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Hausse des taux d’intérêt : Une décision audacieuse

Gilane Magdi , Mercredi, 25 mai 2022

La Banque Centrale d’Egypte a augmenté de 2% les taux d’intérêts bancaires. L’objectif est de freiner l’inflation et d’attirer des investissements étrangers.

Hausse des taux d’intérêt : Une décision audacieuse
La BCE prévoit une baisse graduelle de l’inflation en 2023. (Photo : Reuters)

La banque Centrale d’Egypte (BCE) a relevé ses taux d’intérêt directeurs de 200 points de base (2 %). L’annonce a été faite suite à une réunion du Comité des politiques monétaires tenue le 19 mai. Les taux d’intérêt sur les dépôts et les prêts ont ainsi augmenté de 9,25% à 11,25% et de 10,25% à 12,25% respectivement. Il s’agit de la deuxième hausse décidée par la BCE depuis mars dernier.

Si la décision elle-même était prévisible, la hausse est plus importante que les estimations que les banques d’investissement et les économistes avaient faites. A titre d’exemple, la banque d’investissement Prime Holding avait prévu une hausse de 1 à 1,5 %. « L’Egypte a surpris la plupart des économistes en procédant à sa plus forte hausse de taux d’intérêt en près d’une demi-décennie. Une tentative qui vise à lutter contre la flambée de l’inflation et à restaurer l’attraction de sa dette locale auprès des investisseurs étrangers », a noté Bloomberg dans sa note publiée jeudi 19 mai.

L’annonce intervient dans un contexte mondial caractérisé par l’adoption d’une politique monétaire restrictive par la Réserve fédérale américaine et les Banques Centrales de différents pays basée sur la hausse des taux d’intérêts bancaires pour freiner l’inflation. « La flambée des prix mondiaux des matières premières et la dévaluation de la livre égyptienne face au dollar ont entraîné, ensemble, une accélération de la montée des prix plus rapide que prévu. C’est pourquoi le comité a décidé de relever les taux directeurs de 200 points pour contenir les pressions inflationnistes, afin de réaliser la stabilité des prix à moyen terme », a indiqué le communiqué de presse publié par la BCE le 19 mai sur son site électronique.

En avril dernier, l’inflation urbaine annuelle est passée en Egypte à 13,1 % (soit son plus haut niveau depuis mai 2019) contre 10,5% en mars 2022. « Le taux d’inflation annuel sera temporairement au-dessus de l’objectif pré-annoncé par la BCE (soit de 7 % (±2%) avant de baisser graduellement en 2023 », selon le communiqué de presse.

Le gouverneur de la BCE, Tarek Amer, a insisté sur la réussite de la politique monétaire comme étant une arme effective dans la lutte contre l’inflation au cours du programme de réforme économique. « La BCE a augmenté les intérêts bancaires de 10% pendant les années 2016 et 2017 et les chiffres de l’inflation ont ainsi chuté de 33% à 3,5% », a annoncé le gouverneur à l’occasion de la conférence de l’Union des banques arabes tenue la semaine dernière au Caire.

Bonne nouvelle pour les investissements étrangers

Amr Al Alfy, directeur du département des recherches au sein de la banque d’investissement Prime Holding, a indiqué à l’Hebdo que la dernière hausse des intérêts bancaires sera un signe fort au marché, confirmant la capacité de la Banque Centrale à ramener les taux d’intérêt réels du négatif au positif d’ici l’année prochaine, pour encourager à nouveau l’investissement dans le marché de la dette. « Aujourd’hui, le taux d’intérêt réel, qui est la différence entre le taux d’intérêt officiel (11,25%) et le taux d’inflation (13,1%) reste négatif. Freiner l’accélération des taux d’inflation et augmenter les intérêts bancaires dans l’avenir conduiront ainsi à la réalisation du taux d’intérêt réel positif, incitant ainsi le retour des investissements étrangers sur le marché de la dette en Egypte », explique-t-il.

Mais Hussein Soleiman, macro-analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, a indiqué à l’Hebdo que les investisseurs étrangers seraient dans l’attente des décisions de la Réserve fédérale américaine et des Banques Centrales de relever leur taux d’intérêt. La Réserve fédérale américaine a augmenté l’intérêt sur le dollar de 0,5% pendant ce mois-ci (soit la plus forte hausse en 22 ans). « Il est prévu de poursuivre la hausse graduelle des intérêts plusieurs fois cette année pour atteindre 3,5 % contre 1% actuellement. Donc, il serait profitable pour les investisseurs étrangers d’investir sur le marché de la dette américaine à risque nul au lieu d’investir dans les marchés émergents, y compris l’Egypte, même si le taux d’intérêt sur la livre égyptienne est plus élevé que celui sur le billet vert », explique-t-il.

Moins bonne pour l’investissement privé

Bien que la hausse des intérêts bancaires reste nécessaire pour ralentir l’accélération de l’inflation galopante et attirer des investissements étrangers, l’impact sera négatif sur l’investissement privé, entraînant l’augmentation des coûts d’emprunt au sein des banques. Pour Hussein Soleiman, les répercussions de la hausse des intérêts ne seront pas significatives sur l’investissement privé qui souffre déjà d’un état de ralentissement au cours de la dernière période d’après l’indice des directeurs d’achat (Purchasing Managers Index, PMI). Selon l’agence britannique Reuters, cet indice a atteint 46,9 points en avril dernier, restant inférieur aux 50 points qui séparent la croissance de la contraction. « L’activité du secteur privé non pétrolier en Egypte s’était contractée en avril, poursuivant sa détérioration continue depuis 17 mois », a noté Reuters. Et donc, Hussein Soleiman a indiqué qu’il était nécessaire pour le gouvernement de se concentrer sur la lutte contre l’inflation par l’arme de la politique monétaire restrictive, quel que soit son impact sur l’augmentation du coût d’emprunt auprès du secteur privé. Ce dernier trouve vraiment une difficulté à calculer ses coûts de production en raison de la hausse continuelle et imprévue des prix des entrants de production. « Par l’augmentation des intérêts bancaires sur les dépôts et l’émission des certificats de dépôts de taux élevés, les ménages vont déposer leur argent aux banques entraînant ainsi le recul de la demande et des prix », prévoit Soleiman.

Dès l’annonce de la décision de relever les intérêts de 2%, les PDG des deux banques publiques (Misr et la Banque Nationale d’Egypte, NBE) ont écarté la possibilité d’émettre des certificats de dépôt à taux d’intérêt dépassant les 18% émis sur le marché le 21 mars dernier.

Pour inciter l’investissement privé et minimiser le coût d’emprunt bancaire, Amr Al Alfy prévoit le lancement, par la BCE, d’initiatives à taux d’intérêt réduit pour le financement des secteurs ciblés par le gouvernement tels que l’industrie.

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