Al-Ahram Hebdo : L’accord russo-américain sur le démantèlement des armes chimiques syriennes et la résolution du Conseil de sécurité qui s’ensuivit sont considérés comme une sortie de crise. Pensez-vous que le spectre de la frappe militaire ait disparu ou se soit simplement éloigné ?
Serge V. Kirpichenko : L’accord entre les Etats-Unis et la Russie et surtout la résolution du Conseil de sécurité de l’Onu ont effectivement éloigné le risque d’une guerre contre la Syrie. Mais, malheureusement, je ne pense pas que ce risque ait totalement disparu. En effet, il existe des parties arabes et non arabes qui comptent sur une intervention armée étrangère. Mais j’espère que le nouveau climat né de la nouvelle résolution de l’Onu empêchera le déclenchement d’une guerre régionale contre la Syrie.
— Qu’en est-il du recours au chapitre VII de la Charte des Nations-Unies ? N’est-ce pas en quelque sorte une victoire diplomatique américaine puisqu’il permet le recours à la force ?
— La résolution du Conseil de sécurité n’est pas basée sur le chapitre VII. C’est une résolution sur l’arsenal chimique syrien et les moyens de le démanteler.
Et, si une partie veut recourir au chapitre VII, il faudra retourner au Conseil de sécurité de l’Onu et on aura besoin d’une nouvelle résolution. Nous, en Russie, nous considérons qu’il est de l’intérêt de tous, en Syrie et dans le monde entier, d’éviter une telle éventualité. Car cela nous ramène à la possibilité de mener une guerre, d’aggraver et de prolonger la crise syrienne.
Or, nous considérons qu’il est préférable de parvenir à une solution politique et d’organiser Genève-2.
— Mais certains craignent que Bachar Al-Assad ne profite de cette situation sans pour autant contribuer à trouver une solution définitive. Qu’en pensez-vous ?
— Nous sommes d’accord avec les Américains ainsi que de nombreuses autres parties que le règlement politique de la crise syrienne est indispensable si nous voulons sauver ce pays. La nouvelle résolution de l’Onu a donné un espoir dans cette direction. Et il est temps que l’opposition syrienne, ainsi que les parties qui la soutiennent refassent leurs comptes et optent finalement pour une solution politique. Dans le cas contraire, la Syrie va plonger dans les méandres du conflit militaire de manière encore plus grave.
— Mais l’Armée Syrienne Libre (ASL) campe sur sa position, comment peut-on alors mener à bien les démarches diplomatiques internationales alors que la guerre civile se poursuit ?
— Nous croyons en la possibilité de mettre fin au conflit syrien sans une intervention militaire étrangère. Il est nécessaire que les différentes parties ayant des liens étroits avec l’ASL et les autres factions de l’opposition exercent des pressions sur ces factions de manière positive pour qu’elles assouplissent leurs positions. Et puis, les factions les plus extrémistes qui refusent toute solution politique depuis le début de la crise n’ont-elles pas compris que leur position ne les mènerait nulle part ? Certaines d’entre elles comptent sur un « changement de l’équilibre des forces militaires présentes en Syrie ». C’est une logique stérile qui n’apporte rien de positif au peuple syrien.
— Les relations entre la Russie et les Etats-Unis ont été très tendues ces derniers mois et certains ont même parlé d’un retour de la guerre froide. Cette tension est-elle aujourd’hui désamorcée ?
— Il n’y a ni guerre froide, ni tension entre Moscou et Washington. Et la résolution du Conseil de sécurité est le fruit des efforts conjoints entre les chefs de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, et américain, John Kerry. C’est la preuve flagrante que les deux parties sont capables d’oeuvrer conjointement de manière constructive au sujet des questions régionales et internationales.
— Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les raisons de l’appui russe à la Syrie ...
— Cet « appui », si l’on peut le qualifier ainsi, a pour origine notre peur extrême de l’effondrement de la Syrie. Nous craignons que ce pays ne tombe aux mains des extrémistes et des terroristes de l’extérieur et de l’intérieur. Certains continuent à prétendre que ce conflit sanglant est le prix de la démocratie. C’est faire peu de cas des mentalités des Syriens, c’est une honte pour ces « pro-démocratie ». Il suffit de voir les agissements de l’opposition armée en Syrie pour savoir quel avenir elle veut pour le pays.
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