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Au Yémen, un pas de plus vers l’abîme

Maha Salem avec agences, Mardi, 27 janvier 2015

Plongé dans le chaos, le Yémen se trouve sans président ni gouvernement après leurs démissions sous la pression des Houthis qui contrôlent quasi-totalement toutes les institutions du pays.

Au Yémen, un pas de plus vers l’abîme
(Photo : AP)

Déchiré entre plusieurs factions, le Yémen vit dans une impasse sans précédent. Tout d’abord, le gouvernement et le président Abd-Rabbo Mansour Hadi ont démissionné suite aux pressions exercées par les milices des Houthis. Des démissions sur lesquelles le Parlement doit encore se prononcer. Mais ce dernier n’arrive même pas à se réunir en session extra­ordinaire.

Selon la Constitution, le Parlement doit accepter la démission du président et celle du gouvernement. Pourtant, le Parlement avait déjà refusé le départ du président. En effet, depuis le 20 janvier, date à laquelle les Houthis ont pris le contrôle du palais présidentiel, ces derniers contrôlent la quasi-totalité du pays. Actuellement, ils encerclent le siège du Parlement, ainsi que les résidences du ministre de la Défense, et du chef des services de renseigne­ment. Les miliciens Houthis ont pris d’importantes quantités d’armes et d’autres équipements militaires qui étaient entreposés dans l’immense complexe du palais présidentiel. Et pour assurer leur position, ils ont appe­lé leurs partisans « à manifester pour marquer leur soutien aux mesures révolutionnaires » en référence à leur déploiement dans Sanaa. Plusieurs milliers de sympathisants ont répondu à l’appel, manifestant dans le nord de la capitale. « Dans ces conditions, et quasiment sans aucune force le soute­nant, M. Hadi n’avait d’autre choix que de présenter sa démission. Aussi, il voulait sauver sa peau et celle de sa famille », explique Iman Ragab, ana­lyste au Centre d’Etudes Stratégiques et Politiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire. Pourtant, M. Hadi était présenté comme le dernier espoir de règlement. « Certes, les Yéménites sont insatis­faits de sa gestion de la crise, mais en même temps, il est pour la majorité d’entre eux un rempart contre les Houthis qui traitent la majorité sun­nite comme des citoyens de second degré », explique Iman Ragab. Ainsi, la démission du président yéménite ne fait qu’ouvrir la voie à davantage de chaos. « Les Houthis n’ont pas l’expé­rience politique nécessaire pour diri­ger le pays, même s’ils ont réussi à faire des alliances avec des chefs de tribus et des dirigeants de plusieurs institutions de l’Etat, surtout dans l’armée et la police, pour les aider à diriger le pays. Cependant, ces alliances sont basées sur des intérêts et sont fragiles. Les chefs de tribus et certains hauts fonctionnaires ont choi­si de se mettre du côté du plus fort sur le terrain », ajoute l’analyste.

Les sudistes veulent profiter du chaos

Pour le moment, la force est du côté des Houthis. Sur le terrain, ils domi­nent, ils ont leur propres financements, et ne comptent pas céder. Selon les analystes, les Houthis veulent suivre l’exemple du Hezbollah au Liban, en dépendant d’un côté des aides et du soutien de l’Iran, et de l’autre côté, en confirmant leur puissance sur le ter­rain. Mais il s’agit là d’une donne qui est loin de représenter l’équilibre réel des forces au Yémen.

