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L’Iraq pris en étau entre Washington et Téhéran

Maha Salem avec agences, Mercredi, 07 octobre 2020

Alors que les groupes armés pro-Iran multiplient les attaques contre des intérêts américains, Washington menace de quitter l’Iraq, embarrassant le premier ministre iraqien.

L’Iraq pris en étau entre Washington et Téhéran
Renforcement des mesures sécuritaires près de l'ambassade américaine à Bagdad, cible régulière d'attaques. (Photo : AFP)

Coup de bluff ou réelle menace ? Face aux attaques répétitives contre les intérêts américains en Iraq, sans doute menées par des groupes pro-Iran, Washington a déclaré qu’il allait fermer son ambassade à Bagdad et, en plus, ouvrir une autre à Erbil. Une déclaration choquante pour la classe politique iraqienne, surtout le premier ministre Mostafa Al-Kazimi. Plusieurs sources politiques et diplomatiques ont confirmé à l’AFP que le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avait posé, il y a une semaine, un ultimatum au président iraqien, Barham Salih : soit les attaques cessent, soit Washington ferme son ambassade et rappelle ses 3 000 soldats et ses diplomates. Pour le politolo­gue Tarek Fahmy, entre la menace et le passage à l’acte, il y a un monde, « car ceci nuirait aux intérêts américaines en Iraq et dans toute la région ». « La présence américaine en Iraq protège les intérêts américains en premier lieu et représente une vraie menace à l’Iran. C’est donc une pression sur Bagdad et un coup de campagne électorale. Washington ne peut même pas déplacer son ambassade, qui est plus sécu­risée à Bagdad. D’ailleurs, les milices pro-ira­niennes ont attaqué des positions américaines à Erbil après cette déclaration », explique-t-il.

Côté iraqien, les réactions ne se sont pas fait attendre. Bagdad a officiellement dénoncé, mercredi 30 septembre, cette annonce, la considérant comme dangereuse et tentant de rassurer les autres chancelleries. Le ministre iraqien des Affaires étrangères, Fouad Hussein, a dit craindre qu’« un retrait américain puisse entraîner le retrait d’autres pays également engagés dans la lutte contre le groupe djiha­diste de Daech qui menace l’Iraq, mais égale­ment toute la région jusqu’à maintenant ». Mais, selon les analystes, la menace améri­caine embarrasse le premier ministre iraqien qui compte sur Washington pour diminuer l’influence iranienne dans son pays. Egalement chef du renseignement, Kazimi est engagé dans un bras de fer avec les pro-Iran, majori­taires au parlement et représentant, selon des militaires occidentaux, une menace pour l’Iraq dans la mesure où ils sont suffisamment armés. Mais il est accusé par des responsables améri­cains de ne pas en faire assez contre les pro-Iran.

Au sein de la classe politique, plusieurs camps ont aussi réagi. Le très influent leader chiite Moqtada Sadr a appelé à « créer une commis­sion sécuritaire, militaire et parlementaire pour enquêter » sur les tirs de roquettes. Une déclara­tion d’autant plus significative qu’il s’est taillé il y a une quinzaine d’années une figure de leader incontournable dans la lutte armée contre les Américains. Les partis politiques chiites se sont mis d’accord pour condamner ces attaques, Autre fait significatif, le Hachd Al-Chaabi, coa­lition de paramilitaires pro-Iran désormais inté­grés à l’Etat, a mis à l’écart plusieurs comman­dants accusés d’être liés à des attaques contre les Occidentaux. Désormais deuxième bloc du par­lement, le Hachd n’est plus uniquement une force militaire. Dans un pays étouffé par la cor­ruption, ce dernier a aussi désormais, comme tous les acteurs politiques, des intérêts écono­miques à préserver. Le Hachd a ainsi tenu à dire qu’il se dégageait de toute responsabilité quant aux actes de parties se réclamant de lui pour mener des actes militaires illégaux contre des intérêts étrangers.

Divisions chez les pro-Iran

Pour satisfaire les Américains, le chef de la diplomatie iraqienne a assuré avoir ouvert des canaux de négociations avec les groupes armés du camp chiite pro-Iran où des divisions com­mencent à apparaître. Les plus modérés ont multiplié les communiqués depuis l’ultimatum américain pour se dégager de toute responsabi­lité, alors que les radicaux intransigeants ont, eux, de nouveau mené des attaques, la dernière en date mardi 29 septembre. Selon Tarek Fahmy, « les attaques anti-américaines ont plusieurs objectifs : venger l’assassinat, en janvier dernier, du général iranien Qassem Soleimani et du chef de facto du Hachd, Abou-Mehdi Al-Mouhandis, par un drone américain à Bagdad, prouver qu’ils sont toujours puis­sants, et enfin, embarrasser Kazimi, car ce dernier s’essaie de sauver son pays et veut se débarrasser de l’influence iranienne ». En effet, un retrait américain serait aussi un coup dur pour Kazimi, qui bataille déjà pour obtenir un vote sur la loi électorale et le budget, ses premières promesses au peuple.

Le 18 août dernier, le premier ministre ira­qien avait conduit une délégation à Washington pour une visite officielle, au cours de laquelle il avait organisé une série de réunions avec des responsables américains et assisté à la seconde session du dialogue stratégique amé­ricano-iraqien. Les relations entre l’Iraq et les Etats-Unis ont été marquées par des tensions depuis janvier, lorsqu’un drone des Etats-Unis a frappé un convoi à l’aéroport de Bagdad, tuant ainsi Qassem Soleimani, ex-comman­dant des forces Al-Qods des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, et Abou-Mehdi Al-Mouhandis, chef adjoint des forces para­militaires iraqiennes le Hachd Al-Chaabi. Cet événement a donné lieu à un premier round de dialogues stratégiques le 12 juin, au cours duquel les Etats-Unis ont réaffirmé qu’ils ne souhaitaient pas une présence permanente dans ce pays, qu’ils réduiraient leurs forces en Iraq et qu’ils discuteraient avec le gouverne­ment iraqien du statut des forces restantes dans le pays.

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