Par Névine Kamel
Rédactrice en chef d’Al-Ahram Hebdo
Al-Ahram Hebdo : Pouvez-vous nous donner un aperçu du programme du FMI pour l’Egypte ? Et quels sont les résultats de la réunion du 16 décembre ? Quelles sont les mesures que le gouvernement égyptien doit à présent prendre ?
Saïd Bakhache : Le 16 décembre, le conseil d’administration du FMI a approuvé la demande de l’Egypte d’un prêt de 3 milliards de dollars, remboursable sur 46 mois conformément au mécanisme élargi de crédit. Le premier déblocage de 347 millions de dollars sera effectué dans les jours qui viennent. La somme restante sera échelonnée sur plusieurs tranches égales. Le programme appuyé par le FMI devrait catalyser un financement supplémentaire de la part des partenaires régionaux et internationaux.
L’accord soutient le programme de réformes locales des autorités, qui vise à remédier durablement aux vulnérabilités macroéconomiques et à promouvoir une croissance orchestrée par le secteur privé. Il repose sur trois fondements principaux. Premièrement, une transition vers un régime de change flottant qui aide à absorber les chocs externes et à reconstituer les réserves, tout en réduisant progressivement l’inflation. Deuxièmement, le maintien de la discipline budgétaire et des politiques structurelles fiscales, ce qui permettra de donner confiance aux marchés et d’assurer la trajectoire descendante du ratio dette-PIB, tout en renforçant le budget pour permettre une expansion des dépenses sociales. Troisièmement, un vaste programme de réformes structurelles doit permettre de promouvoir les investissements du secteur privé et d’assurer une croissance forte et inclusive à moyen terme, en réduisant le rôle de l’Etat dans l’économie, en uniformisant les règles du jeu entre les entreprises publiques et les entreprises privées, en supprimant les obstacles au commerce et en améliorant la transparence et la gouvernance dans le secteur public. L’Egypte a fait un très bon départ dans la mise en place des réformes dans ces trois domaines, notamment grâce à l’engagement de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) de ne pas intervenir sur le marché des changes, à la mise en oeuvre rigoureuse du budget, ce qui a permis des dépenses sociales supplémentaires et la promotion de la politique de propriété de l’Etat et de la vente des actifs publics.
— Quelles sont vos prévisions concernant le ratio dette-PIB en Egypte, en particulier après le récent prêt ? Quelles sont les priorités que l’Egypte devrait avoir en matière de dépenses ? Et comment le gouvernement devrait-il gérer la dette publique ?
— Le programme du FMI est axé sur le renforcement de la viabilité de la dette en plaçant le ratio de la dette publique au PIB sur une trajectoire descendante, qui devrait atteindre 81 % d’ici la fin de l’exercice 2025-26 et moins de 75 % d’ici l’exercice 2027-28. Cet objectif devrait être atteint grâce à la poursuite de la discipline budgétaire en vue d’obtenir des excédents primaires de 1,7 %, 2,1 % et 2,3 % du PIB pour l’exercice en cours et les exercices 2023-24 et 2024-25 respectivement. Ceci tout en garantissant des dépenses de protection sociale adéquates. En outre, le gouvernement s’efforcera d’allonger la maturité de la dette interne, afin de réduire ses besoins de financement. Le programme de désinvestissement en cours renforcera la situation budgétaire et réduira davantage la dette publique. La mobilisation des recettes intérieures sera essentielle pour soutenir cet effort en créant un espace pour les dépenses prioritaires et un soutien ciblé pour les personnes vulnérables.
— Que pensez-vous de la politique monétaire de l’Egypte, surtout après la libéralisation complète des taux de change et l’adoption d’un taux de change flexible ? Quelles politiques conseilleriez-vous à la BCE dans l’avenir proche ?
