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Questions autour d'une succession

Samar Al-Gamal, Mardi, 13 janvier 2015

La récente maladie du roi Abdallah d'Arabie saoudite pose la question de la succession à la tête du plus grand exportateur mondial de pétrole.

Questions autour d
(Photo : AP)

Les spéculations vont bon train. Le roi va-t-il abdi­quer? Ou bien va-t-il modifier le mode de transmission du pouvoir, nommer un autre prince héritier? La petite santé du souverain saoudien a donné lieu à une multitude de pré­dictions.

Le roi Abdallah, qui règne depuis moins de dix ans, est âgé de 91 ans, mais il est le monarque le plus âgé, actuellement en exercice, dans le monde. Il a été récemment plu­sieurs fois hospitalisé et il siège depuis deux semaines à la cité médicale du Roi Abdel-Aziz, en raison d’une pneumonie le pous­sant à respirer par assistance, selon un communiqué du cabinet royal.

La fragilité du roi Abdallah rap­pelle les dernières années de règne de son demi-frère, le roi Fahd, auquel il avait succédé en 2005. Elle soulève surtout des questions sur l’avenir du Royaume, dont le pouvoir est transmis de frère en frère, puis aux demi-frères, parmi les fils du Roi Abdel Aziz Al Saoud et en respect du droit d’aînesse. Son fils, le roi Fahd, avait confirmé ce système de transmission du pou­voir en promulguant en 1992 la loi fondamentale (al-nizam al-assassi) qui, dans son 5e article, stipule que « le pouvoir se transmet (unique­ment) aux fils du roi fondateur Abdel-Aziz bin Abdel-Rahman Al-Faysal Al Saoud et à ses petits-fils. Al-Aslah (le plus apte) d’entre eux est reconnu roi ».

A sa mort en 1953, le roi Abdel-Aziz, fondateur du Royaume, avait laissé derrière lui 35 fils. Aujourd’hui, ils seraient 15. Les dirigeants saoudiens sont aujourd’hui âgés. L’ancien prince héritier Abdel-Aziz, qui a été ministre de la Défense pendant 25 années, est mort il y a quatre ans, et son successeur, le prince héritier Nayef, est mort il y a deux ans. L’actuel prince héritier, Salmane, aura bientôt 80 ans. En mars 2014, le roi Abdallah avait créé la sur­prise en nommant de son vivant le futur héritier du trône, celui qui devrait succéder à Salmane, alors que cette mission incombait au Conseil d’allégeance créé en 2006, dans le cadre d’un nouveau sys­tème de succession (lire fiche). Conformément à ce système, le roi désigne un, deux ou trois candi­dats, dans les dix jours qui suivent son intronisation, et les membres du Conseil choisissent le nouveau prince héritier parmi ces candidats. Le roi a d’ailleurs transgressé ce système qu’il avait lui-même fondé en désignant, par décret irrévo­cable, son demi-frère Moqren (70 ans), le plus jeune des 35 fils du fondateur du Royaume, qui avait dirigé jusqu’en 2013 les services de renseignements. Il devient ainsi deuxième vice-premier ministre, le roi étant, lui-même, premier ministre et le prince héritier vice-premier ministre.

Moqren est à l’intersection de deux générations, celle des fils et celle des petit-fils. Et selon les observateurs, le roi voulait par cette démarche ouvrir la route à son fils aîné Miteab, l’actuel patron de la Garde nationale, en voulant le placer en troisième position dans l’ordre de succession. D’autant plus que le prince Moqren sera proclamé roi « en cas de vacance simultanée des postes de prince héritier et de roi », selon le décret du roi Abdallah.

« Quel que soit le scénario de la succession, celle-ci s’annonce très problématique, et des luttes fratri­cides risquent de s’exacerber, lorsque viendra le moment de la transition générationnelle », écrit Nabil Mouline, chercheur au CNRS à Paris, dans son livre « Pouvoir et transition générationnelle en Arabie saoudite ». La chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Iman Ragab, partage le même avis et s’attend à des diffé­rends non pas sur le nom du futur roi mais sur son successeur, d’autant plus que « Le système du Conseil d’allégeance n’a jamais été testé et d’aucun ne connaît les rapports de forces parmi ses membres ». Ce Conseil est, en effet, constitué de 34 membres, 15 fils et 19 petits-fils du roi Abdel-Aziz. Si l’un d’entre-eux vient de décéder ou se trouve dans l’incapacité physique ou mentale de participer au Conseil, il est automati­quement remplacé par l’un de ses fils, âgés d’au moins de 22 ans.

