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Frein aux importations : Bouée de sauvetage ou naufrage ?

Névine Kamel, Lundi, 01 février 2016

Une forte hausse des tarifs douaniers a subitement été décidée dimanche dernier. Elle concerne une liste de 300 produits et vise à accroître les réserves en dollars. Les effets d'une telle décision pourraient aussi être une hausse de l'inflation.

Frein aux importations : Bouée de sauvetage ou naufrage ?
L'électroménager compte parmi les produits dont les droits de douanes ont augmenté.

Une nouvelle mesure vient taxer davantage les produits étrangers importés en Egypte. Le président Sissi vient en effet de décréter, dimanche dernier, une hausse des tarifs douaniers de 40 % sur 300 produits importés. Une décision soudaine qui provoque des réactions controversées dans les milieux d’affaires, et qui devrait rapporter 128 millions de dollars par an, selon le président de l’Organisme égyptien des douanes.

« Ce n’est pas la dernière mesure de ce genre. Admettons que l’économie égyptienne est dans l’impasse. Le déficit commercial a enregistré une hausse de 10 milliards de dollars durant la seule année 2015. Le déficit budgétaire a baissé, mais il reste élevé. Nous faisons face à un manque de devises. Le gouvernement doit donc prendre une série de mesures pour contrôler l’afflux des importations dans le pays », explique le ministre de l’Industrie et du Commerce, Tareq Qabil, à l’Hebdo. Il ajoute : « Les produits visés par le décret sont dans la grande majorité des produits de luxe, ou d’autres ayant des alternatives sur le marché local ». Le gouvernement égyptien avait déjà pris récemment une série de décisions sévères concernant les importations égyptiennes et touchant le financement même des importations.

Le ministre de l’Industrie et du Commerce a de même obligé les importateurs à traiter exclusivement avec des entreprises officiellement enregistrées afin de mieux contrôler la qualité des produits. Autant de décisions qui visent, au premier plan, la rationalisation du marché des devises étrangères en Egypte. Car le pays fait face à une pénurie de dollars depuis la révolution du 25 janvier 2011, ce qui a poussé la Banque Centrale d’Egypte (BCE) à diminuer la valeur de la L.E. face au dollar plusieurs fois en 2015, avant d’intervenir soudainement pour augmenter la L.E. de 20 piastres par dollar, à la fin de l’année dernière. « La dernière décision vise à contrôler les importations en Egypte. La BCE a pendant longtemps assumé le lourd fardeau de fournir des devises étrangères pour satisfaire les besoins d’importations », déclare Mohamad Zaki El-Sewedy, président de l’Union des industries.

Il explique : « La pénurie de dollars a poussé la BCE, au cours des 6 derniers mois, à préciser un plafond pour les dépôts en dollars, ce qui a paralysé les activités industrielles. Les usines ont diminué de près de 30 % de leur activité ». Pour El-Sewedy, l’ensemble de ces mesures sont une étape sur la bonne voie. Elles ont permis à la BCE de porter le plafond des dépôts mensuels des entreprises à 250 000 dollars. Pour faire face au marché noir, qui avait enregistré une forte hausse au cours du premier semestre 2015, l’ex-gouverneur de la BCE avait en effet décidé de fixer un plafond quotidien de dépôts de 10 000 dollars quotidiennement et 50 000 mensuels. Une décision qui a suscité la colère des hommes d’affaires, lesquels ont bataillé contre une telle décision. Une lutte qui a coûté son poste à l’ex-gouverneur de la BCE. Son successeur, suite à une série de mesures contrôlant les importations ayant apporté des dollars sur le marché, a alors décidé d’élever ce plafond mensuel pour les dépôts en devises des entreprises.

Pour Mohamad Al-Bahey, membre du conseil exécutif de l’Union des industries, « de telles décisions visent à contrôler les importations de mauvaise qualité provenant des marchés de l’Asie de l’Est. De même, le contrôle des importations obligera les entreprises à présenter des factures propres, et par conséquent, enrichira le Trésor grâce aux taxes douanières payées ». Même si le but essentiel du décret est plutôt de freiner, de manière générale, les importations. Al-Bahey explique que les usines ont dû endurer de fortes pertes en raison d’une concurrence provoquée par l’arrivée sur le marché égyptien de produits de faible qualité. Ce qui a poussé plusieurs usines à fermer. Pour Al-Bahey, le dernier décret présidentiel « exclut les produits de base, ce qui n’affectera pas les classes pauvres, ce qui écarte également toute répercussion négative sur les prix ».