— L’objectif du programme du FMI est que la valeur de la livre égyptienne soit déterminée librement par rapport aux autres monnaies, ce qui éviterait l’accumulation de déséquilibres chroniques dans l’offre et la demande sur les devises en Egypte et préserverait les réserves en devises de la BCE. Ceci implique également la suppression des restrictions sur le financement des importations, de sorte que les importateurs ne soient pas confrontés à des retards dans l’accès aux devises. Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à des mouvements dans les deux directions des taux de change, à mesure qu’ils gagnent ou perdent de la valeur en fonction des conditions économiques. La flexibilité des taux de change apporterait plusieurs avantages. Cela aiderait l’économie égyptienne à s’adapter plus facilement aux chocs extérieurs, soutiendrait la capacité des entreprises égyptiennes à vendre leurs biens et services à l’étranger et encouragerait davantage les investissements en réduisant la probabilité des changements brusques dans les taux de change. En outre, cela contribuerait à préserver les réserves de la BCE. Une fois ce programme appliqué, nous nous attendons à voir des flux d’investissement plus importants arriver en Egypte. Par conséquent, la BCE sera mieux placée pour orienter l’inflation vers la fourchette cible. L’inflation a été un défi mondial cette année, et l’Egypte ne fait pas exception. Nous nous attendons à ce que l’inflation reste élevée au cours de l’exercice 2022-2023 avant de retomber vers la fourchette cible au cours des années suivantes. Outre le resserrement de la politique monétaire fin octobre, qui visait à réduire la pression sur les prix, nous saluons les mesures sociales prises par les autorités égyptiennes pour protéger les groupes vulnérables contre la détérioration de leur pouvoir d’achat causée par l’inflation.

Le programme Takafol et Karama est exemplaire, car il cible les couches sociales les plus vulnérables. (Photo : Banque mondiale)
— Comment l’Egypte peutelle réaliser le double objectif de la stabilité économique et un meilleur niveau de vie ?
— Ce sont précisément les objectifs du programme économique local soutenu par le mécanisme élargi de crédit (EFF arrangement) du FMI. La stabilité économique est nécessaire pour soutenir l’activité économique, tandis que les réformes structurelles sont essentielles pour accroître le potentiel de croissance de l’Egypte et élever durablement le niveau de vie du peuple égyptien. Le programme comprend des éléments visant à soutenir une croissance inclusive et à prévenir les déséquilibres qui ont nécessité dans le passé des ajustements brusques et déstabilisateurs.
— Quel est l’impact de la guerre en Ukraine sur la situation économique au Moyen-Orient, en particulier l’Egypte ?
— Comme d’autres régions du monde, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) est confrontée à des incertitudes et des risques exceptionnels. L’impact de la guerre en Ukraine sur les pays du Moyen-Orient varie d’un pays à l’autre en fonction des conditions de chaque pays. Le premier impact est la hausse des prix des produits de base, y compris le carburant et les denrées alimentaires. L’Egypte et les importateurs de produits de base et de produits alimentaires en général sont confrontés à d’importantes pressions sur leur secteur extérieur (en raison du coût des importations). Dans les pays qui ont recours aux subventions comme l’Egypte, la situation budgétaire est mise à rude épreuve, puisque la hausse des prix des produits de base importés exerce des pressions sur l’inflation interne. En outre, le resserrement des conditions financières mondiales a accru la pression sur les flux de capitaux, ainsi que sur les paiements d’intérêts, en particulier dans les pays fortement endettés. Le moment est venu d’agir pour atténuer la crise tout en préservant la viabilité des finances publiques et en renforçant la résilience. Il s’agit d’une priorité politique pour tous les pays de la région.
— Quelles sont vos prévisions concernant la croissance en Egypte l’année prochaine ?
— Nous nous attendons à ce que la croissance économique soit d’environ 4 % au cours de l’exercice actuel et qu’elle augmente progressivement à 5,5 et 6 % à moyen terme, après que les défis à court terme, comme l’impact de la guerre en Ukraine, se sont dissipés et que le rôle de l’Etat a été progressivement remplacé par l’activité privée. La mise en oeuvre rigoureuse des engagements économiques pris par les autorités dans le cadre du programme soutenu par le FMI est essentielle pour parvenir à une croissance plus forte et plus inclusive, accompagnée de la création d’emplois de qualité pour une population en âge de travailler et qui est en croissance rapide.
— Comment jugez-vous le déficit de financement de l’économie égyptienne ?
— Le déficit de financement est lié à l’entrée et à la sortie des devises étrangères pour reconstituer les réserves de la BCE. Nous faisons des projections sur la performance du compte courant extérieur (y compris les exportations, les importations de biens et services et les envois de fonds), les investissements étrangers directs et les réserves de change. Il y a aussi la politique macroéconomique et les conditions du marché mondial considérées comme importantes pour l’économie égyptienne (comme la croissance mondiale, les conditions financières et les prix des produits de base). Nous estimons qu’il y aura un déficit de financement d’environ 17 milliards de dollars pendant les 4 prochaines années en Egypte. Ce financement du FMI vise donc à combler une partie de ce déficit. En outre, le programme appuyé par le FMI devrait catalyser un financement supplémentaire de la part d’autres institutions multilatérales, de partenaires bilatéraux et d’investisseurs du secteur privé, afin de combler le déficit restant. Le financement supplémentaire comprend le produit de la vente d’actifs appartenant à l’Etat.
— L’Egypte a-t-elle besoin de plus de programmes de protection sociale ?
— Les autorités égyptiennes ont fait de très bons progrès dans la conception et la mise en oeuvre de programmes de protection sociale. Le programme Takafol et Karama est exemplaire, car il cible les couches sociales les plus vulnérables et garantit ainsi une utilisation plus efficace des ressources publiques pour ceux qui en ont besoin. Dans le cadre du programme soutenu par le FMI, les autorités prennent plusieurs mesures pour renforcer la protection sociale, comme l’expansion récente de Takafol et Karama pour couvrir 5 millions de ménages d’ici fin janvier 2023, l’élargissement de la couverture sociale à 50 millions de personnes d’ici fin décembre 2023, le déploiement du système d’assurance maladie universelle et du programme de vaccination contre le Covid-19, et enfin, l’extension de l’aide d’urgence aux détenteurs de cartes de subvention et les mesures visant à protéger le pouvoir d’achat des salariés et des retraités vulnérables.
— Que pensez-vous du mécanisme égyptien de fixation des prix des carburants ?
— La réforme des subventions aux carburants, il y a quelques années, a été une excellente étape dans les efforts visant à passer des subventions inefficaces de nombreux produits à des subventions plus ciblées. Dans le cadre du programme soutenu par le FMI, les autorités veilleront à ce que la formule d’indexation des prix des carburants soit pleinement mise en oeuvre, avec une indemnisation ciblée pour les plus vulnérables, notamment par l’intermédiaire de Takafol et Karama, comme indiqué précédemment. Etant donné que les prix des carburants ont été maintenus à un niveau plus bas par rapport à la formule d’indexation au cours de l’année écoulée dans un contexte de hausse des prix du pétrole, les autorités s’abstiendront de mettre en oeuvre toute baisse des prix des carburants tant que les subventions aux carburants n’ont pas été éliminées.
— Le document de la politique de la propriété de l’Etat répond-il aux demandes du Fonds ?
— Le document de la politique de la propriété de l’Etat est une étape-clé dans la formulation de la stratégie de l’Etat visant à renforcer la croissance menée par le secteur privé et à créer des emplois de qualité. Les autorités souhaitent vivement que le président approuve une politique de propriété qui couvre de manière exhaustive toutes les entités de l’Etat, y compris les entreprises du secteur public, les sociétés appartenant à l’armée, les autorités économiques, les coentreprises et les partenariats. Une politique qui détaille les principes de la propriété de l’Etat et les critères permettant de déterminer si un secteur est stratégique ou non pour justifier l’intervention de l’Etat, qui comprend un engagement en faveur de mesures spécifiques visant à garantir des conditions équitables entre le secteur privé et le secteur public.
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