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L’Egypte vise une place à la BAII

Névine Kamel, Lundi, 06 avril 2015

L'Egypte a demandé à devenir membre fondateur de la Banque Asiatique d'Investissement dans les Infrastructures (BAII), créée par la Chine. Une adhésion qui lui permettrait de développer certains secteurs, comme celui des routes ou de l'énergie.

L’Egypte vise une place à la BAII
La cérémonie officielle de la signature de la BAII en octobre dernier. (Photo:Xinhua)

L’Egyptea présenté une demande pour faire partie des membres fondateurs de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. En effet, l’Egypte a beaucoup à y gagner. En rejoignant la BAII en tant que membre fondateur, l’Egypte aura accès à la prise de décision. Elle attend l’approbation finale de la Chine pour son adhésion à la BAII. La structure finale de la BAII sera en fait déterminée le 14 avril, selon les déclarations du gouvernement chinois. « L’économie égyptienne est en passe d’être relancée et son objectif au cours de la prochaine période sera de rénover et d’étendre le réseau national routier et celui de l’énergie, surtout l’électricité. Le gouvernement égyptien a donc besoin de diversifier ses sources de financement. Notre adhésion à la BAII est donc une étape nécessaire », explique Aymane Al-Qaffas, porte-parole du ministère des Finances.

Les fondateurs de la BAII possèdent actuellement d’importants excédents financiers. « L’Egypte cherche à en tirer profit, surtout avec le renforcement des relations avec la Chine suite à la visite du président égyptien dans ce pays », ajoute Al-Qaffas.

Le gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte, Hicham Ramez, avait recommandé au gouvernement égyptien d’adhérer à la BAII. Par conséquent, et comme le confie Al-Qaffas à l’Hebdo, le gouvernement égyptien a déjà inclus la somme avec laquelle il participera à cette initiative au nouveau budget 2015/2016. Il refuse cependant d’en préciser le montant, et conclut : « Notre adhésion s’inscrit dans un cadre purement politique ».

Doha Abdel-Hamid, experte financière auprès des Nations-Unies, plaide pour une telle adhésion. Pour elle, « l’Egypte profitera beaucoup de sa présence au sein de cette banque. Car cela lui permettra de développer des secteurs essentiels comme l’infrastructure. L’Egypte possède une bonne chance de devenir l’un des fondateurs de cette banque, vu ses bonnes relations avec la Chine ».

Le projet de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures a été lancé officiellement en octobre dernier à l’initiative de la Chine. Il devrait aboutir dans les mois à venir. Il s’agit de créer une Banque Mondiale (BM) à la chinoise.

L’idée est d’utiliser les énormes excédents commerciaux cumulés par la Chine pour créer un fonds mondial destiné à jouer un rôle alternatif à celui de la BM, dominée par les Etats-Unis. Une initiative qui vise à casser le monopole du FMI et de la BM et à contester la domination occidentale. Ainsi, la nouvelle entité vise à financer les projets de l’infrastructure dans les pays en voie de développement, hors de la tutelle des Etats-Unis.

Mécontentement des Etats-Unis
Le président chinois Xi Jinping avait proposé la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures lors de sa visite en Indonésie en octobre 2013. La Chine a tenu 3 cycles de négociations avec les pays asiatiques intéressés, comme le Pakistan, Singapour et la Corée du Sud. Un mémorandum sur la création de la banque devrait être signé cet automne.

Une trentaine de pays, essentiellement d’Asie ou du Moyen-Orient, ont exprimé leur volonté de rejoindre cette entité. Parmi eux Singapour et l’Arabie saoudite.

Malgré le mécontentement des Etats-Unis, 4 pays européens, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, ont annoncé leur participation à la BAII. Quant à la Corée du Sud et l’Australie, elles hésitent encore. La Russie a rejoint le cortège la semaine dernière. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, s’est réjoui de cette annonce : « Je pense que c’est une bonne chose, et si d’autres Etats membres (de l’Union européenne) en font autant, ce sera encore mieux ».