Les importateurs s’opposent
Si les industriels se montrent satisfaits, les importateurs s’opposent fortement au décret. « Contrairement à ce que dit le ministre de l’Industrie, le décret met fin au processus de l’importation en Egypte », fulmine Ahmad Shiha, président de la division des importateurs à la Chambre de commerce du Caire. Selon lui, les hommes d’affaires ont exercé des pressions sur le gouvernement afin qu’une telle mesure soit prise, laquelle contredit les accords internationaux. De même, comme il explique, les décisions de ce genre provoqueront une hausse des prix sur les produits finaux.

« Le lobby des hommes d’affaires continue de protéger ses intérêts et le gouvernement se plie encore et toujours à ses revendications. Une réalité qui pousse les industriels à monopoliser le marché et contrôler les prix », dit-il. Farag Eid, un importateur, partage cette opinion. Selon lui, une telle décision ouvre grand la porte au contrôle du marché par les industriels. Et contrairement encore à ce que le gouvernement assure, la liste comprend des produits essentiels aux classes moyennes et pauvres, comme les crayons, les réfrigérateurs et les ventilateurs. « Un tel décret présidentiel causera une hausse directe sur ces produits dont le citoyen normal à revenu moyen fait usage », explique-t-il.

« En théorie, cette nouvelle décision est juste », commente de son côté un analyste économique auprès d’une des grandes banques d’investissement en Egypte. Et de s’interroger : « Elle vise le contrôle des importations non indispensables et l’apport de devises étrangères. Mais quels sont les critères de choix des produits présents sur la liste ? ». Pour prouver la bonne foi du gouvernement, « la transparence à ce niveau est indispensable, même s’il est vrai que la grande majorité des produits sur la liste sont luxueux. Mais cela n’empêche pas que la liste contient des produits importants pour le consommateur, et la hausse des taxes sur ces produits, sans vrai contrôle, mènera les grands producteurs locaux à augmenter leurs prix. Alors le gouvernement doit prendre des mesures parallèles de supervision et activer le rôle de l’Organisme de lutte contre les monopoles », reprend l’analyste.

Et de poursuivre : « Il est vrai que ces mesures visent à procurer des dollars au marché afin de satisfaire les besoins des investisseurs. Il est toutefois nécessaire d’éviter toute répercussion d’une telle décision sur les prix. Nous craignons une hausse prochaine de l’inflation, laquelle est déjà de 11,8 % ». A cet égard, Alia Salah, professeure d’économie à l’Université de Aïn-Chams au Caire, cite les usines de fer qui ont déjà doublé les prix de la tonne de fer, laquelle atteint maintenant près de 4 000 L.E., suite à une décision du gouvernement de contrôler les importations de fer en 2009. « Ce scénario se renouvellera sans doute. Les industriels abusent toujours de la protection du gouvernement pour maximiser leurs gains », dit-elle. D’autres experts et importateurs soulèvent un point important. Les mesures répétées du gouvernement pour contrôler les importations peuvent exposer l’Egypte à une condamnation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). « Avec de telles mesures, nous revenons à l’ère de Nasser, où le pays était renfermé sur lui-même.

D’autres pays, sans doute, n’hésiteront pas à prendre des mesures similaires contre leurs importations égyptiennes », dit Alia Salah. Un aspect sur lequel le ministre de l’Industrie et du Commerce ne tarde pas à riposter : « Le gouvernement est au courant des règles de l’OMC et nous n’avons pris aucune mesure qui s’y oppose. Concernant la hausse des douanes, nous étions en dessous du plafond de l’OMC, et maintenant il nous faut profiter de nos droits pour sortir de l’impasse économique. 40 %, c’est le maximum de tarifs douaniers permis par l’OMC sur un produit ». Il conclut : « Les responsables de l’OMC avec lesquels nous sommes en contact continu savent bien que les nouveaux produits taxés à 40 % ont des alternatives produites localement. Il est donc normal de protéger notre industrie » .

Sur la liste des 300 produits
Noisettes, noix de cajou,
amandes, raisins,
ananas, pommes,
prunes, abricots,
aliments pour animaux domestiques,
shampooings, portes et fenêtres,
objets de décoration, couvertures et nappes,
chaussures, chapeaux, crayons, réfrigérateurs, chauffe-eau.

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