Le futur roi devrait maintenir le cap

Le Royaume est déjà secoué par la menace de Daech, et la semaine dernière, un accrochage sévère avec des « terroristes » a coûté la vie à trois garde-frontière saoudiens, dont un général (lire page 5). Sur le plan économique, la chute des prix du pétrole n’est pas sans risque pour le Royaume. Et l’enjeu se joue désor­mais sur le nom du futur prince héritier, et la compétition semble serrée entre Miteab, fils du souve­rain actuel, et Mohamad bin Nayef, le très puissant ministre de l’Inté­rieur, qui a succédé à ce poste à son père Nayef, qui était prince héritier à sa mort en juin 2012. Ainsi, selon Iman Ragab, « un changement à l’intérieur et à l’extérieur du Royaume s’opérera avec l’arrivée de l’un ou l’autre au pouvoir. Les deux hommes ont des visions radi­calement opposées. Miteab se pré­sente comme un réformateur qui a des visions plus ouvertes concernant les chiites, les femmes et le système de gouvernance, alors que Nayef s’impose comme le faucon qui cherche à préserver les aquis du Royaume et s’oppose à certaines idées liées à la citoyenneté ».

En politique étrangère, les deux se font également remarquer par leurs différends. Nayef est plus radical et est partisan de la solution militaire. « Ceci s’est reflété dans sa politique vis-à-vis de la Syrie et du Yémen », précise Ragab. Miteab, lui, est plus conciliant et a ainsi pesé dans le processus de réconciliation et de dialogue national à Bahreïn. Il entend en quelque sorte continuer sur la très mince ligne modernisa­trice entamée par son père.

Le futur roi, qu’il s’agisse de Salmane ou de Moqren, devrait maintenir le cap fixé par Abdallah : des réformes, oui, révolutionnaires, non.

Le Conseil d’allégeance en Arabie Saoudite

Le Conseil d’allégeance saoudien a été fondé en 2006 par le roi Abdallah, afin de légaliser le processus de succession du trône du Royaume. Il est dirigé par Méchél Ben Abdel-Aziz Al Saoud.

Le Conseil est chargé de choisir le roi et l’héritier du trône. Selon la charte du Conseil, au cas où le roi mourrait, le Conseil se réunit, afin de faire allégeance à l’héritier du trône comme roi. Ce dernier, devenu roi, présente un, deux ou trois noms comme princes héritiers du trône, puis le Conseil choisit l’un d’eux. Le roi peut aussi demander au Conseil de choisir le prince héritier sans avoir de propositions du roi. De plus, s’il est prouvé que le roi est malade et ne peut pas diriger le pays, le Conseil a le droit d’accorder les pouvoirs au prince héritier de façon temporaire, jusqu’à ce que le roi soit soigné. Au cas où il serait assuré que la mauvaise santé du roi est permanente, le Conseil peut faire allégeance au prince héritier.

La fondation du Conseil avait pour but de promou­voir la prise d’opinion collective au sein de la famille royale, en prenant en considération les opinions de différentes branches de la famille Saoud. Certains pensent pourtant que le Conseil a été fondé, afin de limiter le pouvoir des « Sept Soudaïris », branche rivale des Saoud et dont l’influence avait augmenté dans le processus décisionnel au sein de la famille royale. Les Sept Soudaïris sont les fils du roi Abdel-Aziz de sa femme préférée Hessa Sédéri. Il s’agit du roi décédé Fahd, de l’héritier du trône actuel prince Salmane, des deux héritiers du trône décédés prince Soltane et prince Nayef, en plus du prince Abdel-Rahmane, prince Torki et prince Ahmad. Le roi Abdallah est leur demi-frère et il a été placé sur la voie du trône par un autre demi-frère le roi Khaled qui l’avait nommé deu­xième premier ministre aux côtés de Fahd.

En ce moment, l’héritier est le prince Salmane Ben Abdel-Aziz et le vice-héritier est Miteab Ben Abdel-Aziz, fils du roi Abdallah. Le Conseil est constitué de 28 princes qui sont 9 fils du roi Abdel-Aziz et 19 petits-fils. Le vote dans le Conseil est réglé par la majorité simple et les sessions prennent place au divan royal par ordre royal.

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