
Bien que l’accord de démarcation de la frontière maritime apaise les tensions avec Israël, le Liban n’est pas au bout de ses peines.
Le gaz sauvera-t-il le Liban? C’est la première question que l’on se pose après l’annonce, mardi 11 octobre, d’un accord sur la délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, alors que cet accord est censé lever des obstacles-clés à l’exploitation de gisements gaziers en Méditerranée orientale. Selon des informations de presse, l’accord, qui « établit une résolution permanente et équitable » du différend maritime entre les deux parties, doit être signé ce jeudi 20 octobre. Mais avant même qu’il ne le soit, le Liban mise déjà sur les mannes tant attendues du gaz offshore: en vertu de l’accord, le Liban aura tous les droits d’exploration et d’exploitation du champ de Cana. Mais comme une partie de ce gisement dépasse la future ligne de démarcation, l’Etat hébreu toucherait une part des futurs revenus de l’exploitation gazière de Cana par TotalEnergies, selon des sources israéliennes. Le jour même de l’annonce de l’accord, le Liban a en effet demandé au groupe français TotalEnergies d’entamer le forage d’exploration dans ses eaux. Le premier ministre libanais, Najib Mikati, « a demandé aux représentants de TotalEnergies de prendre immédiatement les mesures opérationnelles pour le forage d’exploration dans les eaux libanaises », a annoncé un communiqué de son bureau. M. Mikati a formulé sa demande lors d’une réunion avec une délégation de TotalEnergies. « Les questions d’ordre logistique requièrent du temps, mais les travaux commenceront immédiatement », a déclaré pour sa part le ministre de l’Energie, Walid Fayad. TotalEnergies fait partie d’un consortium de géants de l’énergie qui ont obtenu, en 2018, une licence pour explorer du gaz dans deux des dix blocs offshore du Liban, connus sous le nom de bloc 4 et bloc 9.
Une manne qui devra se faire attendre
Trop tôt cependant pour se réjouir. Selon la Lebanese Oil & Gas Initiative (LOGI), une ONG indépendante, « le scénario le plus positif » serait la découverte de réserves de gaz à Cana d’une hauteur de 453 mètres cubes. Dans ce cas, « les bénéfices du Liban seront d’environ 6 milliards de dollars sur 15 ans », a déclaré Diana Kaissy, membre du conseil consultatif de LOGI. Une faible somme par rapport à la dette de plusieurs milliards de dollars du Liban.
Ce qui nous ramène à la deuxième question: à qui cet accord bénéficie-t-il? Le président Michel Aoun a affirmé que l’accord donnerait au pays « la stabilité régionale dont il a besoin », avant de préciser que le Liban « n’avait fait aucune concession » pour sa finalisation. Dans le même temps, le premier ministre israélien, Yaïr Lapid, l’a qualifié d’« historique », précisant qu’il allait « renforcer la sécurité d’Israël, injecter des milliards dans l’économie israélienne et assurer la stabilité de notre frontière nord », alors que son conseiller à la sécurité nationale, Eyal Hulata, a insisté sur le fait que toutes les demandes israéliennes « ont été acceptées ». A en croire chacune des deux parties donc, c’est un accord bénéfique à tout le monde. Peu convaincant. Cité par l’AFP, l’expert libanais en énergie Suhail Chatila souligne: « Israël a le droit d’arrêter tout développement à Cana en demandant que l’accord financier avec Total soit d’abord finalisé. Cela signifie que s’ils ne veulent pas que le Liban procède à l’extraction du gaz, ils ont une fenêtre d’opportunité dans cet accord frontalier ». En effet, le Liban n’a aucune certitude sur ce que contient le champ de Cana en matière d’hydrocarbures. Il est possible que l’accord ne lui apporte aucun bénéfice économique. Dans le meilleur des cas, il faudra de toute façon plusieurs années pour en récolter les premiers fruits.
Vers une vacance présidentielle ?
Loin des bénéfices économiques, une troisième question se pose: quel impact aura cet accord sur la crise politique? Pas grand-chose, sans doute, tant la situation est compliquée. L’accord intervient à quelques semaines de la fin du mandat du président Aoun, alors que le Liban est dirigé toujours par un gouvernement intérimaire. Or, face aux divisions qui règnent au sein de la classe politique, aucun consensus n’a encore été trouvé pour choisir le successeur de Michel Aoun. Cette dernière est si polarisée qu’elle est déjà bien incapable de s’entendre pour former un nouveau gouvernement, en remplacement de celui actuellement dirigé par le premier ministre, Najib Mikati, chargé d’expédier les affaires courantes depuis le 22 mai dernier, date du début du mandat du nouveau parlement. Ce parlement chargé également d’approuver les réformes exigées par la communauté internationale comme condition pour aider le Liban à sortir de son effondrement économique actuel.
Bref, au pays du Cèdre, les problèmes sont complexes, multiples et enchevêtrés. La démarcation de la frontière maritime avec Israël est loin d’être la baguette magique qui résoudra tous les maux du pays.
Lien court: