La visite en Egypte, la semaine dernière, du ministre du Transport russe, Maxim Sokolov, est venue conclure le réchauffement entre Le Caire et Moscou. En effet, cette visite est intervenue suite à deux décisions-clés : la levée de l’embargo russe imposé sur certains produits agricoles égyptiens, ainsi que la levée de l’interdiction imposée par l’Egypte sur l’importation de quelques cargaisons de blé russe. Cette visite marque donc une relance des relations économiques entre les deux pays après une période de froid d’un an, né du crash d’un avion russe dans le Sinaï, fin octobre 2015. Une relance qui devrait voir son apogée très prochainement avec la reprise prévue des vols russes vers l’Egypte, suspendus depuis ledit crash.
« Attendez-vous à de multiples visites au cours de la période à venir. La Russie est un partenaire de poids pour l’Egypte et les relations bilatérales assisteront à une nouvelle relance. C’est un objectif visé et soutenu par les gouvernements des deux pays », confie ainsi à l’Hebdo un responsable auprès du ministère égyptien de l’Industrie et du Commerce. En effet, les décisions prises de part et d’autre ces derniers jours témoignent d’une telle intention. Le gouvernement russe a décidé la semaine dernière de reprendre l’importation de 22 produits agricoles égyptiens après une suspension décidée le 22 septembre dernier. Cette décision a été prise suite à une approbation du ministère égyptien de l’Agriculture de permettre l’entrée de cargaisons de blé russe, jugé auparavant par le même ministère ne répondant pas aux normes sanitaires. En effet, le blé russe a été ces deux dernières semaines au centre d’une véritable guerre. L’Egypte, premier importateur au monde, avait décidé de limiter l’importation du blé russe.
Raison évoquée : la présence de l’ergot, un champignon hallucinogène dont la limite autorisée est de 0,05 %. Il s’agit d’une norme fixée par la FAO que l’Egypte appelle à s’y conformer. Selon les autorités égyptiennes, certaines cargaisons de blé russe dépassaient cette limite. D’ailleurs, l’Egypte avait déjà fait retourner des bateaux canadiens, français, américains et australiens pour la même raison. Mais, si Paris et Washington ont à peine fait la moue, Moscou a eu une réaction épidermique. Après qu’un de ses chargements de blé eut été recalé, la Russie a décidé à son tour d’interdire les importations d’agrumes égyptiens. L’Egypte a vendu 400 000 tonnes d’oranges à la Russie pour 150 millions de dollars l’an dernier. Ces exportations devaient monter en puissance étant donné que la Russie a cessé d’importer des oranges de Turquie, brouillée avec Moscou. Mais les autorités russes ont estimé il y a deux semaines que les fruits et légumes égyptiens ne répondaient pas aux normes sanitaires internationales. Une réponse évidente aux tracas causés au blé russe par les autorités égyptiennes. Et il a fallu que l’Egypte fasse marche arrière pour que la Russie revienne à son tour sur sa décision. Le Caire n’avait pas le choix, de toutes les manières. Car, ses besoins sont énormes et tous les traders ont refusé de lui vendre après ces interdictions à la chaîne.
Corrélations et intérêts mutuels
Mais Le Caire tente aussi de montrer que la reprise de l’importation du blé russe ne s’est pas faite au détriment du consommateur. « Le taux d’ergot présent dans les cargaisons du blé russe ne dépasse pas les limites internationales. C’est pour cela que nous avons décidé la poursuite de l’importation. La décision n’est plus liée à la réaction du côté russe », avait expliqué Tareq Qabil, ministre de l’Industrie et du Commerce, dans un communiqué de presse publié suite à la décision du gouvernement. Le ministre avait ajouté ainsi que la décision russe n’était pas finale et n’avait aucun rapport avec l’affaire du blé.
Or, cela ne semble pas être vrai. Les décisions successives des deux parties le soulignent. Les deux partenaires semblent avoir décidé d’ouvrir une nouvelle ère de coopération pour profiter des potentiels mutuels. « Il est temps de traduire les bonnes relations politiques sur le niveau économique. La Russie est un marché important pour l’Egypte, qui a besoin de diversifier ses relations bilatérales », explique ainsi Saïd Abdallah, président de l’unité du commerce extérieur auprès du ministère de l’Industrie et du Commerce.
Les enjeux sont en effet importants. L’Egypte est le plus gros importateur de blé au monde. Sa consommation, qui est de près de 16 millions de tonnes, n’est couverte qu’à 70 % par la production locale. Durant l’année fiscale 2015-2016, le déficit était de 11,5 millions de tonnes. Pour sa part, la Russie est le plus gros exportateur de blé au monde. Cette année, selon la Fédération des producteurs russes, la récolte a atteint un niveau record de 118 millions de tonnes, une première depuis la fin de l’ère soviétique.
Les échanges commerciaux entre l’Egypte et la Russie ont considérablement augmenté en 2014 pour atteindre 5,4 milliards de dollars. Au cours de cette année, les exportations égyptiennes vers la Russie ont augmenté de 22,4 % passant à 539 millions de dollars, alors que les importations de Russie ont enregistré une hausse de 97 % pour passer à 4,9 milliards de dollars.
Le potentiel d’une crise politique a surgi suite au crash de l’Airbus qui transportait 224 passagers, mais les intérêts communs politiques et économiques ont pris le dessus. Le rapprochement économique sur fond politique entre les deux pays, depuis la destitution du président islamiste, Mohamad Morsi, a porté ses fruits au niveau commercial en 2014. Les échanges commerciaux sont passés cette année à 5,4 milliards de dollars contre 2,9 milliards en 2013.
Les chiffres du commerce ont cependant décliné en 2015 à cause de la récession en Russie et de la dévaluation du rouble, selon un rapport du ministère égyptien de l’Industrie et du Commerce. S’ils deviennent contrats, certains mémorandums d’entente pourraient gonfler les chiffres du commerce, probablement en faveur de la Russie. Entre janvier et octobre 2015, les chiffres du commerce entre les deux pays ont toutefois baissé de plus de 30 % par rapport à la même période de 2014. Selon un rapport du service commercial égyptien (ministère de l’Industrie), la baisse est due à la récession économique en Russie suite à la dévaluation du rouble face au dollar. En 2016, les exportations ont augmenté avec une hausse de quelque 25 % au cours du premier semestre de 2016, pour atteindre environ 2,5 milliards de dollars. « Les horizons sont beaucoup plus vastes », confirme Abdallah. Les exportations égyptiennes sont principalement constituées de fruits et de légumes, alors que l’Egypte importe de Russie des produits pétroliers (23 % des importations), du blé (21 %), des automobiles et du bois.
L’effet économique du rapprochement sera important puisque les principaux partenaires commerciaux de l’Egypte ont toujours été l’Europe et les Etats-Unis, et que la tendance est à la diversification. A cela s’ajoute le fait que l’économie russe est en difficulté avec la baisse des prix du pétrole qui a entraîné une dévaluation de sa monnaie.
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