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Tunisie : Vers des élections ... ou une nouvelle crise

Maha Salem avec agences, Mardi, 17 décembre 2013

Malgré les protestations d'une partie de l'opposi­tion tunisienne, le ministre sortant de l'In­dustrie, Mehdi Jomaâ, a été désigné premier ministre. Il doit faire sortir le pays d'une pro­fonde crise politique.

Tunisie : vers des élections ... ou une nouvelle crise

Après de longues négo­ciations, les islamistes au pouvoir en Tunisie et l’opposition se sont mis d’accord pour nommer l’actuel ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaâ, au poste de premier ministre d’un gouvernement intérimaire. En revanche, le calendrier prévu pour la formation du prochain gouvernement n’a pas été annoncé alors que le pays célèbre ce mardi le 3e anniversaire du début du soulèvement populaire. Jomaâ devrait néanmoins le faire dans les quinze prochains jours, en vertu d’une feuille de route signée en octobre par les principaux partis tuni­siens.

Le nouveau premier ministre aura aussi la lourde tâche de guider son pays vers des élections que la classe politique dit vouloir organiser début 2014. « Malgré les difficultés, nous sommes parvenus à un accord sur le nom de Mehdi Jomaâ. Le prochain gouvernement doit être indépendant et apolitique pour conduire le pays vers les élections », a déclaré Hussein Abassi, secrétaire général du syndicat UGTT et principal médiateur dans les pourparlers.

Mais le choix de Mehdi Jomaâ ne fait pas l’unanimité et ne garantit pas la fin de la crise politique. Faute de compromis sur un nom qui satis­fasse tout le monde, la question a été soumise à un vote samedi der­nier des 21 partis représentés aux pourparlers et dont Mehdi Jomaâ est sorti vainqueur. Cependant, une partie de l’opposition, le principal parti Nidaa Tounès en tête, a rejeté ce choix et boycotté le vote, esti­mant qu’il n’était pas acceptable que le nouveau premier ministre soit issu du gouvernement sortant.

En revanche, le parti islamiste au pouvoir Ennahda veut donner l’image de celui qui a accepté les concessions et le compromis pour éviter le pire. Son chef, Rached Ghannouchi, a ainsi affirmé : « Nous avons accepté un gouverne­ment apolitique alors même que le gouvernement d’Ali Larayedh (pre­mier ministre sortant) a la majorité (à l’Assemblée nationale consti­tuante). Le but est de mener la Tunisie vers la démocratie ». En effet, les islamistes ont accepté de quitter le pouvoir à condition qu’en parallèle soit adoptée la future Constitution, en cours de rédaction depuis deux ans, et que le calendrier des futures élections soit fixé.

Si Jomaâ parvient à former un cabinet, cela marquera le retrait volontaire du pouvoir du parti isla­miste Ennahda qui dirige le gouver­nement depuis sa victoire à l’élec­tion de l’Assemblée nationale constituante en octobre 2011, le premier scrutin libre de l’histoire de la Tunisie.

Selon les analystes, les islamistes n’avaient pas le choix, ils étaient obligé de quitter le pouvoir pour satisfaire les Tunisiens. La classe politique tunisienne a accusé le gouvernement dirigé par Ali Larayedh de faillite sur le plan sécuritaire en ayant, par laxisme, permis l’émergence de groupes dji­hadistes armés. Ceux-ci sont notam­ment accusés des assassinats de Mohamed Brahmi et de Chokri Belaïd.

De même, l’opposition accuse l’équipe sortante d’avoir échoué sur le plan économique, la croissance anémique n’ayant pas permis de résorber le chômage et la misère, qui figurent parmi les principales causes de la révolution ayant chassé Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir en janvier 2011. Près de trois ans après la révolution, la Tunisie a été sans cesse déstabilisée par des crises politiques et n’a pas été dotée d’institutions pérennes.

Un certain manque d’expérience

Malgré l’absence de consensus sur son choix, nom­breux sont les analystes qui estiment que la nomina­tion de Mehdi Jomaâ est un signe encourageant pour mettre fin à l’impasse politique. Jomaâ représente le choix le plus cohérent. Depuis sa nomination au ministère de l’Industrie, il ne s’est pas engagé sur le terrain miné des batailles qui déchirent la classe poli­tique, s’exprimant publiquement uniquement sur son domaine de compétence. Sous son égide, dans un contexte de conflits sociaux dans le pays et d’incerti­tude, il a milité auprès des entreprises et des déci­deurs européens pour de nouveaux investissements afin d’aider à rebâtir l’économie tunisienne, alors que le chômage reste endémique, un facteur-clé du soulè­vement de 2011. Il s’est aussi prononcé pour des réformes très impopulaires en Tunisie, notamment la hausse des prix des carburants prévue pour 2014, une mesure expliquée par les coûts exorbitants pour l’Etat des subventions en la matière, selon les autori­tés et les organisations comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Jomaâ n’a cependant aucune expérience en matière sécuritaire, un dossier-clé depuis la révolution en raison de l’essor de groupes djihadistes armés responsables, selon les autorités, d’un nombre grandissant d’attaques. Il sera aussi confronté à la défiance d’une partie de l’opposi­tion tunisienne qui a vivement contesté sa désigna­tion, loin d’avoir été consensuelle. « Il est suffisamment compétent et indépendant pour assurer les fonctions de premier ministre », a même commenté Mahmoud Baroudi, un responsable de l’Alliance démocratique, mouvement d’opposition au parti islamiste Ennahda. Compétent et indépendant, cela semble être le cas sur le papier. Mais son manque d’expérience sur les questions sécuritaires et son soutien affiché à la hausse des prix pourraient bien compliquer un peu plus sa lourde tâche. Premiers défis : fixer le calendrier des prochaines élections et, enfin, amorcer les travaux pour l’élaboration d’une Constitution qui fait toujours défaut à la Tunisie .

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