« Un rêve d’enfance »
« Je préfère m’exprimer plus largement en tant que citoyenne tunisienne. Le Forum Social Mondial (FSM) est un rêve d’enfant. Ma mère a participé à celui de Porto Alegre en 2001, comme membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates et de l’Union générale des travailleurs tunisiens. Je rêvais d’y assister et surtout qu’il puisse avoir lieu ici, à Tunis. J’ai un côté utopiste, je rêve grand pour mon pays, le forum nous offre des occasions d’interagir, de présenter des alternatives à l’ordre mondial en place dans les domaines économiques et sociaux. Ce combat a toujours été important en Tunisie mais il l’en est encore plus depuis la révolution : une petite brèche s’est ouverte, il faut en profiter », déclare Haifa Imour, membre de la ligue tunisienne des droits de l'homme. Elle poursuit : « C’est le moment de construire une économie moins dépendante du FMI, de la Banque mondiale ou des multinationales. Je n’ai pas eu l’occasion d’assister à beaucoup d’ateliers, car je tenais le stand de mon organisation, mis j’ai eu l’occasion de discuter avec beaucoup de citoyens étrangers qui veulent agir à un niveau transnational, qui pensent à des mécanismes pour sortir de cette colonisation surtout économique. J’ai aussi rencontré des Tunisiens du nord, du sud, de l’ouest, etc. : il nous faut créer notre propre réseau, pour renverser le déséquilibre qui existe entre le Sahel (la côte plus développée) et les régions de l’intérieur laissées-pour-compte. Il est aussi nécessaire de dépasser les divisions politiques, pour construire des projets bien ficelés. Ce forum nous donne l’occasion de nous rencontrer aussi entre Tunisiens et d’aller dans ce sens ».
Des actes, pas seulement de grandes idées
Ce collectif regroupant militants et sans-papiers de Paris s’attendait bien à un périple en décidant de prendre la mer pour rejoindre le FSM, mais leur épopée a bien failli tourner au cauchemar. Au final, seuls les anciens sans-papiers régularisés et les militants français ont pu poser le pied sur le sol tunisien et rejoindre le forum. Sous la tente qui l’abrite des rayons du soleil, Martine Tessard récupère de deux jours de rebondissements et d’angoisse : « Ce n’est pas nous, les Français, qui risquions le plus », explique-t-elle. Au départ, 35 personnes dont 15 sans-papiers embarquent à Gênes sur un bateau en direction de Tunis, la traversée de la frontière entre la France et l’Italie s’est faite sans difficultés. « On nous a prévenus que s’il était facile pour les sans-papiers de partir, revenir pourrait être compliqué », raconte-t-elle. Le groupe décide tout de même d’embarquer « pour faire dans l’autre sens, la traversée que beaucoup d’étrangers ont faite pour venir en Europe, souvent au péril de leur vie ». Arrivés à Tunis, si on les laisse débarquer, la situation est très confuse, le gouvernement tunisien ne veut pas les expulser mais invoque des problèmes à leur retour en Italie, de même que l’armateur qui refuse aussi de les reprendre à bord. « Heureusement, nous avons eu pas mal de soutien à ce moment-là, les sans-papiers craignant vraiment pour leur situation, ils ont décidé de repartir ». Sur le bateau, la solidarité s’organise, mais à leur arrivée en Italie, ils sont arrêtés, passent une nuit au poste avant d’être obligés de quitter le territoire. Retour à la case départ pour les sans-papiers. Les Français et les étrangers en règle rejoindront finalement le FSM en avion. Martine, épuisée, ne regrette pas même si elle juge sévère : « Nous avons décidé de venir ici pour témoigner. On n’a pas fait le voyage en vain, c’est aussi une façon de montrer que même ici au Forum social mondial, malgré les grandes idées, on est incapable de faire venir 11 sans-papiers. Nous avions pourtant prévenu tous les gouvernements concernés ». Ce qui reste de la caravane a pu rencontrer aussi des mères de disparus de la Méditerranée et les réfugiés du camp de Choucha à la frontière libyenne et partager expériences et soutiens.
Rencontre de générations de militants
L’Association pour la taxation des transactions financières et l’aide au citoyen est l’une des fondatrices du Forum social mondial. Plus de dix ans après Porto Alegre, l’édition tunisienne est aussi l’occasion d’établir un bilan et de régénérer le rendez-vous altermondialiste. « Nous sommes à l’écoute de ce qui s’est passé dans les Printemps arabes, explique Isabelle Bourboulon, militante et chargée de la communication. Nous avions une certaine curiosité, mêlée d’envie d’aller au-delà du choc culturel et des différences de nos histoires : pour approcher la réalité du terrain. Nous avons rencontré des Tunisiens et des Egyptiens, mais aussi des Palestiniens et nous sommes très satisfaits ». Côté ateliers, Attac a été en pointe sur l’espace climat : un forum d’échange d’une quarantaine d’ONG sur la préservation des écosystèmes et des populations.
Le FSM a aussi été un espace de dialogue pour des générations différentes d’activistes de l’altermondialisme et de confrontation des méthodes. « La première génération des alter a pu faire le lien avec tous ces nouveaux mouvements : Occupy, Los indignados espagnols, Les étudiants du Québec ou Y’en a marre au Sénégal, qui a quand même fait tomber un gouvernement. Ces nouveaux mouvements ont des codes, des modes d’actions et une culture bien à eux : pas de chef, un fonctionnement horizontal, par exemple ».
Attac attend aussi beaucoup du Forum des économistes et des échanges qui devraient se poursuivre après le rendez-vous altermondialiste (voir ci-contre).
« Franchement, l’organisation s’est améliorée par rapport aux éditions précédentes, se satisfait la militante française, nous avons eu le programme en avance, et le forum a bien joué son rôle de réseautage et d’incubateur de propositions alternatives ».
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