Al-ahram hebdo : La France est un partenaire commercial essentiel de l’Egypte. Une importante délégation française était le mois dernier au Caire pour discuter des partenariats futurs. Toutefois, pensez-vous que les turbulences sécuritaires récentes de l’Egypte aient des répercussions sur le flux des investissements dans le pays ?
Franc Sécula : L’amélioration de la situation tant du point de vue sécuritaire que de l’avancée du processus de transition politique reste très importante pour garantir le fonctionnement optimal de nos entreprises et, par là même, leur participation à la compétitivité de l’économie égyptienne. Or, pour la France, l’Egypte demeure un terrain fertile pour l’investissement. Les entreprises prêtent attention à ces variables, mais elles le font en connaissance de cause grâce à leur implantation locale et en tenant compte de l’importance du marché égyptien à l’échelle régionale et mondiale ainsi que des opportunités de développement qu’offre le pays. Ainsi, plusieurs d’entre elles ont obtenu d’excellents résultats au cours des trois dernières années. Je tiens à signaler que 140 entreprises françaises sont encore implantées en Egypte et emploient près de 33 000 personnes. Aucune de ces entreprises n’a quitté l’Egypte ces quatre dernières années pour des raisons liées à l’instabilité politique ou sécuritaire. Les deux banques françaises qui ont vendu leurs actifs égyptiens l’ont fait à un très bon prix et pour répondre à des exigences globales de réglementation prudentielle (Bâle III).
— La tenue d’élections législatives est-elle une étape nécessaire avant l’injection de nouveaux investissements en Egypte ?
— Les élections législatives marqueront la fin du processus de transition politique en cours. Le futur parlement est appelé à jouer son rôle dans la poursuite du travail de réforme économique engagé par le gouvernement actuel. En ce sens, elles sont attendues par la communauté d’affaires.
— Quelles sont les mesures à prendre pour encourager l’investissement sur le marché égyptien ?
— Malgré toutes les difficultés traversées par l’Egypte depuis 4 ans et la crise financière mondiale de 2008, l’économie égyptienne n’est jamais entrée en récession. Cette résilience témoigne de sa diversification et préfigure sa capacité à rebondir avec le retour de la stabilité : la croissance devrait ainsi dépasser les 4 % en 2014/15. Ces fondamentaux constituent le principal attrait de l’Egypte pour les investisseurs avec la taille de sa population et donc du nombre de consommateurs potentiels. Quant à la concrétisation de cet intérêt, elle ne pourra qu’être facilitée par les efforts du gouvernement pour redresser les comptes publics, résoudre la crise énergétique, stabiliser la politique monétaire, poursuivre la libéralisation de certains secteurs d’activités, simplifier l’environnement légal des affaires et investir dans les secteurs de la santé et de l’éducation. La prévisibilité tant fiscale que monétaire est l'un des préalables à un retour significatif des investissements
, tant économiques que de portefeuille.
— L’abandon d’une mesure de taxation des transactions boursières a-t-il été bien apprécié par les entreprises françaises ?
— Plus que la suppression des taxes, les entreprises étrangères attendent de la visibilité sur le calendrier des réformes engagées par le gouvernement. L’instabilité consécutive à 2011 ne permettait plus aux investisseurs de planifier leurs décisions en fonction d’un avenir lisible. En offrant un cadre clair à moyen terme, l’Egypte ne peut que faciliter la concrétisation des décisions des entreprises actuellement en cours de réflexion.
— Le gouvernement vient de révéler le projet de budget 2015/2016, avec l’objectif de réaliser une croissance de 5 % et de réduire le déficit à 8,9 %. Comment percevez-vous ces objectifs ?
— Ces objectifs sont ambitieux et appellent une poursuite soutenue des réformes pour être atteints. Ce budget constitue une nouvelle étape dans la réalisation du plan de stabilisation macro-fiscale dont l’horizon est fixé à l’année fiscale 2018/19. Il s’inscrit dans la continuité de l’année 2014/15, qui a vu un retour de la croissance aux alentours de 4,2 % et un déficit qui devrait avoisiner 10,8 % de PIB. En 2013/14, ces chiffres étaient de 2,2 % et 12,8 % respectivement, ce qui montre que l’Egypte a su engager une dynamique positive.
