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Elections palestiniennes : Retour à la case depart

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 04 mai 2021

Le président palestinien a reporté les premières élections palestiniennes qui devaient se tenir en 15 ans. Une décision justifiée par l’incertitude entourant la tenue du scrutin à Jérusalem-Est, mais qui cache bien d’autres crises.

Elections palestiniennes : Retour à la case départ
(Photo : Reuters)

Surprise et déception. Les Palestiniens espé­raient enfin pouvoir aller aux urnes après 15 ans sans élections. Il n’en sera rien. Dans la nuit de jeudi 29 à vendredi 30 avril, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a annoncé un report des premières élections dans les Territoires palestiniens tant que la tenue du scrutin n’était pas « garantie » à Jérusalem-Est, partie de la ville sainte annexée par Israël. « Nous avons décidé de reporter la date des élections jusqu’à ce que (...) notre peuple puisse exercer ses droits démocra­tiques à Jérusalem », a déclaré Abbas à l’issue d’une réunion de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) portant sur les législatives, initialement prévues le 22 mai. La présidentielle de juillet est également repoussée.

Pour éviter un report, la com­mission électorale palestinienne avait récemment assuré pouvoir mettre sur pied des bureaux de vote dans des villes voisines de Jérusalem, en Cisjordanie occu­pée. Mais Mahmoud Abbas a reje­té cette option, disant vouloir la tenue du vote à Jérusalem, et que les partis puissent y mener leur campagne électorale alors que l’Etat hébreu y a interpellé ces dernières semaines des candidats aux législatives. « Ce n’est pas une question technique, mais plutôt une question politique fondamen­tale », a déclaré le président de l’Autorité palestinienne.

L’Onu a immédiatement réagi à cette annonce. « Je comprends complètement la déception des nombreux Palestiniens qui ont si clairement exprimé leur désir d’exercer leurs droits démocra­tiques après près de 16 ans sans élections », a déclaré le coordina­teur spécial des Nations-Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland, dans un communiqué publié ven­dredi 30 avril. Encourageant les Palestiniens à « continuer sur la voie démocratique », M. Wennesland a souligné le « large soutien international » pour des élections transparentes et inclu­sives dans tout le territoire palesti­nien occupé, y compris à Jérusalem-Est. Donner aux gens la chance de voter renouvellerait « la légitimité et la crédibilité » des institutions palestiniennes et aide­rait à rétablir l’unité nationale palestinienne, a dit l’envoyé de l’Onu. « Cela ouvrira également la voie à des négociations signifi­catives pour mettre fin à l’occupa­tion et réaliser une solution à deux Etats basée sur les résolutions de l’Onu, le droit international et les accords précédents », a-t-il ajouté, soulignant que fixer une nouvelle date pour les élections serait « une étape importante » pour rassurer le peuple palestinien que « sa voix sera entendue ». L’Europe a elle aussi vivement réagi. « Nous réaf­firmons notre appel à Israël pour faciliter la tenue de ces élections dans tous les Territoires palesti­niens, y compris Jérusalem-Est », a lancé le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans un communiqué publié vendredi 30 avril, en qualifiant ce report de « profondément décevant ».

Coup dur pour la réconciliation

En attendant que ces appels soient entendus et que les élections puissent enfin avoir lieu, le report risque d’avoir de lourdes consé­quences. Tout d’abord, il met en péril la réconciliation interpalesti­nienne, entamée ces derniers mois entre le Fatah et le Hamas, pour conduire à des élections, puis pos­siblement à un gouvernement d’union après le scrutin. Nombreux sont ceux qui estiment que le refus d’Israël d’organiser le scrutin à Jérusalem-Est, quoique réel, n’est pas la seule cause derrière la déci­sion de Mahmoud Abbas, qui craint que son parti, le Fatah, et lui-même, ne les perdent. Aussitôt après l’annonce, le Hamas et d’autres factions palestiniennes ont qualifié de « coup d’Etat » la déclaration de Abbas, qui met à mal la réconciliation. « Le Fatah et le président palestinien portent l’entière responsabilité de la déci­sion (de reporter les élections) et de ses conséquences qui représen­tent rien moins qu’un coup d’Etat contre notre accord » de réconci­liation, a commenté le Hamas dans un communiqué publié vendredi 30 avril. Et des centaines de parti­sans du Hamas, mouvement isla­miste qui a pris le pouvoir à Gaza en 2007 au terme d’affrontements sanglants avec le Fatah, sont aussi descendues dans les rues de l’en­clave vendredi 30 avril pour dénoncer cette décision aux airs d’annulation. Et alors que les rumeurs fusaient sur le report du scrutin, le chef de la liste du Hamas pour les législatives, Khalil Al-Haya, avait averti, dans un entretien à l’AFP la semaine der­nière, qu’une telle décision « pous­serait le peuple palestinien dans l’inconnu » et créerait une « grande frustration parmi la population », pouvant entraîner « de graves réactions ».

Après les dernières élections législatives de 2006, les tensions entre le Fatah et le Hamas ont entraîné des affrontements violents et une scission géographique du pouvoir entre l’Autorité palesti­nienne, contrôlée par le Fatah et qui siège en Cisjordanie occupée, et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza.

Pour tenter de se défendre et de se justifier, l’Autorité palesti­nienne parle toujours de réconci­liation. « Au cours des prochaines semaines, les partis tenteront de reformuler » un projet, afin d’arri­ver à un gouvernement d’union nationale, a déclaré à l’AFP le porte-parole du président Abbas, Nabil Abou-Roudeina, accusant par ailleurs des « groupes sus­pects » de chercher à « saper » ce processus.

Le Fatah fragmenté

Mais ce n’est pas qu’à Gaza que la déception est notable. Fait rare à Ramallah, siège de l’Auto­rité palestinienne, des centaines de personnes ont manifesté dans la nuit de jeudi à vendredi contre le président Abbas et le report des élections. Outre l’antagonisme Fatah/Hamas, le Fatah lui-même souffre d’une vraie fragmenta­tion. Et, selon ses détracteurs, si Mahmoud Abbas joue la carte de Jérusalem-Est pour reporter, voire annuler les élections, c’est qu’il est confronté à une fronde au sein de son parti, le Fatah. Et pour preuve, le Fatah de Mahmoud Abbas allait arriver dispersé pour ce scrutin, car deux ténors du mouvement, Mohammed Dahlane, frondeur exilé aux Emirats, et Nasser Al-Kidwa, neveu du défunt Yasser Arafat et ex-chef de la diplomatie palestinienne, avaient formé leur propre liste.

C’est justement sur cette divi­sion au sein du Fatah que comptait le Hamas, qui avait de sérieuses chances de remporter le scrutin. D’ailleurs, selon les sondages, le Hamas était bien placé pour arriver en tête d’une compétition à laquelle devait participer une tren­taine de listes, dont deux du Fatah.

L’heure est désormais donc cri­tique et la question est de savoir comment l’Autorité palestinienne pourra éviter que la situation se détériore davantage et vienne renforcer la division.

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