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Beaucoup de bruit sur la dette extérieure

Marwa Hussein, Mardi, 21 juin 2016

La hausse considérable de la dette extérieure inquiète les économistes, même si son niveau par rapport au PIB n'est pas alarmant. Explications.

Beaucoup de bruit sur la dette extérieure
Une partie de la dette est utilisée pour financer des projets d'électricité. (Photo : Tarek Hussein)

La dette publique s’est installée au centre du débat sur l’économie égyptienne suite à la publication de statistiques récentes sur la dette extérieure publique par la Banque Centrale d’Egypte (BCE), la semaine dernière. La dette publique a ainsi atteint 53,4 milliards de dollars fin mars, passant à 16,5% du Produit Intérieur Brut (PIB), contre 46,1 milliards fin septembre 2015, ne représentant que 12,6 % du PIB. Selon les normes internationales, cette dette extérieure de l’Egypte n’a pas atteint de niveau alarmant par rapport au PIB.

Le taux de la dette extérieure par rapport au PIB n’est pas le seul critère pour juger de son niveau et savoir s’il est convenable ou pas. « La dette exté­rieure par rapport au PIB n’est pas élevée, mais ce n’est pas le facteur le plus important à prendre en considération pour mesurer la dette extérieure. Ce critère est plus valable dans le calcul de la dette inté­rieure », dit Omar Al-Chenety, directeur général chez Multiples Group, banque d’investissement basée à Dubaï. Et d’ajouter que l’indicateur le plus pertinent dans ce cas est le niveau de la dette extérieure par rapport aux réserves de change. Ces dernières ont atteint en Egypte 17,52 milliards de dollars fin mai, contre 36 milliards de dollars avant 2011. « Le désé­quilibre est clair, les réserves de change sont trop faibles par rapport à la dette extérieure », synthétise Al-Chenety.

Le gouvernement, pour sa part, tient à sa politique de l’emprunt. La dette extérieure est prévue de consi­dérablement augmenter au cas où l’accord d’une valeur de 25 milliards de dollars avec la Russie pour la construction d’un centrale nucléaire se concrétise­rait. « Le niveau de la dette extérieure n’est pas alarmant. En outre, les dettes visent à financer des investissements rentables garantissant au gouverne­ment la capacité de remboursement », dit Sahar Nasr, ministre de la Coopération internationale. Une partie importante de la dette extérieure est utilisée pour financer des projets d’électricité ainsi que le creuse­ment du Nouveau Canal de Suez. Sous Moubarak, l’Egypte avait considérablement réduit sa dette exté­rieure, la politique du gouvernement étant d’avoir plus recours à l’emprunt local après le gonflement de la dette extérieure au cours des années 1980. « A l’époque, l’Etat a affronté des difficultés à rembour­ser sa dette extérieure, ne pouvant pas payer à temps ses obligations. La dette de l’Egypte a été réduite grâce à son rôle dans la guerre du Golfe dans les années 1990 », raconte Al-Chenety. Depuis, le gou­vernement a modifié sa politique d’emprunt, rédui­sant considérablement la dette extérieure et a fait le choix de dépendre davantage de la dette intérieure pour financer le déficit budgétaire.

Endettement attirant

L’avantage essentiel qu’offre l’endettement exté­rieur est les taux d’intérêt bas et les longues échéances de remboursement, en comparaison à l’emprunt sur le marché local, ce qui le rend attirant. « L’emprunt sur les marchés et des institutions financières est l’un des meilleurs moyens de financer un déficit budgé­taire, mais il ne faut pas avoir recours à ces sources sans limites ni règles », dit Abdel-Fattah Al-Guébali, économiste et ancien conseiller du ministre des Finances. « Le problème de la dette extérieure n’est pas l’ampleur du service de la dette comme c’est le cas de l’endettement local, mais la capacité de rem­boursement. L’Egypte souffre d’une pénurie de dol­lars. C’est pourquoi la dette extérieure pose pro­blème bien que son niveau par rapport au PIB ne soit pas alarmant », dit Chenety. « Il s’agit de crédits faciles, la période de grâce de toutes les dettes est longue alors que le taux d’intérêt est bas », ajoute la ministre. Selon Abdel-Fattah Al-Guébali, les dettes à courte échéance représentent environ 13 % des dettes extérieures. « Les dettes à courte échéance ont aug­menté après être passées de 8 à 5,4 % au cours des deux dernières années », dit-il.

