Surprise et déception. Les Palestiniens espéraient enfin pouvoir aller aux urnes après 15 ans sans élections. Il n’en sera rien. Dans la nuit de jeudi 29 à vendredi 30 avril, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a annoncé un report des premières élections dans les Territoires palestiniens tant que la tenue du scrutin n’était pas « garantie » à Jérusalem-Est, partie de la ville sainte annexée par Israël. « Nous avons décidé de reporter la date des élections jusqu’à ce que (...) notre peuple puisse exercer ses droits démocratiques à Jérusalem », a déclaré Abbas à l’issue d’une réunion de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) portant sur les législatives, initialement prévues le 22 mai. La présidentielle de juillet est également repoussée.
Pour éviter un report, la commission électorale palestinienne avait récemment assuré pouvoir mettre sur pied des bureaux de vote dans des villes voisines de Jérusalem, en Cisjordanie occupée. Mais Mahmoud Abbas a rejeté cette option, disant vouloir la tenue du vote à Jérusalem, et que les partis puissent y mener leur campagne électorale alors que l’Etat hébreu y a interpellé ces dernières semaines des candidats aux législatives. « Ce n’est pas une question technique, mais plutôt une question politique fondamentale », a déclaré le président de l’Autorité palestinienne.
L’Onu a immédiatement réagi à cette annonce. « Je comprends complètement la déception des nombreux Palestiniens qui ont si clairement exprimé leur désir d’exercer leurs droits démocratiques après près de 16 ans sans élections », a déclaré le coordinateur spécial des Nations-Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland, dans un communiqué publié vendredi 30 avril. Encourageant les Palestiniens à « continuer sur la voie démocratique », M. Wennesland a souligné le « large soutien international » pour des élections transparentes et inclusives dans tout le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est. Donner aux gens la chance de voter renouvellerait « la légitimité et la crédibilité » des institutions palestiniennes et aiderait à rétablir l’unité nationale palestinienne, a dit l’envoyé de l’Onu. « Cela ouvrira également la voie à des négociations significatives pour mettre fin à l’occupation et réaliser une solution à deux Etats basée sur les résolutions de l’Onu, le droit international et les accords précédents », a-t-il ajouté, soulignant que fixer une nouvelle date pour les élections serait « une étape importante » pour rassurer le peuple palestinien que « sa voix sera entendue ». L’Europe a elle aussi vivement réagi. « Nous réaffirmons notre appel à Israël pour faciliter la tenue de ces élections dans tous les Territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est », a lancé le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans un communiqué publié vendredi 30 avril, en qualifiant ce report de « profondément décevant ».
Coup dur pour la réconciliation
En attendant que ces appels soient entendus et que les élections puissent enfin avoir lieu, le report risque d’avoir de lourdes conséquences. Tout d’abord, il met en péril la réconciliation interpalestinienne, entamée ces derniers mois entre le Fatah et le Hamas, pour conduire à des élections, puis possiblement à un gouvernement d’union après le scrutin. Nombreux sont ceux qui estiment que le refus d’Israël d’organiser le scrutin à Jérusalem-Est, quoique réel, n’est pas la seule cause derrière la décision de Mahmoud Abbas, qui craint que son parti, le Fatah, et lui-même, ne les perdent. Aussitôt après l’annonce, le Hamas et d’autres factions palestiniennes ont qualifié de « coup d’Etat » la déclaration de Abbas, qui met à mal la réconciliation. « Le Fatah et le président palestinien portent l’entière responsabilité de la décision (de reporter les élections) et de ses conséquences qui représentent rien moins qu’un coup d’Etat contre notre accord » de réconciliation, a commenté le Hamas dans un communiqué publié vendredi 30 avril. Et des centaines de partisans du Hamas, mouvement islamiste qui a pris le pouvoir à Gaza en 2007 au terme d’affrontements sanglants avec le Fatah, sont aussi descendues dans les rues de l’enclave vendredi 30 avril pour dénoncer cette décision aux airs d’annulation. Et alors que les rumeurs fusaient sur le report du scrutin, le chef de la liste du Hamas pour les législatives, Khalil Al-Haya, avait averti, dans un entretien à l’AFP la semaine dernière, qu’une telle décision « pousserait le peuple palestinien dans l’inconnu » et créerait une « grande frustration parmi la population », pouvant entraîner « de graves réactions ».
Après les dernières élections législatives de 2006, les tensions entre le Fatah et le Hamas ont entraîné des affrontements violents et une scission géographique du pouvoir entre l’Autorité palestinienne, contrôlée par le Fatah et qui siège en Cisjordanie occupée, et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza.
Pour tenter de se défendre et de se justifier, l’Autorité palestinienne parle toujours de réconciliation. « Au cours des prochaines semaines, les partis tenteront de reformuler » un projet, afin d’arriver à un gouvernement d’union nationale, a déclaré à l’AFP le porte-parole du président Abbas, Nabil Abou-Roudeina, accusant par ailleurs des « groupes suspects » de chercher à « saper » ce processus.
Le Fatah fragmenté
Mais ce n’est pas qu’à Gaza que la déception est notable. Fait rare à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, des centaines de personnes ont manifesté dans la nuit de jeudi à vendredi contre le président Abbas et le report des élections. Outre l’antagonisme Fatah/Hamas, le Fatah lui-même souffre d’une vraie fragmentation. Et, selon ses détracteurs, si Mahmoud Abbas joue la carte de Jérusalem-Est pour reporter, voire annuler les élections, c’est qu’il est confronté à une fronde au sein de son parti, le Fatah. Et pour preuve, le Fatah de Mahmoud Abbas allait arriver dispersé pour ce scrutin, car deux ténors du mouvement, Mohammed Dahlane, frondeur exilé aux Emirats, et Nasser Al-Kidwa, neveu du défunt Yasser Arafat et ex-chef de la diplomatie palestinienne, avaient formé leur propre liste.
C’est justement sur cette division au sein du Fatah que comptait le Hamas, qui avait de sérieuses chances de remporter le scrutin. D’ailleurs, selon les sondages, le Hamas était bien placé pour arriver en tête d’une compétition à laquelle devait participer une trentaine de listes, dont deux du Fatah.
L’heure est désormais donc critique et la question est de savoir comment l’Autorité palestinienne pourra éviter que la situation se détériore davantage et vienne renforcer la division.
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