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Le Liban toujours dans la tourmente

Maha Salem avec agences, Mercredi, 16 décembre 2020

Diab a été inculpé pour négligence dans l'explosion du port de Beyrouth. Il reste aux commandes du gouvernement dans l’attente de l’accord du président libanais à la mouture gouvernementale présentée par Hariri.

Le Liban toujours dans la tourmente
L'explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, avait fait plus de 200 morts et quelque 6 500 blessés. (Photo : Reuters)

Quatre mois après l’explo­sion du port de Beyrouth, les premières inculpations d’hommes politiques libanais ont été annoncées cette semaine. Le juge chargé de la procédure, Fadi Sawan, a inculpé quatre responsables poli­tiques dans le cadre de l’enquête sur les explosions dévastatrices du port de la capitale libanaise, qui a eu lieu le 4 août dernier : l’actuel premier ministre, Hassane Diab, qui avait démissionné après le drame mais continue de diriger les affaires dans l’attente de la formation d’un nou­veau gouvernement, l’ex-ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, bras droit du président du parlement, Nabih Berri, chef du parti chiite Amal, et deux anciens titulaires du portefeuille des travaux publics et des transports : Ghazi Zeaïter, membre lui aussi d’Amal, et Youssef Fenianos, affilié au parti chrétien des Marada, qui siège au parlement dans le groupe d’Amal et du Hezbollah, le mouvement chiite pro-iranien. L’explosion du 4 août avait été déclenchée par un incendie dans un entrepôt abritant depuis plusieurs années, de l’aveu des autorités, des tonnes de nitrate d’ammonium sans précaution. Ce drame a fait 200 morts et plus de 6 500 blessés, il a en outre dévasté des quartiers entiers de la capitale libanaise. Le juge Fadi Sawan, en charge de ce dossier, com­mencera à interroger Hassane Diab et les ex-ministres dans les jours à venir. C’est la première fois qu’un premier ministre en exercice est inculpé dans le cadre de ses fonctions au Liban. En première réaction, le bureau de Hassane Diab a affirmé que ce dernier avait « la conscience tranquille ». « Il est sûr d’avoir les mains propres et d’avoir géré le dos­sier de manière responsable et trans­parente. Ce ciblage surprenant va au-delà de la personne et attaque le poste (de premier ministre) en tant que tel ».

Hassane Diab a démissionné quelques jours après le drame, sous la pression de la rue, mais il continue aujourd’hui de gérer les affaires cou­rantes en attendant la formation d’un nouveau gouvernement. Il avait lui-même dénoncé, quelques heures après l’explosion, les conditions de stockage de la cargaison de nitrate d’ammonium. « Il est inadmissible qu’une cargaison de nitrate d’ammo­nium soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution », avait-il fustigé. Pourtant, la décision du juge Fadi Sawan a été prise après que l’enquête avait confirmé que les accusés avaient reçu plusieurs rapports écrits les mettant en garde contre tout ater­moiement pour se débarrasser du nitrate, et qu’ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour éviter l’ex­plosion. Les autorités libanaises avaient affirmé après l’explosion que 25 personnes, notamment des res­ponsables du port et des douanes, avaient été arrêtées dans le cadre de l’enquête, mais elles n’avaient publié aucune conclusion sur les responsa­bilités. Dans ce drame, une grande partie de l’opinion publique a pointé du doigt les dirigeants et les hommes politiques, quasi-inchangés depuis des décennies et accusés de corrup­tion et d’incompétence.

Un procès sans lendemain ?

Mais cela signifie-t-il que les accu­sés seront vraiment jugés et la cor­ruption endiguée ? Pas si sûr, répond Tarek Fahmy, professeur de sciences politiques. « Cette inculpation a été annoncée pour satisfaire à la com­munauté internationale et l’opinion publique seulement, mais, à mon avis, elle n’aboutira pas à grand-chose. C’est toute une chaîne liée et beaucoup de responsables seront au box des accusés. Le procès peut durer des années sans lancer un vrai jugement contre les vrais respon­sables », estime le politologue.

En effet, le drame du port est venu aggraver la crise politique, écono­mique et sociale qui secoue le Liban depuis plus d’un an. Outre une dépré­ciation historique de sa monnaie et une hyperinflation, le pays est sans gouvernement depuis plus de trois mois. Un blocage politique qui retarde toute aide financière interna­tionale. Lors de la conférence de donateurs organisée la semaine der­nière à l’initiative de Paris et de l’Onu pour faire le point sur cette aide d’urgence, les pays donateurs ont réitéré leurs conditions avant l’octroi de toute aide : la formation du nouveau gouvernement et la mise en oeuvre de réformes telles qu’une loi sur le contrôle des capitaux, un plan de lutte contre la corruption et la réforme du secteur de l’électricité ; conditions sine qua non pour rece­voir cette aide.

Une mouture de gouvernement encore à l’étude

« Cette fermeté a jeté la balle aux autorités libanaises. Elles doivent entreprendre des démarches rapides afin de satisfaire la communauté internationale pour qu’elle les aide à sauver le pays », explique Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. C’est en effet sans doute en raison des résultats de la Conférence des donateurs que le premier désigné, Saad Al-Hariri, a finalement présenté au président libanais, Michel Aoun, une mouture de son cabinet. Or, la formation d’un gouvernement n’est pas une mince affaire au Liban. D’ores et déjà, cette première mou­ture ne semble pas plaire à Michel Aoun. Plusieurs différends existent entre le bloc Aoun et Saad Hariri sur la répartition des portefeuilles entre les parties politiques de la majorité. Le président et son gendre, Gebran Bassil, chef du Courant Patriotique Libre (CPL), restent attachés à la minorité de blocage qu’ils veulent avoir au sein du nouveau gouverne­ment, ce que Hariri, chef du courant du Futur, n’a pas l’intention de leur concéder. « Il existe aussi d’autres points de désaccords. Saad Hariri veut réduire le nombre de son équipe pour diminuer les dépenses, mais le président veut un gouvernement de 30 ministres. Ce simple différend peut nous prédire la prochaine période. Saad Hariri risque de se heurter avec le président », explique Mona Soliman, tout en ajoutant que le président libanais veut attendre l’arrivée du président américain, Joe Biden, à la Maison Blanche et voir sa politique régionale, surtout envers l’Iran.

Quant à Tarek Fahmy, il estime que le véritable problème au Liban demeure le confessionnalisme. « Chaque camp campe sur ses posi­tions. Chaque camp cherche ses inté­rêts et veut préserver ses privilèges. Et personne n’est prêt à céder ou présenter des concessions pour sau­ver le pays », affirme-t-il. Et de conclure, non sans pessimisme : « Il est peu probable de voir les diffé­rentes parties soutenir Hariri, car son éventuelle réussite va prouver leurs faiblesses et leur échec. Il sera alors le héros qui a sauvé le pays. Ce que ses adversaires ne veulent pas lui concéder ».

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