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Rwanda: Eaux troubles dans les Grands Lacs

Sabah Sabet, Lundi, 02 septembre 2013

L'Onu a ouvertement accusé le Rwanda de soutenir la rébellion congolaise du M23. Le risque d'une régionalisation du conflit plane à nouveau

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Pour la première fois, une nouvelle brigade de la mission de l'Onu au Congo (MONUSCO) est intervenue dans les combats à l'est soutenant l'armée congolaise contre la rébellion M23.Photos : AP

« On a des informations crédibles et cohérentes sur un soutien de l’armée rwandaise aux rebelles du M23, dans les combats en cours au nord de la capitale du Nord-Kivu, Goma ». C’est ce qu’a déclaré Edmond Mulet, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix, au Conseil de sécurité. Ces déclarations ont été faites au cours d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité jeudi dernier sur la situation à l’est du RDC où des combats intensifs durent depuis une semaine entre la force armée de la RDC (FARDC), soutenue pour la première fois par une nouvelle brigade d’intervention de la Mission de l’Onu au Congo (Monusco), et les rebelles congolais du mouvement M23 qui pullulent dans l’est.

Ces combats ont poussé les groupes armés rebelles à se retirer des positions qu’ils occupaient sur les hauteurs à une quinzaine de kilomètres de Goma, ville située à la frontière avec le Rwanda. Un scénario à répétition et qui ne signifie en aucun cas un retrait définitif de la rébellion.

Pour sa part, le Rwanda a lui aussi accusé l’armée congolaise d’intensifier son bombardement délibéré du territoire rwandais. « Une ligne a été franchie. Les civils rwandais sont pris pour cibles par les forces armées congolaises. Nous ne pouvons pas tolérer cette provocation plus longtemps, et nous n’hésiterons pas à défendre notre territoire », a déclaré jeudi dernier Olivier Nduhungirehe, ambassadeur adjoint du Rwanda à l’Onu.

Comme de coutume donc, accusations et contre-accusations vont bon train. Le rapport onusien, lui, indique que des soldats rwandais qui se sont infiltrés ces derniers jours en RDC ne sont que les soldats du M23 qui ont tiré des obus sur le Rwanda et non les forces congolaises. « Des éléments du M23 tiraient sur le territoire rwandais, à partir de positions qu’ils tiennent sur le territoire de la RDC ». Ainsi, l’Onu et la FARDC ne seraient donc pas responsables de ces tirs qui ont touché le territoire rwandais. La thèse de l’Onu est que le Rwanda cherche un prétexte pour intervenir en RDC. L’un des membres du Conseil a parlé « d’une manipulation pour faire monter les tensions » et d’un « piège dans lequel il ne faut pas tomber ». Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a lui aussi confirmé que les rebelles M23 avaient tiré en direction du territoire rwandais. Dans un communiqué, Ban Ki-moon condamne « en particulier les tirs non ciblés émanant du M23 qui ont causé des morts, des blessés et des dégâts matériels parmi la population civile à l’est de la RDC et dans les zones frontalières au Rwanda, de même que parmi les Casques bleus ». Le secrétaire général « encourage toutes les parties prenantes à poursuivre un processus politique global qui s’attaque aux causes profondes du conflit » à l’est de la République démocratique du Congo. En outre, le Rwanda a bloqué à trois reprises une condamnation du conseil. La France a proposé l’adoption de sanctions contre deux commandants du M23, ce qu’a bloqué le Rwanda aussi jugeant que les preuves contre eux sont insuffisantes.

Le rôle douteux du Rwanda

Malgré cet isolement international, le Rwanda persiste dans la même voie. Pourquoi donc ce pays tient-il à intervenir d’une manière ou d’une autre dans cette région frontalière troublée de la RDC ? Plusieurs rapports des Nations-Unies l’ont déjà dit : « Le Rwanda constitue la plaque tournante du commerce illégal des pierres précieuses congolaises ». En 2011, selon la Banque Centrale rwandaise, l’exportation minière a rapporté 68 millions de dollars américains à l’Etat devenant ainsi la première source de rentrée de devises, dépassant pour la première fois l’exportation du thé, qui a toujours été le premier secteur d’exportation. Officiellement, le Rwanda ne dispose pas de gisements à même de fournir une telle production. D’où viennent donc ces minerais exportés ? « Nous avons demandé aux responsables de mines du Rwanda de nous donner des statistiques de productions locales, mine par mine. Jusqu’à ce jour, on ne nous a rien donné. On nous fait toujours de promesses », affirme Sophia Pikles, chargée de campagne dans le dernier rapport de l’ONG britannique Global Witness. Il est donc vraisemblable que les minerais du Congo soient exportés comme production rwandaise.

Dans les milieux d’affaires, on affirme que des minerais congolais qui passent la frontière recevraient une étiquette au Rwanda pour être écoulés vers les marchés internationaux. Autre preuve fournie cette fois-ci par le rapport de l’ONG britannique, le Rwanda tarde à appliquer la diligence raisonnable pour le contrôle de la chaîne de production des minerais exportés à partir de son territoire. « Le gouvernement rwandais interdit l’importation des minerais qui ne sont pas certifiés et étiquetés par les autorités compétentes. La seule exception est faite aux minerais qui transitent dans le pays dans des conteneurs scellés, alors qu’ils proviennent du Kivu où ils ne sont pas étiquetés », explique le rapport.

Ainsi, le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 a différentes origines, et il n’est pas près de prendre fin. Pour le Rwanda, c’est aussi une manière de rester les maîtres du jeu dans le Kivu. Ceci pour élargir sa zone d’influence au-delà de ses frontières dans une région riche en minerais, dont les terres peuvent aussi accueillir certains Rwandais en quête de terre et pâturage.

De même, ce qui complique davantage la question, c’est la corruption qui règne en RDC. Selon certains observateurs, plusieurs personnalités congolaises politiques et militaires sont inculpées dans ces affaires .

Les interventions rwandaises dans les conflits en RDC

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Les groupes armés de la rébellion, soutenus par le Rwanda, se sont retirés cette semaine des positions qu'ils occupaient à l'est de la RDC.

L’armée rwandaise est déjà intervenue officiellement à trois reprises dans des conflits en RDC.

En 1996 : La RDC s’appelle encore le Zaïre. Elle organise, encadre et accompagne au combat la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, qui renverse un an plus tard Mobutu Sese Seko.

En 1998 : La rupture de l’alliance avec Kabila provoque la Deuxième Guerre du Congo, conflit régional impliquant plus d’une dizaine de pays africains, dont le Rwanda qui est un acteur majeur. Le dernier soldat rwandais quitte officiellement la RDC en octobre 2002.

En 2009 : L’armée rwandaise participe à une opération conjointe avec les FARDC contre les rebelles hutus rwandais dans l’est congolais.

Jeudi 29 août : Des véhicules blindés de l’armée rwandaise ont ostensiblement parcouru Kigali, prenant la route de Gisenyi, en direction de la frontière congolaise. De façon inhabituelle, des images de ces mouvements de troupe ont été diffusées à la télévision nationale et sur les médias .

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