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Comment Béchir a assuré sa pérennité

Sabah Sabet avec agences, Mercredi, 04 mars 2015

La campagne pour les scrutins présidentiel et législatif a débuté au Soudan, sur fond de répression des médias et de boycott de l’opposition. Grand favori du scrutin, Omar Al-Béchir, fera face à une quinzaine d’adversaires de façade.

Comment Béchir a assuré sa pérennité
Béchir, à la tête du Soudan depuis 1989, est candidat à sa propre succession. (Photo:Reuters)

Malgré le boycott de l’opposition et l’instabilité dans plusieurs régions, surtout dans l’ouest du pays, la Commission électorale nationale soudanaise (NEC) a indiqué que les élections présidentielle et législatives se dérouleraient du 13 au 15 avril. Officiellement, la campagne électorale a débuté le mardi 25 février, mais selon les observateurs, il est difficile d’imaginer une vraie campagne électorale dans des régions entières du Soudan : les Etats du Darfour, du Nil Bleu et du Sud Kordofan connaissent encore la guerre. A Khartoum, la capitale, le climat politique est, là aussi, loin d’être propice aux élections. Les services de sécurité ont saisi ces derniers jours les rotatives permettant l’impression de différents journaux. Selon l’ONG Reporters sans Frontières, « le gouvernement semble vouloir supprimer toute publication dont pourrait naître un débat ».

15 partis participent à la course électorale, dont le Parti du Congrès national au pouvoir. Le président sortant, Omar Al-Béchir, chef du Congrès national depuis son coup d’Etat en 1989 et candidat à sa réélection, est accusé de brider tout débat national.

Et, malgré un piètre bilan, Béchir est quasiment assuré d’être réélu. Le président soudanais est sous mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI), pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour, depuis 2009. Cette région de l’ouest du pays, où des groupes rebelles combattent les forces gouvernementales depuis plus d’une décennie, vit toujours dans l’instabilité, même si elle a été quelque peu oubliée ces dernières années en raison de l’émergence de nouveaux conflits dans la région. Selon des chiffres de l’Onu, les combats au Darfour auraient causé la mort de plus de 300 000 personnes et auraient fait près de 2,5 millions de déplacés. Un échec cuisant pour Omar Al-Béchir. Pourtant, selon des observateurs, malgré tous les échecs de Béchir, il reste le seul sur scène.

Ayman Shabana, professeur à l’Institut des études africaines à l’Université du Caire, explique que malgré les défis politiques, économiques et sociaux du président sortant, celui-ci reste le plus fort et le seul favori. « Il a pu obtenir la subvention de l’armée, mais aussi des grandes tribus du Soudan, ceci en nommant deux vice-présidents issus de ces deux forces. Cette élection sera comme toutes les précédentes, purement symbolique », selon Shabana. D’autant plus symboliques que l’opposition, qui demandait depuis longtemps la formation d’un gouvernement d’union nationale ainsi qu’une vraie réforme politique, a décidé de boycotter ces élections. Un boycott qui vient en réaction aux promesses faites par Béchir, il y a des mois, d’ouvrir un dialogue national.

Pour donner un aspect légitime, le gouvernement a demandé à des observateurs de se rendre sur place pour s’assurer du « bon déroulement » du processus électoral. « Béchir n’a pas besoin de fraudes, il est sûr de sa réélection car il n’a pas de véritables concurrents, surtout après qu’il eut réussi à contenir certains de ses adversaires comme l’opposant Hassan Al-Torabi », explique encore Shabana.

Un contexte régional en faveur de Béchir
En effet, l’opposition est devenue très faible au Soudan. Et le peuple, quand bien même il est mécontent des performances de Béchir, ne trouve pas d’alternative. Lors d’un meeting électoral, Mohamad Gandour, vice-président et responsable des questions politiques du parti au pouvoir, a ainsi annoncé que l’opposition était sans base réelle et avait pour seul programme un slogan « Dégage ! » en référence au « Printemps arabe ». « Nous avons un message à ceux qui boycottent, a ceux qui revendiquent la vacance du pouvoir, à ceux qui ont pour seul slogan Dégage : Votre rêve ne se réalisera pas parce que la décision appartient au peuple, pas à un clan ni à un individu, ni à un leader politique. Les élections sont un droit du citoyen avant d’être un acquis des politiques. Ceux-là veulent un gouvernement sans légitimité, un Etat sans gouvernement, un pays anarchique », a affirmé Gandour.

Le régime en place tire, donc, profit des conséquences du Printemps arabe, alors que le peuple, lui, est nourri par la peur. Selon Ayman Shabana, « les Soudanais en ont marre de la situation au Soudan et des multiples crises, mais en même temps, ce qui se passe actuellement en Libye et au Yémen est en faveur du président. La crainte d’un chaos généralisé dans un pays, déjà en proie à de graves crises, garantit le maintien de Béchir au pouvoir ».

Ainsi, le président sortant a réussi à déstabiliser l’opposition. Depuis plus d’un an, il a multiplié les promesses d’une réforme politique, d’une nouvelle Constitution, d’un dialogue. L’opposition comptait, donc, sur ces promesses qui, en fin de compte, n’ont jamais été réalisées. « Il est revenu en arrière en disant : un dialogue national, d’accord mais vous commencez par déposer les armes. Il n’est pas question de discuter d’une refonte de la Constitution, d’élections libres, etc. », indique Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique, France), cité par RFI. Selon lui, « Béchir a vidé ce dialogue national de son contenu, alors que ce dialogue était prôné par l’Union africaine à Addis-Abeba, par Thabo Mbeki, le leader sud-africain qui a joué un grand rôle dans ce rapprochement entre différentes tendances. Aujourd’hui, il n’y a pas d’espace pour une participation à des élections qui sont jouées d’avance ».

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