Etant donné les besoins financiers croissants du gouvernement, celui-ci a eu recours à toutes formes d’endettement. Le gouvernement a également accru la dette publique intérieure ayant atteint 2,4 billions de L.E. (280 milliards de dollars) fin mars (88,1 % du PIB) contre 2,1 trillions (226 milliards de dollars), ou 87,1 % du PIB en juin de l’année écoulée. Dans le budget 2016-2017, le ministère des Finances prévoit une dette publique de 3,1 billions de L.E., soit 97,1 % du PIB. Les banques d’investissement et les écono­mistes ont souvent critiqué cette tendance, affirmant que le gouvernement est entré en rivalité avec le sec­teur privé pour les crédits bancaires. Les banques se sont résolues à investir dans les bons de Trésor, finan­cement garanti et lucratif, plutôt que de financer le secteur privé. Selon les chiffres officiels, le gouverne­ment a emprunté 500 milliards de dollars à la BCE depuis 2011.

Critère de plus

Abdel-Fattah Al-Guébali détermine un critère de plus pour mesurer le niveau de la dette d’un pays. « Les gouvernements peuvent avoir recours à l’en­dettement sans limites, mais ce qui compte est la capacité de remboursement sur le long terme. Le minimum est de pouvoir rembourser une part du service de la dette sans recours à l’emprunt, sinon, le niveau de la dette augmentera continuellement », explique Abdel-Fattah Al-Guébali. « Autrement dit, le gouvernement doit être efficace pour gérer les ressources de façon à créer un taux de croissance du PIB dépassant le taux d’intérêt réel sur la dette publique, c’est un élément-clé », ajoute Al-Guébali. Pour lui, le niveau de la dette ne doit pas être inquiétant si la croissance est en bonne santé et si le service de la dette est fixe. « Un niveau de crois­sance élevé signifie que l’assiette de l’impôt est en hausse, et donc aussi les recettes de l’Etat », éla­bore-t-il. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Le service de la dette dans le budget est prévu à plus de 31 % des dépenses publiques en 2016/17 contre 22,4 % en 2015/2016, et seulement 22,2 % en 2011/2012.

Omar Al-Chenety accorde également une impor­tance majeure à la croissance économique et au mode de développement qu’adopte le gouvernement, pour surpasser le problème de la dette. « Si le gouverne­ment continue à investir lui-même massivement et entame encore de grands projets, le problème de la dette va continuer. Peu importe si ces projets sont bien ou non », argumente Al-Chenety. « Ces crédits étaient indispensables pour relancer l’économie à travers l’investissement dans des projets à profits garantis », répond Sahar Nasr.

La dette publique intérieure, par contre, va davan­tage peser sur le budget, en conséquence de la déci­sion de la BCE le 16 juin d’accroître les taux d’intérêt directeurs de 1 point pour atteindre 11,75 % pour les dépôts et 12,75 % pour les crédits. Cette décision gonflera automatiquement de 1 % le service de la dette dans le budget. Avant l’annonce de la décision, les experts économiques étaient divisés entre deux avis. Un camp favorisait le maintien du taux d’intérêt fixe vu l’ampleur de la dette publique intérieure, alors que l’autre prévoyait une hausse du taux d’intérêt, afin de contenir l’inflation. Celle-ci a atteint en mai 12,3 %, le taux le plus élevé en un an, alors que l’in­flation de base a enregistré le taux le plus élevé depuis sept ans. Normalement, l’objectif essentiel des dettes publiques est de financer le déficit budgétaire. Ce dernier est prévu à 9,9 % pour 2016/2017, selon le gouvernement, contre des attentes de 11,5 % pour l’exercice 2015/2016.

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