ne l’avons pas fait. Nous pourrions par exemple exercer un lobby et imposer les prix ». A l’heure où la plupart des travailleurs, tous niveaux confondus, estiment que la présence chinoise a fait prospérer un marché du marbre égyptien qui était paralysé par de nombreuses restrictions (voir principal), le résultat reste que les revenus directs ne reviennent pas à l’Egypte, et qu’ils n’apportent pas une grande valeur ajoutée à l’économie nationale. Même si les investisseurs chinois ont un impact positif, il n’en demeure pas moins que leurs activités doivent être davantage régularisées pour bénéficier au pays hôte et non l’inverse.
Lien court: