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Le marché arabe du travail tourne le dos à la génération Covid

Salma Hussein , (avec OIT) , Mercredi, 14 septembre 2022

Un récent rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) revient sur les défis du marché du travail chez les jeunes dans le monde post-Covid. Focus sur la région arabe.

Le marché arabe du travail tourne le dos à la génération Covid
Le chômage des jeunes femmes dans le monde arabe est trois fois supérieur à la moyenne mondiale. (Photo : Reuters)

La reprise de l’emploi des jeunes dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) tarde à venir selon un récent rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Le rapport affirme que la pandémie de Covid-19 a fait plus de mal aux jeunes qu’à toute autre catégorie d’âge. La pandémie a exacerbé la situation précaire du travail chez les jeunes (âgés entre 15 et 24 ans) selon le rapport de l’OIT intitulé « Tendances mondiales de l’emploi des jeunes 2022 : Investir pour transformer l’avenir des jeunes ». Les jeunes ont connu une perte d’emploi en pourcentage beaucoup plus importante que celle des personnes plus âgées depuis le début 2020. Le nombre total de jeunes chômeurs dans le monde devrait atteindre 73 millions de personnes en 2022, ce qui représente une légère amélioration par rapport à 2021 (75 millions). Ce chiffre reste cependant supérieur à celui d’avant la pandémie (67 millions), indique le rapport.

Les pays à revenus élevés sont les seuls qui devraient revenir en 2022 à des taux de chômage proches de ceux de 2019, tandis que les pays aux revenus inférieurs resteront largement au-dessus du niveau d’avant la crise.

Les pays arabes affichent le taux de chômage le plus élevé parmi les jeunes avec des prévisions de 24,8 % pour 2022. La situation est pire pour les jeunes femmes (42,5 % en 2022), soit près de trois fois plus que la moyenne mondiale. Les jeunes hommes ont une fois et demie plus de chances que les jeunes femmes d’être employés. « Les femmes dans la région arabe font face à des défis plus grands que ceux des hommes en raison des discriminations et des normes sociales conservatrices », affirme le rapport.

Outre le taux de chômage, l’OIT souligne un autre indice qui reflète la situation sur le marché du travail chez les jeunes. Il s’agit du pourcentage des jeunes qui n’ont pas d’emploi, d’éducation ou de formation (NEET). En 2020, dernière année pour laquelle une estimation mondiale est disponible, le NEET était estimé à 23,3%, un niveau jamais atteint depuis au moins 15 ans. « Ces jeunes sans formation voient leurs chances sur le marché du travail se détériorer », avertit le rapport. Ceci inclut les opportunités de travail, la qualité de travail, et par conséquent l’entière trajectoire du revenu tout le long de leur vie.

La reprise multicolore

Pour Martha Newton, directrice générale adjointe de l’OIT, ce dont les jeunes ont le plus besoin ce sont « des marchés d’emploi qui fonctionnent bien, avec des opportunités d’éducation et de formation de qualité ». Le rapport de l’OIT dresse plusieurs scénarios d’ici 2030. Le premier scénario est celui d’une reprise basée sur l’économie verte, le deuxième est une reprise basée sur l’économie numérique et créative (économie orange). Quant au troisième scénario, c’est celui d’une reprise basée sur « l’économie des soins », qui englobe les secteurs de la santé, de l’éducation et des soins fournis aux enfants et aux plus âgés (économie pourpre). Pour l’OIT, il est préférable que des investissements supplémentaires soient injectés dans ces trois secteurs.

A l’instar des économies verte et bleue, l’économie numérique a un potentiel considérable de création d’emplois pour les jeunes. L’essor de la digitalisation de l’économie et de la société affecte profondément le monde du travail, et la tendance devrait s’accélérer dans les années à venir. Le problème est que dans les pays arabes, les deux premiers secteurs (écologique et numérique) ont des effets restreints sur la création d’emplois chez les jeunes, étant donné que les économies de la région dépendent essentiellement des hydrocarbures. Internet haut débit et l’accès à une éducation moderne font également défaut dans la région, deux conditions indispensables au deuxième scénario.

Par contre, le troisième secteur (les soins) offre une meilleure issue à la crise de l’emploi dans la région. « En fait, le secteur des soins et des services est un employeur majeur de jeunes travailleurs, que ce soit dans l’éducation, la santé, le travail social ou l’aide à domicile », note Thomas Claes, directeur du projet régional Politiques économiques pour la justice sociale au sein de l’institution Friedrich Ebert-Mena.

Pour Claes, l’économie pourpre représente une trajectoire convenable pour la région. Il énumère les avantages. « Premièrement, investir pour créer des garderies et des écoles permet aux jeunes mamans de poursuivre des carrières. Deuxièmement, on crée des opportunités de travail pour ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les jeunes et spécifiquement les jeunes femmes. Enfin, investir dans l’éducation des enfants donnera naissance à une génération plus apte à travailler et à se développer ». Claes préfère ce type d’investissement que « l’investissement gris », c’est-à-dire la construction d’infrastructures en béton comme les autoroutes et les ponts, car les emplois créés dans ce cas sont de nature temporaire et majoritairement occupés par les hommes.

L’OIT plaide en faveur d’une augmentation des investissements publics dans ce secteur, ce qui permettra de créer 17,9 millions d’emplois supplémentaires pour les jeunes d’ici 2030. L’organisation souligne que les effets positifs de ces investissements sur l’emploi des jeunes se feront surtout sentir dans les pays à faibles revenus et plus encore dans les pays à revenus intermédiaires. A une seule condition cependant: « Les investissements dans le secteur des soins et des aides à domicile doivent être accompagnés de conditions de travail décentes pour les travailleurs », plaide Thomas Claes. Cela signifie leur procurer une protection sociale adaptée, garantir la liberté syndicale, promouvoir l’égalité en matière de rémunération pour les emplois de valeur égale et prévenir la violence et le harcèlement. Le FMI estime, pour sa part, qu’il faut augmenter annuellement d’ici 2030 les dépenses publiques sociales (éducation et santé) d’un montant équivalent à 5% du PIB pour pouvoir réaliser 5 des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD).

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