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Le Liban et ses vieux demons

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 23 mars 2021

Nouvelle impasse au Liban : La rencontre Saad Hariri et Michel Aoun consacrée à la formation d’un gouverne­ment s’est soldée par un échec, mais aussi par une passe d’armes virulente.

Le Liban et ses vieux demons
Il s’agissait de la 18e rencontre Hariri-Aoun, et elle s’est achevée sur un échec encore plus flagrant que les précédentes. (Photo : AP)

Un gouvernement technocrate formé de spécialistes ou un autre techno-politique formé d’une répartition confessionnelle et partisane ? Tel est le point essentiel de désaccord qui mène, à chaque fois, à l’échec des discussions entre les principaux acteurs politiques au Liban, depuis octobre der­nier, afin de former un nouveau gouvernement. Cette fois-ci, les désaccords ont éclaté au grand jour avec des passes d’armes directes entre le président libanais, Michel Aoun, et le premier ministre dési­gné, Saad Hariri. Lundi 22 mars, les deux hommes se sont rencontrés pour la 18e fois, avec toujours le constat d’échec : pas de gouvernement en vue et aucune entente entre les deux hommes. Au contraire, les différends n’ont pas été dissimulés, et ils sont tels qu’aucune nouvelle date de réunion n’a été annoncée. Pire encore, à la suite de cette courte rencontre de quelques minutes, le ton est monté publiquement entre les deux hommes avec des échanges d’accusations directs, faisant craindre une impasse totale.

En effet, dans une allocution télévisée enflammée depuis le palais présidentiel, Hariri a violemment pris à partie Aoun, lui reprochant d’entraver la for­mation du gouvernement en insistant sur une « minorité de blocage » au sein de la prochaine équipe ministérielle et en cherchant à imposer une répartition « confessionnelle et partisane » des por­tefeuilles. « Le travail du premier ministre désigné n’est pas de remplir des papiers (...) et ce n’est pas au président de la République de former un gouver­nement », a lancé frontalement Hariri lors d’une conférence de presse tenue à la suite de la rencontre. Le qualifiant d’« unique et dernière chance pour le pays », Hariri a réitéré son attachement à un gouver­nement de technocrates, réclamé à l’international, « chargé de lancer des réformes et de stopper l’ef­fondrement », ainsi que de débloquer une aide étran­gère substantielle. Et de poursuivre qu’il a soumis au président Aoun une « ébauche » de gouverne­ment « depuis 100 jours », avant de la dévoiler à la presse, les noms de ministres à l’appui. Aussitôt, la présidence a démenti, dans un communiqué, toute velléité de « minorité de blocage » et exprimé son « étonnement » quant aux « propos » et au ton de Saad Hariri.

Quelques jours avant cette rencontre houleuse, une autre poussée de fièvre a eu lieu le 18 mars lorsque le président Aoun a lancé un ultimatum à Hariri, l’enjoignant de former « immédiatement » un gouvernement ou de rendre son tablier. Allié de Michel Aoun, le chef de l’influent mouvement chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’a de son côté appelé à revoir sa formule. « Un gouvernement de technocrates qui ne serait pas protégé par les forces politiques ne pourra ni sauver le pays ni prendre des décisions majeures », a plaidé Nasrallah.

Ce sont donc toujours les mêmes vieux démons. Trois fois premier ministre, Saad Hariri a été chargé fin octobre — un an après sa chute sous la pression de la rue — de former un nouveau gouvernement. Et ce, après que le gouvernement actuel, chargé des affaires courantes, eut démissionné en août après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth (plus de 200 morts, des milliers de blessés), un coup de grâce pour une population déjà mise à genoux. Mais cinq mois plus tard, les partis restent absorbés par leurs habituelles polémiques dans un pays multicon­fessionnel mis en coupes réglées par les barons des diverses communautés. Contestée par une partie de la population, qui la juge corrompue et incompé­tente, la classe politique libanaise semble se moquer de la grogne populaire, qui s’est aggravée avec l’ef­fondrement du Liban dans une grave crise finan­cière : forte dépréciation de la livre libanaise sur le marché noir de la monnaie nationale, explosion de la pauvreté et du chômage et érosion du pouvoir d’achat. Une situation qui, avec l’absence de gou­vernement stable, empêche la conclusion d’un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI), pourtant essentiel pour mener les réformes néces­saires et restaurer la confiance de la communauté internationale.

Accroître les pressions

Et pendant que la grogne populaire se poursuit, tout comme le blocage politique et l’effondrement économique, la communauté internationale, avec en tête la France, tente de faire pression pour sortir de l’impasse à travers des réformes et un cabinet de spécialistes, loin des répartitions confessionnelles et partielles. Face à l’impasse, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a appelé lundi 22 mars, depuis Bruxelles, ses homologues de l’Union européenne à actionner « les leviers qui nous per­mettraient de faire pression auprès des autorités libanaises, pour qu’elles bougent ». Jean-Yves Le Drian a discuté avec ses homologues européens des solutions à mettre en oeuvre pour sortir le Liban de la crise. Une source diplomatique française avait récemment estimé qu’Européens et Américains devaient accroître les « pressions », brandissant même la menace de « sanctions ». La France a été à l’initiative des récents efforts internationaux visant à sortir le Liban de sa plus grave crise depuis la guerre civile de 1975-1990, mais elle n’est jusqu’ici pas parvenue à convaincre les res­ponsables politiques libanais de s’unir pour for­mer un gouvernement à même de mener les réformes attendues, ce qui permettrait de déblo­quer l’aide internationale.

Mais la France n’est pas la seule à avoir son mot à dire. Selon les analystes, le sort du Liban reste fortement attaché à ce qui se passe dans la région. L’ingérence de quelques pays comme l’Iran dans la question libanaise pour l’utiliser comme carte de pression complique la situation. Interviewé par la chaîne Extra News, l’analyste politique libanais Chadi Nachaba résume la situation : « La forma­tion du gouvernement, son futur programme, tout est lié tant à la situation intérieure que régionale. Hariri le sait parfaitement, c’est pourquoi il attend de voir les développements régionaux pour voir qui va le soutenir. A l’inté­rieur, il doit aussi choisir ceux qui peuvent l’ai­der à mener les réformes demandées par le FMI. Un équilibre difficile. Sinon le nouveau gouver­nement va affronter le même sort de ses précé­dents : la chute ».

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