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Le coton égyptien dans l'impasse

Marwa Hussein, Mardi, 30 août 2016

Connu pour sa qualité exceptionnelle, le coton égyptien connaît une dégradation en termes de production et d'exportation. Le ministère de l'Agriculture est pointé du doigt.

Le coton égyptien dans l

La superficie des terrains réservés à la culture du coton a témoigné cette année d’une baisse considé­rable, la plus importante depuis l’in­troduction de cette culture en Egypte au début du XIXe siècle. En 2016, les agriculteurs égyptiens ont cultivé quelque 100 000 feddans de coton (1 feddan = 0,42 hectare et environ une acre) contre environ 300 000 feddans en 2015. Un rétrécissement qui se maintient pour la troisième année consécutive, alors que cette année la chute a été considérable.

« La détérioration a également atteint la qualité du coton », déplore Nabila Sintrice, présidente de l’Asso­ciation des exportateurs du coton d’Alexandrie (ALCOTEXA). Raison : la décision en 2015 du ministre de l’Agriculture de ne plus subventionner le coton et de se décharger de son marketing.

En 2014, le gouvernement avait accordé aux agriculteurs des subven­tions directes de 1 400 L.E. par fed­dan. En échange, le gouvernement a fixé un prix d’achat de 1 250 L.E. pour le quintal (1 quintal = 45 kilos) pour le coton à fibre longue et de 1 150 L.E. pour les fibres courtes. Ces prix, estimés trop bas, n’ont été annoncés qu’en mai 2015, alors que la saison de la culture du coton est entre février et mai.

« Il fallait fixer un prix plus élevé pour encourager les agriculteurs à cultiver du coton de bonne qualité. En plus, souvent, le gouvernement ne respecte pas les prix qu’il a lui-même fixés, et propose des prix inférieurs », ajoute Sintrice. « Les agriculteurs ont donc opté pour la culture des céréales, de loin plus rentables », regrette-t-elle.

« Cette année, nous avons surtout exporté 600 000 quintaux des stocks restant de la production de l’année passée. La production de 2015/16 était de très mauvaise qualité, ce qui a considérablement réduit les expor­tations », souligne Sintrice.

Selon les différents acteurs, pour sauver le coton égyptien, il faut le subventionner, élever sa productivité et fournir aux cultivateurs le soutien technique nécessaire.

Le ministère de l’Agriculture dit pour sa part avoir reconsidéré sa politique. « Il y avait des perturba­tions dans les politiques adoptées mais nous avons ajusté le système », dit Eid Hawash, porte-parole du ministère. Ce dernier a annoncé que les coopératives vont depuis l’année prochaine se charger du marketing du coton. En plus, le ministère va dès 2017 distribuer lui-même les grains pour s’assurer de leur qualité. « Nous préparons des quantités de grains suffisantes pour la culture de 500 000 feddans en 2018 », dit Hawash, esti­mant que la superficie des cultures du coton prévue pour l’année prochaine est de 350 000 feddans.

Exportations en baisse

Sans surprise, les exportations du coton ont décliné de 54,2 % entre décembre et février 2015/16, par rap­port à la saison précédente, selon les statistiques de l’Organisme central de mobilisation et de statistiques (CAPMAS), se limitant à 112 400 quintaux. La consommation locale a connu une baisse de 56,6 % au cours de la même période, se chiffrant à 76 400 quintaux contre 175 800 la saison précédente. « Etant donné que plusieurs filatures locales n’opèrent plus », souligne le rapport du CAPMAS sur les exportations du coton, publié en mars.

« Les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, le Pakistan, entre autres, subvention­nent leur coton et augmentent leurs parts du marché, alors que le coton égyptien recule », se lamente Mohamad Négm, professeur à l’Ins­titut des recherches du coton. Il ajoute que l’un des problèmes est l’arrêt des programmes d’orientation qui étaient dispensés par le ministère de l’Agriculture aux agriculteurs.

« Nous avions un cycle agricole précis surveillé par le ministère, maintenant, il n’est plus respecté. Par exemple, les betteraves ont été récemment introduites dans le Delta. Or, cette culture épuise le sol et affecte le rendement de la saison du coton », explique Négm. Il assure qu’il existe plein de recherches sur le coton et l’amélioration de sa qualité, mais le problème est dans leur mise en application.

Une denrée peu lucrative

Cheikh Abdel-Alim, un agriculteur du gouvernorat de Daqahliya dans le Delta, a cultivé du coton pendant une quarantaine d’années. Depuis envi­ron 7 ans, il s’est orienté vers la culture des légumes. « Ma région était considérée autrefois comme un centre de culture du coton, mais cette année, presque personne n’a cultivé de coton », dit-il. Il explique que le coût de cultiver un feddan s’élève à 6 000 L.E., et que la productivité moyenne d’un feddan est d’environ 7 quintaux. « Avec les prix actuels, la culture du coton n’est plus lucra­tive », considère-t-il.

Plusieurs partagent ces craintes de voir la culture du coton égyptien se détériorer davantage. « La culture du coton va bientôt disparaître », ren­chérit Gamal Siyam, professeur d’économie agricole à l’Université du Caire. « Une hausse de la produc­tivité du feddan à 10 quintaux pour­rait redresser la situation », prône-t-il. Il appelle le gouvernement à sub­ventionner la culture du coton, ne serait-ce que provisoirement, jusqu’à la réalisation de cet objectif. « Le budget des recherches agricoles est de 3 millions de L.E. par an, réparti sur 16 centres qui s’occupent d’un nombre équivalent de denrées. Or, le coton à lui seul a besoin d’un budget pareil », conclut Siyam.

ADN : Coton égyptien

Sauver le coton égyptien nécessite des efforts au niveau de la production, du marke­ting, mais aussi de la qualité, étant donné les plaintes concernant la qualité de certaines fibres exportées.

Grâce à un programme d’authentification du coton égyptien, lancé par l’Association Cotton Egypt et l’Association des exportateurs du coton, ALCOTEXA, avec le ministère de l’Indus­trie et du Commerce, ce programme permet de déterminer si la fibre, voire le produit final est de fabrication égyptienne, et ce, grâce à une technique d’identification basée sur l’ADN.

« C’est un outil précieux qui a été mis à notre dis­position en 2015 grâce aux experts du Centre de recherches sur le coton », dit Khaled Shuman, direc­teur exécutif de Cotton Egypt Association. « Cela nous a permis de relever des échantillons provenant des chaînes de vente à travers le monde. Et nous avons découvert que près de 90 % des produits sur les étagères en Europe, aux Etats-Unis ou en Australie portant le label coton égyptien ne sont pas fabriqués à partir du coton égyptien », poursuit-il.

En conséquence, plusieurs chaînes ont changé de fournisseurs. « Certaines comme Zara Home réclament maintenant à leurs fournisseurs un certi­ficat du test DNA avant l’exportation », ajoute Shuman.

Il espère que cette mesure pourra aider à redresser la situation du coton égyptien en augmentant la demande sur les marchés inter­nationaux l

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