Pour preuve, les velléités indépen­dantistes sudistes reprennent de plus belle. Dans ce climat de crise générale, c’est là un autre foyer de tension qui risque d’aggraver davantage la crise yéménite. Des séparatistes armés se sont emparés samedi de tous les postes de police de la ville d’Ataq, dans le sud du Yémen. Des combattants du Mouvement sudiste, qui militent pour que le sud du Yémen redevienne indé­pendant, comme ce fut le cas jusqu’en 1990, ont pris six points de contrôle à Ataq, chef-lieu de la province de Chabwa, sans rencontrer de résistance de la part des forces de l’ordre. Ils ont demandé aux policiers de leur remettre leurs armes et de retourner à leur base, selon ces sources, qui ont ajouté que les hommes armés avaient hissé sur les barrages des drapeaux de l’ancien Etat du Yémen du Sud. Quatre provinces du sud du Yémen refusent, depuis jeudi 22 janvier, tous les ordres de la capitale aux unités militaires et forces de sécurité locales, et ont décidé de n’obéir qu’à des hommes fidèles au président Mansour Hadi. Des hommes armés de « comités populaires », for­més notamment de membres de tribus ayant combattu dans le passé Al-Qaëda dans le sud du pays, se sont déployés dans plusieurs secteurs du sud. Leur chef Hussein Al-Wahichi a indiqué que 3000 de ses hommes étaient sta­tionnés à Aden, notamment au port et à l’aéroport de la deuxième ville du pays. « Nous avons établi des points de contrôle pour protéger la ville contre les attaques des Houthis (les milices chiites) ou d’Al-Qaëda », a déclaré Al-Wahichi.

Autant de facteurs qui font planer sérieusement le risque à terme d’un effondrement total de l’Etat, comme ce fut le cas en Somalie.

Les Américains resteront pour lutter contre l'Aqpa

La montée des chiites à la tête de l’Etat yéménite pour­rait priver les Etats-Unis d’un partenaire précieux dans sa lutte contre Al-Qaëda qui a fait du Yémen l’une de ses places fortes. « Le Yémen a été un partenaire important dans la lutte antiterroriste », menée par les Etats-Unis, explique vendredi un responsable du département de la Défense à l’AFP. Non seulement l’exécutif yéménite donnait son aval pour des frappes aériennes américaines sur son territoire contre Al-Qaëda dans la Péninsule Arabique (AQPA), « mais il contribuait aussi sur le terrain avec ses propres forces », souligne cette source. « Personne ne sait ce qui va se passer maintenant », ajoute le responsable.

Depuis 2009, les Etats-Unis ont mené plus de 110 frappes aériennes au Yémen, dont l’essentiel par des drones. Jusqu’ici, les forces de sécurité yéménites ont fourni des renseignements aux Américains, permettant de les guider dans leurs frappes. Des forces spéciales américaines, évaluées à une centaine d’hommes, sont encore sur place pour assister les Yéménites dans leurs combats contre Aqpa. Et malgré l’incertitude politique actuelle, les Etats-Unis ont encore affirmé qu’ils mainte­naient leur ambassade ouverte à Sanaa. « Bien sûr, les Américains ne vont pas laisser les bénéfices et les positions qu’ils ont occupés dans ce pays. Il s’agit d’intérêts communs, ils ont peur de la montée non seulement d’Al-Qaëda, mais aussi de chiites alliés à l’Iran. Mais, ils vont profiter de la rivalité qui existe déjà entre les Houthis et l’Aqpa », explique Iman Ragab, analyste au Centre des études stratégiques et politiques CEPS d’Al-Ahram au Caire. Malgré le chaos actuel, les Etats-Unis vont essayer de coopérer avec ceux qui contrôlent le pays.

Selon les analystes, ils y auraient certainement des accords tacites entre Washington et les Houthis, même si ces derniers ne vont jamais avouer leur existence. Un avis confirmé par les déclarations américaines. Vendredi, le porte-parole du Pentagone John Kirby a rappelé que les Etats-Unis pouvaient procéder à des frappes unilaté­rales contre les groupes extrémistes, sans accord formel du pays concerné. « Mais le plus efficace est d’avoir la coopération de ce pays », souligne Kirby. Le Yémen est considéré souvent comme une pièce maîtresse dans le dispositif américain de lutte contre Al-Qaëda.

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