« Si la Chine devient un acteur de plus en plus influent sur les marchés émergents, la Grande-Bretagne et la France ne peuvent pas laisser passer le train », commente Aidan Yao, économiste chargé de l’Asie émergente chez Axa IM, basé à Hong Kong, selon le quotidien français Libération.

Il ajoute : « En investissant dans les pays émergents, la Chine peut employer ses surcapacités industrielles (ses excédents de béton et d’acier par exemple) et bénéficier d’un meilleur rendement. Cela vaut aussi pour la France ou la Grande-Bretagne : investir dans les pays émergents rapporte plus », ajoute-t-il.

En rejoignant la BAII dès son démarrage, les pays européens entendent aussi s’attirer les bonnes grâces de Pékin qui est en train d’ouvrir et de développer son marché financier.

En outre, la Chine, dont les ambitions inquiètent ses voisins asiatiques, estime aussi que la présence du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou de la France parmi les actionnaires et le conseil d’administration de la nouvelle banque sera de nature à rassurer les pays emprunteurs. Un partenariat gagnant-gagnant.

Dotée de 50 milliards de dollars, essentiellement grâce à Pékin, la BAII financera des projets d’infrastructure dans de nombreux pays d’Asie, afin de participer à leur développement. Pékin visera à doubler cette somme le plus tôt possible. Chaque pays membre participera au capital selon la taille de son économie. « La contribution de l’Egypte, vu ses difficultés économiques sera limitée », explique Abdel-Hamid.

L’Egypte vise une place à la BAII
Dessin de Luo Jie (China Daily).

Une place de poids
Un nouveau face-à-face entre la Russie et les Etats-Unis ? La Russie a annoncé la semaine dernière sa participation à la BAII.

Car la Russie sait parfaitement, comme l’explique Abdel-Hamid, que la Chine cherche à se forger une place de poids sur la scène internationale et ce, en s’attaquant indirectement à la domination des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale.

« Cette initiative, dont le but essentiel est d’ordre économique, reflète sans doute des intérêts politiques », explique l’experte financière auprès des Nations-Unies.

Les Etats-Unis n’ont pas cessé de garder le leadership du FMI et de la Banque mondiale, depuis leur création à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Et « l’appui d’une trentaine de pays à la BAII remet en cause l’architecture financière de ces institutions dominées depuis 1944 par Washington », dit Abdel-Hamid.

Abdel-Hamid s’attend à la réussite de l’initiative. Car « le FMI et la BM ont longtemps placé les mesures en faveur des pays développés et des pays en voie de développement à la queue de leurs priorités ».

Le FMI « ravi » de coopérer
La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a salué, lors d’une visite de 5 jours à Pékin, la création de la Banque asiatique à l’initiative de la Chine, « projet auquel se rallient les Européens, mais qui suscite de farouches réticences à Washington ». Lagarde avait indiqué que le FMI serait « ravi » de coopérer avec cette nouvelle banque de développement, selon l’agence Chine nouvelle.

Or, jusqu’à présent, les Etats-Unis n’ont pas demandé à rejoindre la BAII. Ils éprouvent une véritable inquiétude vis-à-vis de cette initiative de la part de la Chine. Le fait que leurs alliés se rapprochent de leur premier concurrent est pour eux un facteur d’inquiétude. Jack Lew, secrétaire au Trésor américain, a exhorté le Congrès à changer d’attitude vis-à-vis de la réforme des droits de vote au FMI. Elaborée en 2010 et donnant plus de poids aux pays émergents, elle n’a toujours pas été votée à Washington. « Notre crédibilité internationale et notre influence sont menacées », a-t-il prévenu.

De même, le Sénat américain bloque la réforme du FMI prévoyant une plus juste répartition des droits de vote et une place plus importante aux Etats émergents. Un responsable d’une entreprise américaine, et membre du Conseil égypto-américain, conclut : « Il faut rester méfiant à l’égard du discours de Pékin. Cette initiative chinoise cache plutôt des intérêts politiques diplomatiques régionaux. La Chine vise à projeter l’image d’une puissance mondiale de poids. Les visages changent, mais les intérêts sont les mêmes » .

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