
Placé sous le thème « Tirer pleinement parti du dividende démographique en investissant dans la jeunesse », ce sommet rappelle la nécessité de réformer l’organisation panafricaine.
Après 32 ans d’absence, et en dépit de fortes réticences de certains poids lourds du continent, le Maroc retourne finalement à l’Union africaine. C’est la décision prise lors du 28e sommet tenu le lundi 30 et le mardi 31 janvier à Addis-Abeba, en Ethiopie. Les chefs d’Etat de l’UA ont décidé de réintégrer le Maroc, qui avait quitté l’organisation continentale en 1984 pour marquer son désaccord sur le dossier du Sahara occidental. Au terme d’un débat à la fois tendu et émotionnel, 39 des 54 Etats membres se sont dit favorables au retour du Royaume chérifien dans l’organisation. «
39 pays sur les 54 de notre organisation ont donné leur accord pour le retour du Maroc », a déclaré à la presse le président sénégalais, Macky Sall. Et d’ajouter : «
Même si la question du Sahara occidental reste posée, (...) en famille on peut continuer à trouver des solutions. L’admission est faite, et c’est le plus important : aujourd’hui le Maroc est membre intégrant de l’Union africaine ».
Le Maroc avait quitté l’UA en 1984 pour protester contre l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) proclamée par le Front Polisario au Sahara occidental, un territoire que Rabat considère comme le sien. Par ailleurs, et après 32 ans de « politique de chaise vide », le roi Mohamed VI a officialisé, dimanche 17 juillet 2016, sa volonté que le Maroc réintègre « sa place naturelle au sein de l’institution panafricaine ». Fin 2016, le souverain chérifien avait mené une tournée de deux mois sur le continent pour rallier les soutiens et convaincre du bien-fondé du retour du royaume parmi les nations de l’UA. Selon Amira Abdel-Halim, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et spécialiste dans les affaires africaines, le retour du Maroc représente un gain pour tous. « Le Maroc est la sixième économie du continent. Son retour pourrait s’avérer utile à une organisation chroniquement sous-financée, notamment depuis la disparition de l’un de ses généreux donateurs en la personne de l’ancien président libyen, Muammar Kadhafi », explique Amira Abdel-Halim. Et d’ajouter que l’Union africaine reçoit la majeure partie de son financement des pays étrangers, ce qui peut influencer ses décisions et donc l’organisation cherche un financement fourni par ses membres pour qu’elle soit indépendante. Quant au Maroc, il remporte ainsi son pari, après avoir réalisé que la politique de la chaise vide, surtout ces dix dernières années sous la présidence du roi Mohamed VI, devenait un obstacle à son expansion économique et son influence en Afrique. « Politiquement, le Maroc pourra profiter du soutien des pays africains dans d’autres instances internationales et prouver sa puissance en Afrique devant les pays européens », explique Abdel-Halim.
Divisions sur le Sahara
Il reste que la question du Sahara occidental n’est toujours pas réglée. Le ministre des Affaires étrangères de la République sahraouie, Mohamed Salem Ould Salek, a annoncé qu’« à partir du moment où le Maroc n’a pas posé de conditions à son retour, nous le prenons au mot et on accepte que le Maroc soit admis à l’Union africaine ». Le Front Polisario réclame, de son côté, un référendum d’autodétermination. « Pourquoi le Maroc a-t-il peur du référendum ? Pourquoi ne laisse-t-il pas les Sahraouis choisir librement leur futur ? », interroge M. Salek.
Le sommet a témoigné d’échanges animés avec notamment l’opposition de puissances régionales comme l’Algérie et l’Afrique du Sud, soutiens de longue date de la RASD. Le Maroc dénonce l’instrumentalisation de l’Algérie, son soutien du Polisario et sa position en faveur de l’indépendance du Sahara occidental. « Je pense que l’UA ne veut pas perdre deux poids lourds comme le Maroc et l’Algérie, notamment que cette dernière possède l’expérience de la lutte contre le terrorisme, une affaire prioritaire au continent, et par la suite les dirigeants de l’UA vont tenter de rapprocher les points de vue entre les deux parties », affirme Amira Abdel-Halim.
Outre la question marocaine qui a occupé une place centrale au sein du sommet, les chefs d’Etat ont élu pour un mandat de quatre ans, et après sept tours de scrutin, le ministre tchadien des Affaires étrangères, Moussa Faki Mahamat, 56 ans, à la tête de la Commission africaine, le bras exécutif de l’UA. Egalement ancien premier ministre de son pays, il succède à la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, saluée notamment pour avoir mis la question des droits des femmes au coeur des préoccupations de l’UA, mais critiquée pour son bilan en termes de paix et de sécurité. Le président tchadien, Idriss Déby Itno, est ainsi parvenu à placer un homme de confiance à la tête de l’exécutif continental, le jour même où il a cédé la présidence tournante de l’UA, qu’il occupait depuis un an, à son homologue guinéen, Alpha Condé. Ce dernier a appelé ses homologues à mettre en application sans tarder une série de recommandations du président rwandais, Paul Kagame, visant à améliorer l’efficacité d’une organisation souvent décriée pour sa lourdeur et son inertie.
S’appuyer sur ses propres potentialités
Placé sous le thème « Tirer pleinement parti du dividende démographique en investissant dans la jeunesse », ce sommet a rappelé la nécessité de réformer l’organisation panafricaine. Les participants ont noté l’impérative nécessité pour le continent de « s’appuyer sur ses propres potentialités en développant davantage le commerce interafricain et en améliorant la chaîne de valeurs régionales au moment où le partenariat mondial est devenu sélectif ». Pour ce faire, l’investissement dans la jeunesse s’avère crucial en la plaçant au coeur des politiques de développement.
Ce 28e sommet de l’UA est le premier organisé depuis l’accession de Donald Trump à la Maison Blanche, porteuse pour le continent de nombreuses incertitudes dont s’est faite l’écho la présidente sortante de la commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma. « Il est clair qu’au niveau mondial, nous entrons dans une période de turbulences. Par exemple, le pays même où nos peuples ont été emmenés comme esclaves a décidé d’interdire les réfugiés (originaires) de certains de nos pays », a déclaré Mme Zuma. Trump a signé vendredi un décret interdisant pendant trois mois l’entrée aux Etats-Unis de ressortissants de sept pays musulmans dont trois africains. « Qu’allons-nous faire à ce sujet ? Assurément, c’est là un des plus grands défis et un des plus grands tests pour notre unité et notre solidarité », a-t-elle conclu.
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