— Comment voyez-vous l’économie du pays lors des 3 prochaines années et quand, à votre avis, la reprise aura-t-elle lieu en Egypte ?
— Il est important d’appréhender l’Egypte comme un pays en transition sur le plan économique. Les déséquilibres hérités de la période précédente sont saillants et appellent des efforts de réforme constants. Un des dangers pour la reprise serait l’immobilisme. Les réformes doivent être conçues comme un vecteur d’opportunité. Par exemple, l’adoption de tarifs de rachats garantis de l’énergie renouvelable rendue possible par la levée des subventions à l’électricité, a ouvert un nouveau secteur au développement économique. La reprise en cours devrait se confirmer au cours des trois prochaines années.
— Les dispositions de la loi sur l’investissement n’ont pas encore été révélées. Cela inquiète-t-il les investisseurs ? Ces derniers attendent-ils une telle loi pour opérer sur le marché égyptien ?
— Comme je viens de le mentionner, près de 140 entreprises françaises sont déjà présentes sur le marché égyptien, certaines depuis plusieurs dizaines d’années. C’est la preuve qu’il est déjà possible de réussir en Egypte en l’état actuel des choses. Néanmoins, la clarification de l’environnement légal des affaires reste une des principales attentes pour les nouveaux arrivants.
— La Banque Centrale d’Egypte vient d’annoncer une nouvelle hausse de 20 piastres du dollar par rapport à la L.E. Quel est votre commentaire sur cette majoration ?
— Cette décision va dans le sens d’un rééquilibrage de la valeur de la livre par rapport à l’évolution de la monnaie de la zone européenne et des efforts de la Banque Centrale pour lutter contre le marché noir des changes. Elle va également permettre une amélioration de la compétitivité des exportations égyptiennes.
— Une nouvelle hausse du prix de l’énergie est prévue. Cela ne va-t-il pas accroître le coût de l’investissement en Egypte ?
— La réforme des subventions à l’énergie est l'une des clés du redressement des finances publiques égyptiennes. Cette décision courageuse a donc été très bien perçue par les investisseurs, car elle permettra à terme de corriger un déséquilibre structurel de l’économie. Quand l’Etat et son budget se renforcent et se rééquilibrent, toute l’économie en profite.
— Voyez-vous des mesures de compensation à la hausse des prix de l’énergie et celle du dollar ?
— De nouveau, ce sont les fondamentaux de l’économie égyptienne qui attirent les investisseurs. Ce que ces derniers attendent, c’est un plan de réforme à moyen terme clair qui leur permet de prendre ces évolutions en compte dans le cadre de leurs décisions, pas des subventions nouvelles.
— Les exportations égyptiennes ont chuté au cours du premier semestre de l’année. Comment expliquez-vous ce recul ?
— Cette diminution est principalement liée à la baisse des exportations d’hydrocarbures qui s’explique tant par la baisse de la production et la hausse de la consommation égyptienne que par la baisse des prix du pétrole. La poursuite des remboursements des arriérés de paiement aux compagnies pétrolières devrait permettre une reprise des investisse ments d’exploration et de production et amortir cette baisse à moyen terme. Par ailleurs, les exportations non pétrolières ont baissé si l’on compare les deux premiers semestres.
— Y a-t-il un échange prévu de visites entre les responsables de nos deux pays ? Quelles seraient les dates de telles visites ?
— Le calendrier des visites de haut niveau témoigne du renforcement des relations entre nos deux pays. Les visites en France du président de la République et du premier ministre égyptiens, pour ne citer qu’elles, appellent à l’intensification des échanges bilatéraux de haut niveau. La France sera ainsi représentée par le président de la République à l’inauguration du doublement du Canal de Suez le 6 août à Ismaïliya, et le premier ministre français a répondu positivement à l’invitation de son homologue égyptien, mais sans fixer de date pour l’instant.
— Quels sont les domaines d’investissement en Egypte qui intéressent les entreprises françaises ?
— Ils sont très variés, à l’image des implantations actuelles : industrie, matériaux de construction, équipements électriques, agro-industrie, produits pharmaceutiques, tourisme, services téléphoniques et financiers, distribution, énergie, infrastructures urbaines, mais aussi nouvelles technologies et recherche et développement. Par ailleurs, nos entreprises suivent avec attention les grands projets lancés par l’Egypte et notamment le développement de la zone économique du Canal de Suez.
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