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Sameh Rashed : Rien ne peut être fait sans les Houthis

Maha Salem , Mercredi, 20 avril 2022

Avec une trêve et un nouveau Conseil présidentiel qui dirige le pays, une nouvelle page semble s’ouvrir au Yémen. De quoi s’agit-il? Eléments de réponses avec Dr Sameh Rashed, expert des affaires régionales à Al-Ahram.

 Rien ne peut être fait sans les Houthis
La guerre au Yémen a donné lieu à l’une des pires crises humanitaires. (Photot : AFP)

Al-Ahram Hebdo : Après une période de fortes tensions avec notamment des attaques houthies contre l’Arabie saoudite, les choses semblent évoluer différemment ces dernières semaines. Que se passe-t-il exactement ?

Dr Sameh Rashed : En effet, au début de l’année, la tension était extrême entre les Houthis, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Ces derniers ont détruit plusieurs bases militaires houthies. De l’autre côté, les Houthis ont frappé à l’intérieur dans les deux pays. Malgré cela, la communauté internationale n’a rien fait pour arrêter cette escalade. C’est le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) qui a organisé à Riyad des pourparlers de paix avec toutes les parties en conflit au Yémen, malgré le refus des Houthis d’y participer. Et pour régler ce point, l’émissaire onusien pour le Yémen s’est entretenu à plusieurs reprises avec eux.

Il est vrai que les choses évoluent. Les camps rivaux sont parvenus à une trêve de deux mois, à lancer un dialogue national afin de trouver une solution pacifique. Aussi, après quelques jours de pourparlers, le président yéménite, Abd-Rabbo Mansour Hadi, a annoncé la délégation de ses pouvoirs à un nouveau Conseil présidentiel pour diriger le pays. Ce nouveau conseil sera chargé de l’unification des institutions de l’Etat et de la réconciliation entre les Yéménites. Il vise aussi à partager le pouvoir, les ressources et les richesses entre toutes les factions yéménites, ainsi qu’à intégrer les Houthis dans les institutions de l’Etat. Ce conseil conduira la période de transition et devra rouvrir les institutions et bâtiments vitaux du pays, comme l’aéroport de Sanaa et les ports maritimes.

— La création de ce Conseil présidentiel et le dialogue sont-ils suffisants pour régler la crise ?

— Le Conseil présidentiel et le dialogue national sont des pas positifs, mais rien ne peut être fait sans les Houthis. On doit trouver un moyen pour les y intégrer. L’Iran est la seule force capable d’exercer une forte pression sur les Houthis pour qu’ils acceptent de participer au dialogue.

— Mais comme vous l’avez dit, tout ceci se passe sans les Houthis …

— Les Houthis rejettent ce conseil et refusent d’entrer dans des négociations directes avec les autres parties, mais ils ont signé l’accord de cessez-le-feu sous pression iranienne. Ils ont accepté l’entrée des aides humanitaires et produits énergétiques comme le pétrole et le gaz, ce qui convient à leurs intérêts. Mais ils revendiquent le contrôle de Taz et de Marib pour commencer des négociations directes.

— Quelles sont les circonstances qui ont abouti à la création de ce conseil ?

— Il y a à la fois les conjonctures interne, régionale et internationale. Sur le plan interne, l’idée d’un Conseil présidentiel pour diriger le Yémen n’est pas nouvelle, au contraire, tous les émissaires onusiens ont estimé que c’était la meilleure façon pour diriger ce pays. Autre raison : les deux camps rivaux se sont rendus à l’évidence : le conflit ne peut pas être réglé militairement. Seul un règlement par le dialogue peut donc résoudre la crise yéménite. Ces huit années de guerre ont prouvé qu’une solution militaire est difficile à réaliser car les forces en guerre sont équilibrées. Sur le plan régional, les pays de la coalition sont convaincus que Washington ne va pas intervenir. L’Administration américaine tend plutôt à se désengager des crises sans fin du Moyen-Orient. Côté international, la communauté internationale reste les bras croisés et n’intervient plus dans la crise yéménite qu’au niveau humanitaire. Autre raison, l’accord sur le nucléaire est sur le point d’être signé, et bien sûr, il inclut de manière tacite des dossiers régionaux.

— Tout ceci se passe donc avec en toile de fond les négociations sur le nucléaire iranien …

— Bien sûr, car la crise au Yémen est avant tout une guerre par procuration entre les forces régionales. La coalition arabe veut régler cette guerre avant que cet accord ne soit signé car on ne sait pas quels seront les arrangements non dits entre Téhéran et Washington. Outre la question du nucléaire, l’Occident veut que Téhéran limite son rôle déstabilisateur dans la région. Et l’Iran est prêt à présenter des concessions à ce sujet en contrepartie d’autres gains, même si, en général, les Iraniens ne cèdent pas. C’est pour tout cela que les choses bougent au Yémen. Parallèlement, la communauté internationale a poussé Téhéran et Riyad à se parler.

— Et où en sont les relations entre l’Iran et les pays du Golfe ?

— Chacun de ces pays a sa propre approche en fonction de ses intérêts. Par exemple, le Koweït, le Qatar et Oman entretiennent de bonnes relations avec l’Iran dans tous les domaines. Les Emirats ont une relation spéciale : au niveau politique, ils sont en opposition, mais au niveau économique, Téhéran est un partenaire important d’Abu-Dhabi. Bahreïn, de son côté, ce sont des relations stables et limitées, et bien que 60 % des Bahreïnis soient chiites, l’Iran n’essaie pas d’intervenir dans ce pays car tout face-à-face avec Bahreïn est un face-à-face avec l’Arabie saoudite. Quant à cette dernière, sa relation avec l’Iran est basée sur la concurrence. Un différend idéologique et une guerre d’influence entre deux puissances.

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