
Meeting électoral à Kano au nord du Nigeria. (Photo : AFP)
Le Nigeria connaîtra, dans deux semaines, sa troisième transition pacifique du pouvoir. Après deux mandats, le président Muhammadu Buhari n’est plus à la course, comme le prévoit la Constitution, les représentants de 18 partis sont les candidats au poste de président du pays. Au total, 18 candidats font campagne pour le poste suprême, mais seuls 3 d’entre eux ont une chance réaliste de l’emporter, selon les sondages d’opinion. Il s’agit de Bola Ahmed Tinubu, Atiku Abubakar et Peter Obi. Le premier, âgé de 70 ans, représente le parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC).
Connu comme un parrain politique dans la région du sud-ouest, il exerce une énorme influence, mais a été poursuivi par des allégations de corruption au fil des ans et de mauvaise santé, ce qu’il nie. Le deuxième, 76 ans, lui aussi accusé de corruption, se présente au nom du principal parti d’opposition, le Parti Démocratique Populaire (PDP). Il s’est déjà présenté cinq fois à l’élection présidentielle. L’essentiel de sa carrière s’est déroulé dans les coulisses du pouvoir : il a été haut fonctionnaire, vice-président sous Olusegun Obasanjo et homme d’affaires de premier plan. Quant au troisième, 61 ans, il dit espérer briser le système bipartite qui domine le Nigeria depuis la fin du régime militaire en 1999 et se présente pour le Parti travailliste, peu connu. Bien qu’il ait été membre du PDP jusqu’à l’année dernière, il est considéré comme un visage relativement nouveau et bénéficie d’un soutien fervent sur les médias sociaux et parmi les jeunes Nigérians. Ce riche homme d’affaires a été gouverneur de l’Etat d’Anambra (sud-est du pays) de 2006 à 2014. Ses partisans, connus sous le nom d’« OBIdients », affirment qu’il est le seul candidat intègre, mais ses détracteurs affirment qu’un vote pour Obi est gaspillé car il a peu de chances de gagner.
La réduction de l’insécurité est l’une des principales préoccupations des électeurs, dans un pays qui connaît actuellement une crise des enlèvements contre rançon et qui est aux prises avec une insurrection islamiste dans certaines régions du nord. Le deuxième sujet de préoccupation est l’économie. En 2022, l’inflation a augmenté pendant 10 mois d’affilée, tombant tout juste à 21,3 % selon les derniers chiffres publiés ce mois-ci. En raison de cette hausse du coût de la vie, de nombreuses familles ont du mal à joindre les deux bouts, les médias locaux qualifiant la situation de « désastreuse ». Le chômage est également un problème majeur, laissant de nombreux diplômés craindre de ne pas trouver de travail même après des années d’études universitaires. Les derniers chiffres du Bureau national des statistiques du pays montrent que 33 % de la population sont sans emploi, ce chiffre passant à 42,5 % pour les jeunes adultes.
Pénuries
Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, est en proie à de graves crises économiques, à leur tête les pénuries d’essence et les nouveaux billets de banque, qui provoquent la grogne de la population et rebattent les cartes de la présidentielle du 25 février, tout en mettant en péril son organisation. Les subventions du carburant demeurent un sujet très sensible dans le pays : bien qu’il soit le premier producteur de pétrole d’Afrique, le Nigeria n’en raffine quasiment pas et importe la majorité de son carburant. Le gouvernement nigérian prend en charge une partie du coût de l’essence aux stations et permet ainsi à sa population de pouvoir se ravitailler à un prix artificiellement bas. Un système qui siphonne chaque année des milliards de dollars des caisses publiques. Avec l’explosion des prix liée à la guerre en Ukraine, le gouvernement est complètement dépassé par son système de subventions et ne peut plus payer les négociants. « Les négociants se sentent pénalisés, le gouvernement les obligeant à vendre au prix normal du marché », explique à TV5 Monde Tunde Ajileye, analyste du cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence. Pour une raison politique, le gouvernement « ne veut pas augmenter les prix, surtout deux semaines avant l’élection présidentielle », insistet- il, en ajoutant : « Le pays n’a tout simplement pas l’argent pour payer l’essence ». Les deux camps s’opposent : d’un côté, les négociants ne veulent pas vendre à perte. De l’autre, la présidence accuse les premiers de stocker le pétrole et d’alimenter le marché noir.
Le manque de billets vient aussi comme un défi face à un bon déroulement du processus électoral : tout est parti de la décision des autorités de remplacer les anciens billets en naira par de nouveaux, de couleurs différentes. Une mesure visant à réduire le volume d’argent en dehors du système bancaire. Citée par TV5, Idayat Hassan, directrice du Centre for Democracy and Development, estime que c’est une mesure qui cherche aussi à réduire les achats de voix, une pratique courante au Nigeria. Mais le problème, c’est que « cette mesure n’a pas été soigneusement planifiée. Les gens rendent leurs vieux billets aux banques, qui n’ont pas assez de nouveaux billets pour les remplacer, l’offre ne répond pas à la demande », ajoute Idayat Hassan.
Dans une société où l’économie informelle est vitale, et donc basée sur l’argent liquide, la pénurie de cash a provoqué des émeutes, notamment à Kano, grande ville du nord. Beaucoup pointent du doigt la responsabilité des autorités. Dans les urnes, les électeurs pourraient sanctionner le parti au pouvoir (APC).
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